Sénégal: sortir au plus vite d’une impasse dangereuse
La tension est brusquement montée ces dernières semaines au Sénégal avec la disqualification de la liste nationale de candidats titulaires aux élections législatives d’une coalition majeure de l’opposition. Trois personnes sont décédées à l’issue de la journée du 18 juin lorsqu’une manifestation non autorisée par les autorités a provoqué des violences. Des responsables politiques de l’opposition et des dizaines de personnes ont été arrêtés. Les élections législatives prévues le 31 juillet s’annoncent tendues.
Le contexte politique et social à quelques semaines de ce rendez-vous électoral est tendu et le sentiment largement partagé est celui d’une impasse qui fait courir le risque d’une répétition d’un cycle de protestations, de répressions et donc de violences. Ce sentiment s’est dégagé à l’issue d’une table ronde virtuelle que WATHI a organisée le 22 juin sur les enjeux de ces élections législatives.
Pour nous, il s’agissait initialement d’examiner les offres politiques des coalitions de partis lancées dans la course, d’apprécier l’intérêt de ces législatives pour les électeurs et pour les acteurs politiques et de s’interroger sur ce que pourraient changer ces élections en fonction des résultats des uns et des autres. Entre-temps, les controverses pré-électorales et des décisions des institutions chargées de la validation des listes des partis ont pris le dessus sur toutes les autres considérations.
La table ronde virtuelle à laquelle nous avions convié quatre observateurs attentifs et informés de la scène politique et institutionnelle sénégalaise, a mis en lumière les limites des dispositions électorales qui ont connu beaucoup de modifications majeures au cours des dernières années : l’introduction des parrainages par les citoyens pour filtrer les candidatures aux différentes élections, la mise en œuvre de la loi sur la parité homme femme mais aussi des changements dans le processus d’examen et de validation des listes de candidatures. Manifestement, la volonté affichée d’amélioration du processus électoral n’a pas produit davantage de sérénité et de confiance entre les acteurs politiques.
Le problème de fond est-il celui d’une crise de confiance dans les institutions impliquées dans le processus électoral comme on le voit dans beaucoup d’autres pays de la région ?
Alors oui. Il faut d’abord signaler que le cadre électoral sénégalais est assez éprouvé et qu’il a permis d’organiser régulièrement des scrutins crédibles au fil des années et même de deux décennies. Il faut aussi rappeler, et un de nos invités l’a fait, le journaliste et analyste politique Barka Ba, rappeler donc que les élections au Sénégal ont rarement été aussi tranquilles et pacifiques qu’on a tendance à le penser. La violence autour des élections n’est pas une nouveauté, même si elle a toujours été relativement restreinte, en comparaison avec beaucoup de pays africains.
Mais s’agissant du processus actuel, Mamadou Seck, qui a une large expérience des processus électoraux, tout comme l’universitaire Mamadou Lamine Sarr, professeur de sciences politiques, ont mis en évidence des incohérences et des décisions difficiles à comprendre comme cette dissociation entre la liste de candidats titulaires et la liste de candidats suppléants présentée par les coalitions. S’il n’y a évidemment pas lieu de contester la décision d’une institution qui tranche en dernier recours, le Conseil constitutionnel, le résultat incontestable de la série d’erreurs étonnantes commises par les coalitions de partis elles-mêmes, puis des décisions de la direction générale des élections et du conseil constitutionnel, c’est un blocage politique qui crée une impasse dangereuse.
À court terme, il faut un dialogue politique pour éviter l’aggravation des tensions, semblez-vous dire
Oui, on ne voit pas d’autres options. À nouveau, il faut faire attention à ne pas sous-estimer la possibilité qu’une situation qu’on pense pouvoir maîtriser échappe à un moment donné à tout contrôle, celui des autorités gouvernementales disposant des forces de l’ordre, comme celui de leurs rivaux politiques, des responsables de l’opposition frustrés par la tournure prise par le processus électoral. Madame Rockiatou Gassama, présidente du Conseil sénégalais des femmes, n’a pas manqué de rappeler lors des échanges que le Sénégal était entouré par une « ceinture de feu », avec des crises sécuritaires et politiques graves dans la région. Ce n’est pas le moment pour ce pôle de stabilité de commencer à jouer, lui aussi, avec le feu.
Toutinfo.net avec RFI