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PENURIE DE GAZ : Total au banc des accusés

ENERGIE : Une pénurie touchant certaines catégories de bonbonnes de gaz sévit depuis un bon moment, notamment à Dakar. Alors que le Directeur du commerce, dans une sortie médiatique explique la situation par le non-respect du protocole d’interchangeabilité des bouteilles entre les concurrents, plusieurs personnes ressources du secteur que L’info a contacté hier, trouvent qu’il y a un seul responsable à cette situation, la société Total, qui a abandonné une quantité énorme de ses bouteilles chez ses concurrents qui ne peuvent pas les remplir, alors que toutes ces bouteilles représentent des bonbonnes de moins sur leurs propres stocks. 

Le marché du gaz connait une pénurie, concernant notamment certaines catégories de bonbonnes (9 et 11 kg). Et dans les médias, avant-hier, le Directeur du commerce avait soutenu qu’il n’y a pas de pénurie, mais plutôt une remise en cause de l’interchangeabilité des bouteilles entre opérateurs, que sont principalement : Total, Lobb Mame Diarra Bousso, Touba Gaz, Puma, Ola. ‘’Chaque maison a une couleur et dispose de ses propres bouteilles. Le consommateur peut avoir une bouteille bleue, mais s’il va à la boutique (pour recharger), on lui remet une bouteille rouge. (…). Le protocole n’est plus respecté par certains. Ce qui fait qu’il y a un concurrent qui dispose de plusieurs bouteilles et un autre qui n’en dispose pas. Ce qui se répercute sur la disponibilité de certaines bouteilles’’, a déclaré Oumar Diallo. Mais, selon plusieurs sources contactées dans le secteur, notamment auprès des principaux «marketeurs (sociétés qui remplissent les bouteilles de gaz)», mis en cause, soit le Directeur du commerce n’est pas bien informé de ce qui se passe réellement, soit il a fermé les yeux la dessus. En effet, le problème vient d’un seul acteur, bien identifié et connu : la société Total. L’entreprise française a, d’un coup, abandonné chez ses concurrents, une importante quantité de bouteilles. Ces dernières n’étant plus sur le marché, ça a créé un gap, donc une pénurie, notamment dans les zones où total est le principal fournisseur. ‘’Le problème est que c’est Total qui a d’un coup, abandonné ses bouteilles dans le marché. Or Total a une quote-part importante dans le marché. Elle représente 20 à 21%. Donc si elle abandonne brusquement plus d’un million de bouteilles dans le marché national, ça va poser forcément problème’’, nous souffle une source qui connait le secteur comme sa poche. Et d’ajouter que cela pose problème, parce que le fait que Total abandonne ses bouteilles qu’eux ne peuvent pas enfuter (remplir) entraine des pertes importantes dans leurs propres stocks de bouteilles. 

Comment Total a pernicieusement entrainé une pénurie, en abandonnant ses bouteilles détenues aux mains de ses concurrents

‘’Si Total laisse ses bouteilles à un concurrent, ce dernier n’a pas le droit de les enfuter. Il est obligé de les garder dans son centre de remplissage. Or, si tu prends des bouteilles d’un confrère que tu n’as pas le droit d’enfuter (recharger) et qu’il refuse de venir les récupérer, ça peut te handicaper lourdement. Pour que vous compreniez bien le problème, supposons qu’une société comme Touba Gaz, enfute 20 0000 bouteilles aujourd’hui. Elle les met dans le marché et récupère 5000 bouteilles de Total (soit 5000 de ses bouteilles vendues à des gens qui avaient des bouteilles Total, en vertu du protocole d’interchangeabilité). Mais Total décide de ne pas récupérer ses bouteilles, et les laisse à Touba Gaz qui ne peut pas les recharger pour les remettre sur le marché. Le lendemain, Touba gaz ne pourra plus enfuter 200000 bouteilles, mais 15 000 seulement, parce que ces 5000 bouteilles sont chez des clients de Total. Il enfute les 15 000 bouteilles qui lui restent et récupère encore 5000 autres bouteilles de Total, que cette dernière refuse toujours de venir récupérer. Touba Gaz va se retrouver avec 10 000 bouteilles par jour. Son stock et sa production vont baisser au fur et à mesure qu’il récupère des bouteilles de Total, qu’elle n’a pas le droit d’enfuter. Ce qui va poser un énorme problème. C’est en réalité, ce qui fait qu’en un moment donné, personne n’a voulu prendre des bouteilles de Total. Parce que si on continue à le faire, la pénurie sera de plus en plus grave, parce que les autres auront moins de bouteilles à enfuter’’, explique notre interlocuteur. Qui conclut : ‘’C’est total qui a saboté le marché et les gens n’ont pas le culot de le rappeler à l’ordre’’. 

‘’Ce n’est pas un problème d’interchangeabilité. Nous n’avons aucun intérêt à ce qu’un consommateur de gaz soit dans la souffrance’’

