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REDEFINITION DES RAPPORTS BILATERAUX AVEC LA FRANCE POUR UN PARTENARIAT GAGNANT-GAGNANT. PAR MOUNIROU FALL

Le rééquilibrage des relations entre la France et le Sénégal (dans un cadre sous régional) mérite une réflexion sur la stratégie déroulée par les leaders de la 4ème alternance issue des urnes du 24 mars 2024. D’un premier constat résulte que le basculement du Sénégal dans une certaine posture marquera de fait la fin du pré-carré français en Afrique de l’Ouest. En effet, la cristallisation des antagonismes avec l’apparition d’une nouvelle radicalité « panafricaine », qui s’insurge contre la présence militaire et économique française et, plus globalement, l’hégémonie du Franc CFA, synonyme d’un ordre international inique, est aujourd’hui confrontée aux données de la « real politique ». Ce réveil brutal « non prévu » s’est fait parallèlement à l’effritement après 60 ans, des bases des « partis politiques traditionnels » jadis calqués sur le modèle « Focardien ». Cependant, ne soyons pas naïf : les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, comme disait le général De Gaule !
Quoiqu’il en soit, perdre le Sénégal pour la France, serait synonyme de perdre l’Afrique de l’Ouest. Aussi, nos nouveaux dirigeants devront déterminer avec clairvoyance leur position face à l’histoire.

Entre Souverainisme et Panafricanisme
L’équilibre des pouvoirs s’éloigne de l’Occident. De plus en plus de pays se tournent vers d’autres stratégies, notamment un développement autocentré qui est une stratégie de développement économique basée sur l’accroissement du marché intérieur en priorité. Elle vise à développer une autonomie vis-à-vis du commerce extérieur. Concrètement, les pays qui adoptent cette approche (le Nigeria, l’Afrique du Sud) axent leur développement sur les besoins nationaux, protègent leur secteur agricole et leur tissus industriel par des droits de douane et cherchent à assurer des débouchés à l’industrialisation en se détachant progressivement des importations. Cette stratégie est souvent mise en œuvre dans des pays qui ont connu des spécialisations défaillantes exportateurs nets de leurs matières premières et importateurs de ces mêmes produits transformés en retour, et qui cherchent à diversifier leurs productions tout en évitant une dépendance excessive aux échanges internationaux.
Nos dirigeants issus actuels se retrouvent face à deux options qui sont mutuellement contradictoires : La rupture ou la renégociation issues d’un Souverainisme clivant ou d’un Panafricanisme réaliste. Une relation dialectique existe entre les options portées par les mouvements citoyens issus d’une société civile néo-panafricaine. Mouvements qui ont menés à de larges mobilisations de rue qui ont créé les conditions sociopolitiques de la survenue de transitions (par les urnes ou par des putschs), dont la réussite et l’inscription dans un registre panafricain ont suscité une floraison de collectifs et/ou de mouvements d’appui. Tout cela en raison des dysfonctionnements de la gouvernance, de la corruption endémique, de la situation socioéconomique critique, de la perte de confiance des citoyens dans les partis politiques et dans leur justice.

La « société dite civile » se trouve au centre de ces dynamiques. Une société multiforme qui accouche d’acteurs nouveaux du fait d’une jonction que tout semblait opposer : les mouvements néo-panafricains et les mouvements citoyens qui les ont précédés de quelques années. Sur la forme tout d’abord, les premiers apparaissent virulents, clivants, (tel le mouvement France dégage) là où les seconds cultivent le registre légaliste avec une mutation en partis politiques avec des modes d’action basés sur le constat d’une dystopie du modèle de développement en vigueur. Sur le fond surtout, les premiers identifient la source des malheurs dans la subordination du pays à l’Occident, les seconds dans la subordination à une oligarchie corrompue. Domination externe pour les uns, domination interne pour les autres.

Une vision géopolitique obsolète ……

La dénonciation de l’emprise économique étrangère, leur mainmise sur les ressources naturelles, la tutelle monétaire de l’ancienne métropole a été dénoncée durant des décennies, par des intellectuels, économistes et militants progressistes et/ou nationalistes – altermondialistes, développementalistes postcoloniaux –, avant d’être mobilisée par les Jeunes étudiants avant de trouver une caisse de résonnance sur les réseaux sociaux et la nouvelle génération de partis politiques au cours des années 2010. Avec la montée en puissance d’un cyber activisme souverainiste radical, alimenté dans une grande mesure par des membres de la diaspora, les mouvements citoyens mettent le doigt sur l’exploitation des richesses de l’Afrique qui font tourner les industries et l’économie des pays du Nord. L’accès au savoir et à l’information ont permis l’émergence de sociétés entièrement revues et corrigées qui sortent de cette logique binaire de segmentation des rôles faisant de nos pays des consommateurs éternels et les autres les producteurs/transformateurs des nos ressources et matières premières.
Face à ce déphasage entre les citoyens et les politiques, l’option des derniers a plus été orientée vers la gestion des « crises » – réelles ou supposées – pour entériner des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles jadis deviennent politiquement inévitables. L’on peut ranger dans cette catégories les dérives telles que « forces occultes, forces organisées, terroristes, salafistes, …» allant jusqu’à modifier « en procédure d’urgence » en juin 2021 le Code Pénal qui introduit « la répression des faits de financement du terrorisme » la redéfinition de l’infraction d’association de malfaiteurs… !
Malgré tout cet arsenal, l’essor des mobilisations citoyennes populaires contre l’influence étrangère dans les pays d’Afrique francophone s’est renforcée. Ce qui a produit deux types de postures : l’une extrême prônant la rupture immédiate et l’autre inscrite dans une logique de dialogue dans le respect des constitutions (Souverainistes versus Populistes).
Au-delà du respect des constitutions, ces « mouvements citoyens » militent pour une démocratisation substantive des institutions politiques de leurs pays, « dévoyées par des autorités corrompues et autoritaires ». Leur idée maîtresse est qu’une mobilisation citoyenne peut faire reculer le clientélisme et forcer les détenteurs du pouvoir à gérer l’État dans le sens de la bonne gouvernance et de l’intérêt de la population, avec surtout une justice indépendante.
Ces mouvements qui ont fortement contribués à la troisième alternance politique au Sénégal, suscitent de l’enthousiasme et font des émules dans et en dehors de notre pays jusqu’au Ghana, le plus francophone des pays anglophones d’Afrique de l’Ouest).

