La bataille culturelle perdue
Nous sommes certes une démocratie de faible intensité, mais il est rassurant de voir au moment où nos voisins sombrent dans les coups d’Etat, que le pays est capable d’organiser deux élections en six mois sans contestations majeures.
Nous devons cette réussite, qui rendrait envieux des millions d’Africains, à nos pères fondateurs, aux longues luttes démocratiques menées par les partis et la Société civile depuis 1960. Cette histoire a permis aux Sénégalais d’être exigeants sur la matière électorale.
Il faut aussi saluer les fonctionnaires de l’Etat pour l’organisation du scrutin. Les agents publics, neutres et républicains, font la fierté de notre pays par leur compétence, leur rigueur et leur sens élevé de l’Etat. C’est pour cette raison que j’avais trouvé choquante l’accusation de certains leaders politiques relative à la falsification de leur liste par la Direction générale des élections. L’adversité en politique n’excuse pas tout. Etre républicain, c’est sortir de son être, oublier son idiosyncrasie pour voir en chaque citoyen son semblable et être prêt à aller à l’encontre de ses intérêts au nom de l’intérêt général. La nécessité de préserver la sacralité des institutions républicaines doit surpasser les querelles politiciennes.
Les résultats de dimanche dernier, sans entrer dans leur analyse fine et leur conséquence dans le jeu démocratique, constituent un séisme politique au Sénégal. Jamais l’opposition démocratique n’a obtenu un tel score au Sénégal lors d’élections législatives. Et dans la même veine, jamais une majorité parlementaire sortante n’a suscité un si grand désaveu. Le temps de leur lecture politique viendra. Mais déjà, il faut saluer le fait que les acteurs semblent tous accepter la sincérité du scrutin et la fiabilité du processus ayant conduit à ce résultat. Ce malgré le contentieux qui s’ouvre à propos de deux ou trois départements pour lesquels il faudra attendre les résultats définitifs car la victoire y est revendiquée de part et d’autre des principales coalitions en lice.
La classe politique devrait à partir de 2022 en finir avec les querelles dérisoires sur le fichier électoral, l’organisation du scrutin par un ministre de l’Intérieur partisan ou la supposée inféodation de l’Administration territoriale au parti au pouvoir.
Les régimes passent, les oppositions s’enchaînent, mais demeure la même irresponsabilité qui place sous la vindicte populaire des fonctionnaires et un processus fiable. Ma conviction, maintes fois rappelée, est la suivante : depuis 1993, les élections sont libres, démocratiques, transparentes et fiables au Sénégal. Les partis politiques devraient dorénavant s’acharner à dépasser la règle électorale pour débattre des vraies questions liées aux conditions de vie de nos concitoyens ; celles-ci ayant trait à l’école, à la santé, à la culture, à la sécurité, à la place de notre pays à l’international et dans l’histoire…
Ces questions me semblent plus essentielles que les badinages des gens d’And Samm Jikko Yi et de leurs cousins de Jamra, qui véhiculent de manière mensongère l’existence d’un agenda lgbt au Sénégal.
La présence de manière soutenue de ces lobbies dans la campagne confirme la perte de la bataille culturelle par le courant progressiste sénégalais. Nous avons cédé face aux agissements d’une bande de démagogues mus par un agenda réactionnaire et dangereux. Plutôt que de discuter de programmes politiques, le débat tourne autour d’une plateforme rétrograde imposée par des individus qui ne jouissent d’aucun mandat électif. Ils ont réussi à soumettre toute la classe politique -à l’exception notable de deux ou trois- à leurs passions tristes par le chantage et la tyrannie verbale.
Faire la politique, c’est proposer un projet de société, définir un imaginaire de transformation des conditions de vie des citoyens et penser dans le temps long l’idée de Nation. Ce n’est pas de se coucher devant les volontés d’un groupuscule qui instrumentalise les paniques morales et l’insécurité des citoyens pour dérouler un agenda en ne reculant devant aucun mensonge ni aucune manipulation.
Ces politiciens cachés ont fait chanter toutes les listes de ces Législatives pour les obliger à adhérer à leur plateforme. Dans leur document, ils réclament la restauration de la peine de mort, l’instauration des critères moraux, selon eux, pour accéder à des fonctions nominatives et électives, la mise en place d’une chambre des cultes pour juger de la conformité des lois dans une République, la réduction des jours fériés qui sont des acquis des travailleurs, la revue des contenus des médias, en prenant comme exemple… l’Iran et la Chine, le changement du programme éducatif sénégalais…
Leur opposer la moindre résistance par la critique dans le fond, c’est subir ensuite leurs mensonges et calomnies. C’est être traité par ces faux-dévots d’homosexuel, de franc-maçon ou de suppôt de l’Occident. Une vieille rengaine des adeptes de la manipulation et du totalitarisme.
Comment des parlementaires, des anciens ministres et des maires peuvent-ils accorder le moindre crédit à ces gens jusqu’à signer leur mémorandum qui est un médiocre manuel antirépublicain de soumission aux mœurs d’une infime minorité ?
Par Hamidou ANNE