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DU «NI OUI, NI NON», A LA LIBÉRATION DE SONKO ET CIE: Comment Macky Sall a fait battre Amadou Bâ

Les urnes ont parlé ! L’opposant Bassirou Diomaye Faye a largement remporté la présidentielle du 24 mars dernier. Une victoire reconnue par son principale challenger, le candidat du pouvoir Amadou Bâ. Et à sa suite, son mentor, le chef de l’Etat sortant a félicité celui qui sera son remplaçant sous peu. Cette défaite retentissante était pourtant prévisible si l’on tient compte d’un certain nombre de faits, notamment des actes posés par le président Sall lui-même et dont la somme des conséquences ont conduit à la bérézina électorale de son candidat à la présidentielle.

La décision tardive de ne pas se présenter à la présidentielle

La première erreur de Macky Sall, c’est d’avoir toujours entretenu le flou sur sa volonté ou non de se présenter à un 3e mandat. Ce qui est d’autant plus paradoxale qu’il a affirmé urbi et orbi que cela ne lui a jamais traversé l’esprit de se présenter encore à la présidentielle, ce qui serait trahir sa parole déjà donnée. En le faisant, non seulement il a mis de l’eau dans le moulin de l’opposition, qui s’est emparé du sujet comme angle d’attaque contre lui et son régime, mais aussi il a semé l’incertitude, la confusion et le doute dans son propre camp. Son camp, qui, faute d’un message clair en ce sens, ne s’est jamais placé dans la perspective d’avoir un autre candidat que lui à la présidentielle et encore moins travaillé pour cela. Or, on sait qu’une élection, ça se prépare des années. En refusant de choisir très tôt son dauphin, alors qu’il savait pertinemment qu’il n’allait pas se représenter, du moins si l’on se fie à ses déclarations, le patron de l’Apr et de BBY a privé la mouvance présidentielle d’un «héritier» connu et reconnu comme tel, donc légitime et crédible.

Amadou Ba désigné au mauvais moment et dans de mauvaises circonstances

C’est pourquoi, quand il a fallu choisir un candidat au dernier moment, beaucoup de mains se sont levées. Ce qui a attisé les adversités internes, conduisant aux fractures et cassures qui ne se sont jamais soudées jusqu’à la défaite de dimanche dernier. Non seulement c’était une erreur de choisir très tard le candidat de BBY, mais aussi le mode de désignation a posé problème. Il aurait dû choisir de manière «discrétionnaire» Amadou Bâ ou un autre en se donnant le temps de réduire à leur plus simple expression, toutes les contestations. Mais il a choisi de lancer une compétition qui était biaisée dès le départ, puisqu’au final, c’est lui qui choisit. En acceptant le principe de la compétition pour désigner un candidat, il aurait dû suivre sa logique jusqu’au bout, en organisation des sortes de primaires où c’est la coalition qui désignerait démocratiquement, par le vote, son candidat. Là, il y aurait beaucoup moins, ou même, pas de contestations et encore moins de départs qui ont été fatales à Amadou Bâ.

Un manque de soutien notoire du Président Macky Sall à Amadou Bâ, qu’il a essayé de faire trainer dans la boue

En dehors du fait d’avoir tardivement déclaré sa volonté de se pas se présenter à la présidentielle, alors que dans son parti et sa coalition, la majorité le réclamait, ainsi que du choix tardif et polémique du candidat du pouvoir, Macky Sall a commis également une erreur plus grave. Il a laissé Amadou Bâ se faire critiquer, attaquer, piétiner, au sein même de son parti, l’APR et de sa coalition BBY, parce que ses détracteurs ne sentaient aucun soutien et encore moins une protection du chef du parti, qui pourraient les dissuader ou les contraindre de se ranger derrière son choix. En laissant prospérer cette image d’armée mexicaine au sein de son parti et de sa majorité, il a considérablement affaibli son candidat, qui ne pouvait même plus compter sur les responsables les plus en vue de l’APR, qui se cachent derrière le vocable de «faucon». Pire, quand l’affaire de corruption présumée de juges du Conseil constitutionnel a éclaté et que Amadou Bâ a été cité par les accusateurs, il a posé des actes (report de la présidentielle, loi prorogeant le mandat…) qui ont donné du crédit à ces accusations qui ne reposaient pourtant sur aucune preuve palpable.

Une campagne électorale sans l’appareil et sans moyens du parti et de la coalition

Et quand bien même que Amadou Bâ s’est débrouillé jusqu’au moment de la campagne électorale, il a été aussi lâché par son mentor, en ce moment décisif de la course présidentielle. Malgré un soutien de façade, devant les militants et les caméras, les plus hauts responsables politiques avaient croisé les bras, laissant Amadou Ba se débrouiller lui-même, comme s’il n’était pas candidat de l’Apr et de BBY. Macky Sall a attendu la dernière ligne droite de la présidentielle, alors que les carottes étaient déjà cuites, pour convoquer le Secrétariat exécutif du parti et donner un semblant et trop tardif mot d’ordre de mobilisation. Beaucoup l’ont suivi et sont descendus à la base, pour battre campagne, mais c’était trop tard, en plus le cœur n’y était plus vraiment. Alors que s’il avait très tôt mis ses troupes et ses moyens dans la bataille électorale, l’issue du scrutin du dimanche dernier pourrait bien en être autrement. Amadou Bâ aurait pu au moins accéder au second tour, comme le prédisaient tous les sondages et observateurs.

Libération de Sono et Diomaye, le coup de grâce

Alors que son candidat était déjà dans une très mauvaise posture, Macky Sall va lui donner le coup de grâce, avec la libération d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye, les «ennemis jurés» du régime. Une libération qui a donné une autre dimension à la présidentielle et a redistribué les cartes, au profit de la coalition Diomaye Président. Le retour de Sonko qui était guetté depuis des mois, avec le fameux «Sonko nam nanioula (Sonko tu nous manques», chanté dans les rues, les stades de football, les écoles, les concerts…, a fait l’effet d’un aimant, attirant les foules de militants et sympathisants, de Sénégalais lambda vers la coalition Diomaye Président. La ruée vers celle-ci était générale. Et la suite on la connait. A ces raisons de la débâcle du régime, s’ajoute la situation socio-économique du pays qui a collé Amadou Bâ à la peau. Entre cherté de la vie, chômage endémique des jeunes, emprisonnement à la pelle, le pouvoir s’était mis à dos bon nombre de Sénégalais, à un niveau qu’il ne soupçonnait même pas. En définitive, Amadou Bâ, trop affaibli dans son propre camp, et trainant avec lui le tableau noir (aux yeux de ses adversaires et détracteurs) de la gouvernance Macky Sall, n’avait aucune chance de remporter cette présidentielle devant Bassirou Diomaye Faye qui catalysait désormais toutes les nombreuses dynamiques anti-pouvoir et pour le changement.
Mbaye THIANDOUM