DR CHEICK ATAB BADJI, ANALYSTE DE POLITIQUE « Le pouvoir a le monopole de l’action et l’opposition celui du bruit »
Titulaire d’un MBA (Master of Business Administration) en Sciences politiques, Dr Cheick Atab Badji, est un observateur averti. Dans cet entretien exclusif accordé à Vox Populi, il analyse la situation politique marquée par la guerre sans merci que se mènent les tenants du pouvoir et l’opposition la plus représentative incarnée par Yewwi Askan Wi.Quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle marquée par la guerre sans merci entre les coalitions Benno Bokk Yakaar et Yewwi Askan Wi ?L’analyse pourrait se faire sur trois niveaux : les acteurs du jeu politique, le jeu et l’enjeu. Pour le premier point, notamment les acteurs du jeu, la tension est à la hauteur du gabarit des protagonistes, un camp tenant du pouvoir et une opposition occupant véritablement une place et une légitimité significatives, bonifiées lors des dernières consultations, sur l’échiquier politique. Le second point, c’est le jeu dont les règles ont été dernièrement décriées par une opposition qui, après en avoir fait un cheval de bataille motivant la contestation, pourrait en faire un outil par le biais de la victimisation, à tort ou à raison. Et enfin, et surtout, l’enjeu : il s’agit d’élections pas comme les autres.
Dans l’histoire politique récente, nous allons vers les secondes élections «co-habitogènes», après bien celles de 1998 qui ont installé une cohabitation de fait en 2000, habilement jugulée par une ingénieuse idée de référendum dont le résultat final fut ce qu’il fut.Pensez vous que Sonko et ses alliés soient en train d’adopter la bonne stratégie, à savoir celle de la confrontation avec le régime ?En démocratie normale, ce qui conforte une opposition, c’est la confrontation, idéalement sur le terrain des idées au prix d’escalades verbales, mais en toute conformité avec le cadre du moralement admis ou admissible. Qui dit opposition dit confrontation. C’est la qualité de cette confrontation qui définit la qualité de l’opposition. Le pouvoir doit être visible et l’opposition audible. Autrement dit, le pouvoir a le monopole de l’action et l’opposition celui du bruit. Une opposition se nourrit du bruit et le bruit nuit souvent au pouvoir, s’il ne réussit pas à en faire un son audible. Cela suppose de l’intelligence politique.
L’intelligence politique, c’est le génie politique qui accouche de ressources dites «d’invention politique» qui font la différence, soit par leur pertinence, ou leur opportunité. Malheureusement, le camp du pouvoir semble dernièrement tombé dans le piège de l’opposition en cessant de communiquer sur l’action publique, mais plutôt sur le verbe d’une opposition dans son rôle. A qui profite le bruit ?A votre avis, l’opposition peut-elle imposer la cohabitation au régime au sortir des élections législatives?En politique, il faut prévoir toutes les éventualités. Et celle d’une cohabitation est bien possible ; immédiate, c’est-à-dire en 2022, ou différée, c’est-à-dire en 2024 (et peut-être c’est sous cet angle qu’il faut lire le choix d’être à la fois chef de l’Etat et chef de parti). D’ailleurs, c’est l’un des grands enjeux de ces élections comme signalé précédemment. Autrement dit, à côté d’un troisième cas de figure qui est celui d’un pouvoir qui rempile en trouvant sa majorité parlementaire, les deux autres cas sont, soit celui d’une «opposition cohabitante», soit celui d’un «pouvoir sortant cohabitant». Ce qui est intéressant du point de vue lecture politique, c’est surtout le caractère paradoxal des acteurs politiques avec pouvoir et opposition devenant ou restant à la fois opposition et pouvoir. Dans ce paradoxe politique, seule l’intelligence politique permettra aux protagonistes de tirer leur épingle du jeu.
Une lecture froide et intelligible. Et elle pourrait se concevoir à la fois pour le pouvoir et pour l’opposition comme suit ; pour l’opposition, les dernières élections locales ont aménagé l’opposition dans la «cour» du pouvoir dans des parcelles qui sont leurs, le temps d’un mandat. Forte de cela, elle ambitionne par la magie de ces élections législatives, d’aménager dans l’antichambre du pouvoir. Or, l’antichambre ne mène pas forcément dans la chambre du pouvoir. La jurisprudence électorale hexagonale a enseigné le contraire. Et l’explication reste bien simple, et n’est pas rien moins qu’hériter de dossiers chauds ou lourds, sans pour autant avoir la marge de temps idoine (la Présidentielle se tenant pour moins de deux ans) d’une bonne imprégnation pour une action correcte peut affecter le discours et la posture, donc, l’opinion publique. Et la même lecture parallèle s’offre pour le régime et qui devrait en plus faire l’effort de coupler des signes d’essoufflement et besoin d’insuffler un nouveau souffle pour rebondir.Quelle lecture faites-vous de la position du président de la République, Macky Sall, concernant la question du troisième mandat ?En l’absence d’une position ferme réaffirmée, la lecture ne peut qu’être aléatoire.
Mais, en toute évidence, sa posture reste complexe entre lui, les siens et eux, comme trois niveaux interactifs d’une matrice politique. En fait, lui et les siens sont comme victimes d’une action politique qui s’appelle le parrainage. Une action politique ne se lit pas seulement sur le résultat immédiat, mais sur la chaîne de résultats qui comporte les effets et les impacts. Or, si le parrainage de l’élection présidentielle de 2019 a eu un résultat bénéfique pour le régime, mais son effet va occasionner un grand méfait pour le même régime, à savoir la création d’un potentiel géant politique dans le camp adverse par la réduction du champ de compétition à 5. En arithmétique politique, première erreur (ou malchance) dans le choix de la formule : en lieu et place de la soustraction des candidats, la multiplication aurait bien des allures de division ; le résultat immédiat serait peut-être autre. Conséquence, une première équation politique : trouver un inconnu x à même d’égaler au moins le score du camp adverse. Deuxième erreur politique, le recrutement d’opposants déclarés, dont la conséquence immédiate, c’est l’installation directe d’une bipolarité. Et enfin, l’absence d’un «numéro deux», à défaut d’un «numéro un bis», ferme le trépied. Dans tous les cas, la lecture aura besoin d’un autre paramètre : les élections de juillet 2022 et les phénomènes politiques des jours d’après.
Toutinfo.net Avec Voxpop