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TEMOIGNAGE : «Moi, Mariama Bissau-guinéenne, 28 ans ancienne étudiante en année de Master et prostituée»

TEMOIGNAGE : Il est 19 heures, le village touristique commence à s’assombrir. Les rues et les recoins connaissent une certaine animation. Les restaurants et les boîtes de nuit qui longent la route principale sont pris d’assaut et cela jusque devant le trottoir.

 Des touristes attablés à la devanture des  restaurants prennent un verre. Certains sont là pour chasser une nouvelle proie.

Au Cap Skirring  presque 99% de la population consomment de l’alcool. C’est dans un campement très  fréquenté au Cap, que nous avons rendez-vous avec Mariama, un nom d’emprunt.

La Bissau-guinéenne Mariama est une prostituée. Sur les lieux,  la forte odeur de l’alcool et le fort bruit de la musique vous agressent le nez et les oreilles.

Dans ce bistrot les gens viennent acheter de l’alcool pour le consommer sur place alors que d’autres préfèrent acheter et partir.

 Les bières comme le  Flag, 33 sports, Heineken, la bière Gazelles sont les boissons alcooliques les plus consommées.

 Les vins sont surtout consommés par les blancs. Il est 20 heures, Mariama tarde toujours à venir. Ce n’est que vers 20h 10 qu’elle pointe enfin le bout de son nez.

Elle s’excuse en disant qu’au moment de venir à notre rendez-vous, un client s’est pointé pour une partie de plaisir.

Habillée d’une robe bleu ciel très courte qui couvre à peine toutes ses fesses et des chaussures talons hauts, cette jeune fille teint clair, de courte taille, avec des piercings sur le nez et sous la lèvre inférieure accepte de parler pour la première fois à une journaliste.

 Ce n’est pas sans gêne  qu’elle répond à nos questions.

 Tête baissée, elle cache sa honte d’aborder cette question en jouant avec ses doigts. Finalement, elle accepte de se livrer en révélant qu’elle pratique ce métier indépendamment de sa volonté.

 En effet, c’est depuis trois années qu’elle a commencé à  «vendre son corps», faute de moyens.

 Ayant perdu sa mère un  an avant, elle s’est retrouvée seule car ayant perdu la personne qui l’aidait le plus.

Issue d’une famille démunie, elle est contrainte à vivre les difficultés de la vie aux côtés de son père et de ses frères et sœurs.

 La licence de droit obtenue à l’université Amilcar Cabral de Bissau, elle devait s’inscrire en année de Master.

 Mais, les démarches entreprises pour le Master n’aboutissent pas et cela malgré les nombreuses sollicitations effectuées auprès d’autres personnes pour lui permettre de continuer ses études.

Ne pouvant plus vivre dans cette pauvreté et incapable de faire son Master, elle ressent un profond dégoût pour la vie.

 C’est ainsi qu’elle a commencé à s’adonner à la prostitution d’abord en Guinée Bissau.

Pendant une année, elle le faisait dans son pays pour aider sa famille prétextant toujours que les sommes ramenées à la maison sont le fruit de ses petites activités d’écailleuse de poisson au marché.

Les soupçons commençant à  peser, elle décide de venir en février 2017 au Cap Skirring pour la première fois.  Ne connaissant personne dans cette localité, elle loge dans un campement avant de partager sa chambre au cours de cette année avec deux autres filles, toutes deux ses compatriotes.

Au Sénégal, explique-t-elle tout en continuant de mâcher son chewing-gum, elle a des parents installés à Bignona et qui jusqu’à présent ignorent son vrai travail.

 Même son père décédé il y a à peine quatre mois a toujours ignoré la vraie activité de sa fille. A ses proches, elle leur a déclaré qu’elle est femme de ménage dans un hôtel et aussi dans une boîte de nuit au Cap Skirring.

Elle dit ne rien regretter puisque ses parents ont ignoré réellement son vrai travail jusqu’à leur décès. Ses frères et sœurs restés au pays, elle dit leur parler souvent, mais aussi elle leur envoie de l’argent de temps en temps.

 D’ailleurs, c’est elle qui paie  la scolarité de ses frères restés, en Gunée-Bissau.

«Je ne veux pas qu’ils vivent ce que j’ai vécu. S’il faut que je me prostitue jusqu’à 80 ans pour payer leurs études je le ferai», nous dit-elle.

Avec ce métier, elle parvient à satisfaire ses besoins et ceux de sa famille. Maintenant le loyer de sa chambre, elle le partage avec ses deux compatriotes. Elles paient ainsi sept mille francs par jour.

 Mariama

peut gagner jusqu’à 35.000 francs pendant une nuit avec trois ou quatre clients. Mais des fois elle peut gagner 75.000 francs pour une seule nuit.

 Même si elle admet que cela n’arrive  pas souvent. «J’avoue que cette somme, je la gagne rarement sauf pendant les périodes de fêtes ou avec les blancs», confie-t-elle avec un sourire en coin.

Les week-ends, elle peut gagner au bas mot quarante mille. Les rapports sexuels n’ont pas de prix fixes, mais le bas prix pour elle, reste 3.000 francs pour dix minutes.

 Embrasser un client, elle ne le fait jamais. Mais pour caresser ses seins ou jouer avec, il faut augmenter deux mille francs.

  Ainsi elle peut coucher avec huit  hommes en une nuit, entre son réveil à midi jusqu’à 6h du matin, heure à laquelle elle va dormir.

Très consciente des risques qu’elle encourt avec son métier notamment avec le danger de choper des maladies infectieuses telles que le Sida, elle a décidé de chercher un carnet sanitaire.

 Elle dit avoir obtenu ce carnet depuis le  mois de juin dernier.  Avant, elle exerçait de façon clandestine. Elle part chaque mois à Oussouye pour consulter une sage-femme.

A la question de savoir si elle est prête à quitter ce milieu un jour, elle répond par l’affirmative mais à condition de trouver un riche homme blanc qui la prendrait comme épouse.

Maïmouna SANE