Il est conforté dans sa position par un capitaine d’industrie du secteur que nous avons également joint hier. ‘’Ce n’est pas un problème d’interchangeabilité que refusent certains acteurs. Nous ne refusons pas de changer des bouteilles. Que ce soit Touba Gaz, Lobb, Puma, Ola…, on échange normalement nos bouteilles. On a aucun intérêt à refuser de le faire. Qu’est-ce que Total nous a fait pour qu’on refuse de changer ses bouteilles ? Nous n’avons aucun intérêt à ce qu’un consommateur de gaz soit dans la souffrance. Comment un producteur peut laisser le consommateur de son produit dans la souffrance ? Le problème ce n’est pas les acteurs, mais un acteur. Qu’on dise la vérité aux gens. Malheureusement, beaucoup parlent sans connaitre les réalités du terrain. C’est ça notre problème’’, martèle-t-il. Et d’ajouter que le problème ne s’est jamais posé du temps de l’ancien patron de la boite, M. Thibaut et encore moins avec les autres entreprises. ‘’Je lui ai consigné à l’époque, plus de 20 000 bouteilles, il a payé et a réglé son problème. Celui qui est la maintenant, je lui ai proposé de lui consigner des bouteilles et même de lui prêter des bouteilles, les courriers sont là, mais il a refusé’’, charge-t-il. ‘’Puma, on lui a déconsigné deux fois 20 000 bouteilles, ça fait 40 000 bouteilles. Quand il a eu encore le même problème, on lui a prêté 20 000 bouteilles. Et il a continué de travailler sans problème. On l’a fait en tant que patriote et républicain, pour qu’elle tourne et qu’il n’y ait pas de problème dans le secteur. Après avoir fait tous ces efforts, on vient nous dire qu’on a refusé de changer des bouteilles. Ça n’a même pas de sens’’, soutient notre interlocuteur. Qui, d’ailleurs, souligne que son entreprise a même augmenté ses tonnages, rien que pour éviter tout problème dans la disponibilité du gaz. ‘’On n’a jamais atteint les tonnages qu’on a fait ces derniers mois, rien que pour qu’il n’y ait pas de problèmes dans le secteur’’, dit-il. 

Sur instruction du ministre, Lobb Mame Diarra Bousso a déconsigné 10 000 bouteilles au profit de Total qui, à ce jour, traine les pieds pour payer

Conscient de la situation, la tutelle est intervenue pour trouver une solution.  Elle a ainsi obligé d’autres opérateurs à déconsigner (rendre des bouteilles à Total, en contrepartie du payement de la caution de 6000F/bouteille) des bouteilles. Ce qu’a confirmé le patron de l’entreprise Lobb Mame Diarra Bousso, joint hier. ‘’Nous avons déconsigné 10 000 bouteilles que nous avons données à Total, à crédit, rien que pour sauver la situation. Ça fait 60 millions qu’elle pouvait nous payer cash, mais jusqu’à présent, elle ne l’a pas fait. Or, si c’était elle, elle allait exiger d’être payé avant de livrer la moindre bouteille’’, a déclaré le patron de ce fleuron national du secteur. Il dénonce un sabotage qui ne dit pas son nom. ‘’C’est à limite du sabotage. Le patron de l’entreprise fait ce qu’il veut et il n’y a personne pour lui remonter les bretelles. Je suis convaincu que si c’est une des entreprises nationales qui avait agi ainsi, on l’aurait depuis lors, envoyé un courrier pour lui demander d’arrêter’’, peste M. Lô. Pour lui, l’Etat devait obliger Total à récupérer ses bouteilles et les enfuter. ‘’C’est un secteur sensible’’, justifie-t-il. 

En effet, une pénurie grave de gaz peut conduire à des manifestations et émeutes, comme on a eu à le voir dans le passé. Il est d’autant plus remonté que ce n’est pas une première. Mais qu’à chaque fois, par patriotisme, Lobb Mame Diarra Bousso a accepté de sauver la situation. ‘’Quand la situation s’est posée, j’ai écrit officiellement à Total pour lui proposer de déconsigner. On lui a même proposé de lui prêter des bouteilles, mais elle a refusé’’, soutient-il. Et de rappeler que dans une situation assez similaire, il a eu à prêter 20 000 bouteilles de 6 kg et 15 000 bouteilles de 2,7 kg à Puma, pour qu’elle décante sa situation. ‘’Effectivement, elle a pu décanter la situation et éviter ce que nous voyons aujourd’hui. Mais total n’a pas accepté malheureusement. Allez savoir pourquoi’’, conclut-il. 

‘’Le gaz arrive normalement, les stocks sont largement suffisants ; c’est Total qui fait ce qu’il veut et personne n’y peut rien. C’est ça le problème’’

Pour les acteurs que nous avons interrogés, si la tutelle a quelqu’un à pointer du doigt dans cette situation, c’est uniquement la société Total. Pour un des responsables du secteur de la distribution, il y a une volonté manifeste de faire chanter l’Etat, suite aux évènements de mars et les casses qu’avez subi des stations Total. Ce qui est pour lui inacceptable, d’autant plus qu’il trouve qu’il y a même une exagération dans la quantification des dommages. ‘’En réalité, elle veut faire de la surenchère, après les évènements de mars. Elle a voulu profiter des pertes subies pour faire chanter le gouvernement. Tous les professionnels sérieux du secteur savent que Total aurait pu même reprendre ses activités au lendemain des faits. Car aucune réserve de carburant n’a été incendiée ; aucun dépôt de gaz n’a été brulé. Même la mécanique des pompes n’a pas été endommagée. Les manifestants n’ont cassé que des vitres ou pris des bouteilles de gaz. Mais ils veulent exagérer tout et mettre ça sur le dos de l’Etat. C’est l’Etat qui doit prendre ses responsabilités’’, clame-t-il. 

NB : Hier nous avons plusieurs fois appelé à Total pour lui permettre de s’expliquer sur la situation et les accusations portées contre elle. Mais à chaque fois, on nous promet de nous mettre en rapport avec quelqu’un, en vain. Dès que l’appel est transmis, ça sonne dans le vide. C’est finalement à 16h qu’on est entré en contact avec quelqu’un qui nous a fait savoir qu’il n’était pas la personne indiquée pour nous parler et qu’il fallait attendre le lendemain (aujourd’hui) pour rappeler. Nos colonnes leurs sont toujours ouvertes.

Mbaye THIANDOUM