Dans la foulée de leurs principales victoires, ces « mouvements » ils ont fait face au défi organisationnel, de leur structuration à l’échelle nationale, de leur inscription dans la durée comme des lanceurs d’alerte, des sentinelles de la démocratie. Leur rayonnement leur permet de « Dialoguer » et de nouer des partenariats pour mener des activités de sensibilisation/mobilisation à l’échelon local et ont consolidé formellement la place et le rôle des Acteurs autres que les Partis Etats dans la recherche du bien-être des populations.

Partenariat autour des chaines de valeur
Les basculements en cours dans les relations internationales doivent pousser nos dirigeants à sortir du statut de « sujet » pour devenir des « acteurs » à part entière de la nouvelle géopolitique. Elaborer des stratégies holistiques, souveraines permettant d’assurer les mutations profondes de leurs pays. Redistribuer la valeur ajoutée créé à partir de nos ressources dans nos pays via la transformation locale des produits. L’exemple le plus flagrant autour de la transformation et du renforcement des chaines de valeur reste celui de la consommation de l’huile d’arachide issue de l’agriculture locale. Mis à part le « Segall » réalisé à petite échelle par les fermes rurales, le produit de l’huile d’arachide raffinée n’est plus à la portée des ménages sénégalais qui doivent se contenter des huiles de soja et de tournesol importés et conditionnées qui ne sont pas de la même valeur nutritive. L’autre exemple est celui du chocolat que nous consommons avec une forte valeur ajoutée réalisée et conditionnée dans des pays où une seule fève de cacao ne pousse ? Les exemples sont nombreux rien que pour les produits agricoles sans parler des ressources minières et minérales.
Une rupture systémique s’impose à travers les ressorts de la real politique. L’option stratégique est de transformer localement des richesses locales à travers un transfert de technologie bénéfique aux deux parties. A la place de la colonisation d’occupation déroulée par la France, avec un monopole sur les leviers économiques et financiers (contrairement à l’indirect Rule de la GB), la seule option stratégique qui s’offre est celui d’un recentrage économique matérialisé par un appui conséquent ainsi qu’une protection/promotion de notre agriculture et du tissu industriel local. Par local, nous entendons appartenant au moins à 51% à des Sénégalais (comme cela se fait dans d’autres pays chantres de la démocratie) pour juguler le système de prêtes noms qui existe dans le secteur de la pêche.
Les binationaux comme jokers ?
Un screening de plus de 93 candidatures qui avaient été déposées au Conseil constitutionnel pour compétir aux élections présidentielles, 18 candidats potentiels détiennent une double nationalité. Des ministres, maires, directeurs généraux d’entreprises publiques, avocats, hommes d’affaires ont une double nationalité et servent de joker politique. La stratégie mise en place pour la France a été de miser sur les binationaux que l’extérieur veut utiliser comme passerelles pour redéfinir une nouvelle coopération avec l’Afrique. Ils jouent sur la proximité affective avec la France pour les placer dans les sphères de responsabilités en jouant sur leurs relations filiales avec leurs familles sénégalaises. C’est une Francafrique plus soft, moins agressive et plus portée vers le partenariat gagnant-gagnant. Pour ce faire, il va miser sur le retrait progressif des troupes françaises, leur positionnement comme forces d’appoint en cas de demande.
Il est évident, dans ce contexte, que l’arrogance et le paternalisme vont céder la place à la concertation pour trouver des solutions communes aux problèmes de l’Afrique. La France ne veut pas perdre la face et elle est prête à des concessions. D’autant qu’elle est pressée par la communauté internationale pour une décolonisation des pays encore sous tutelles comme la Nouvelle Calédonie. Dernier pays à encore entretenir des colonies, elle ne voudrait pas être mise davantage au banc des accusés. Elle est donc face à un défi historique.
Face à la parade, à l’image de Tidiane THIAM en Côte d’ivoire qui est mis en selle pour toujours entretenir les leviers de la France-Afrique (malgré un discours plus ou moins panafricaniste pour la galerie), le Sénégal a rompu le 24 mars avec la logique des supplétifs. Perdre le Sénégal pour la France serait perdre l’Afrique de l’Ouest. Un tournant à ne pas rater et qui conditionnera la suite de ses relations avec les pays de la CEDEAO et surtout ceux de l’AES.
MOUNIROU FALL