CHERTE DU LOYER A DAKAR : Grogne des locataires contre l’effet contraire de la loi sur la baisse
Adopté par l’Assemblée nationale en sa séance du mercredi 15 janvier 2014, loi n°2014-03 portant baisse des loyers n’a pas produit l’effet escompté. Bien au contraire, aujourd’hui, la tendance est fortement à une hausse vertigineuse des prix du loyer. Une situation que déplorent les locataires et les associations qui les défendent, indexant la cupidité des bailleurs et le silence complice de l’État.
Les locataires ne savent plus où donner de la tête. Pour cause, l’application de la loi n°2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse du prix du loyer a fait peu d’heureux et a peu de succès. Après un ouf de soulagement des locataires, suite à son entrée en vigueur, les prix ont très vite pris l’ascenseur. Une inflation qui a fini de d’affecter considérablement les revenus, le pouvoir d’achat et la vie tout court, de la grande masse des Sénégalais.
INFLATION DES PRIX DES LOYERS
En effet, le nombre de ménages propriétaires de leurs logements est relativement limité, en particulier dans la partie urbaine de la région de Dakar. Selon les résultats de l’Etude Monographique fait en 2010, sur les Services Immobiliers du Logement à Dakar (EMSILD), 51,6% des chefs de ménage sont des locataires et 42,1% des propriétaires. D’où la forte demande en location. Qui s’est encore accrue avec le nombre croissant d’étrangers qui arrivent au Sénégal et à Dakar en particulier. «Nous sommes submergés par les appels des clients. La demande est trop forte, alors que le produit est rare», témoigne Cheikh Tidiane, un courtier à Cité Avion (Ouakam). Le président de l’Ascosen abonde dans le même sens. «La cherté du loyer à Dakar s’explique par la forte demande qu’il y’a. Avec l’instabilité politique qui sévit dans la sous-région, beaucoup d’étrangers se réfugient à Dakar et cela augmente la demande», explique Momar Ndaw. Cette pression sur le logement a participé grandement à plomber l’application de la loi sur la baisse du loyer.
FLAMBEE DES PRIX DES LOYERS, APRES LA LOI
Momar Mbengue, un locataire habitant la Médina n’a aucun doute sur les dommages causés par la loi 2014-03. «Cette loi a créé plus de problèmes qu’elle en a résolue», martèle-t-il, sans en dire plus. Mais d’autres locataires sont plus prolixes sur leur calvaire. «Le payement du loyer nous asphyxie. C’est trop cher. Moi, je paye 125 000 F Cfa pour un petit appartement. C’est presque la moitié de ce que je gagne par mois. Le loyer prend à lui seul presque l’équivalent de ce qui me reste pour tous les autres besoins : les factures, la nourriture, la scolarité des enfants… Comment voulez-vous qu’on vive décemment avec dans ses conditions», lance dépité A. Thiam, trouvé devant chez lui, à la Sicap Liberté 5. Non loin de là, un groupe de taximens et de laveurs de voitures s’activent. Et ils vivent tous les mêmes affres de la cherté de la location à Dakar. «Le loyer coute très cher à Dakar. Il absorbe la quasi-totalité des revenus des moins nantis. Pour la location d’une chambre avec douche interne, on te réclame au moins 50 000 F Cfa et dans certains quartier ça peut aller jusqu’à 70 000 F Cfa. En plus avec trois mois d’avance dont du perd l’un parce que dit-on, ça revient au courtier», explique Tidiane Diop.
MANQUE DE SUIVI DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA LOI
Si la loi sur la baisse du loyer peine à être appliquée les causes en sont nombreuses. «Le problème principale, c’est le manque de suivi et de volonté politique de l’État. Car au début, il y avait des propriétaires qui avaient respecté la loi et l’avaient appliquée. Les gens étaient dans les dispositions de mettre la rigueur pour respecter cette loi. Il y avait même une structure du ministère du commerce avec un numéro vert», déplore le Président de l’Association pour la défense des locataires (Adls), Elimane Sall. Ce dernier s’empresse de regretter «qu’au bout d’un certain temps, sachant que le suivi sur le terrain n’était pas vraiment effectif, certains bailleurs ont contourné la loi». Du côté de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), son président fait quasiment le même constat. «Effectivement, il y a des difficultés d’application de la loi. Quand on a voté la loi, au début ça s’est bien passé. Parce que c’était à chaque locataire de faire appliquer la loi», soutient Momar Ndao. En plus de l’absence de suivi et de contrôle de la part de services compétents de l’Etat, Ndao trouve que «la problématique de l’application de la loi» est aussi étroitement «liée à la pauvreté» dans laquelle se trouvent la majorité des locataires. «C’est ça la difficulté fondamentale. Parce que celui qui ne paie pas son loyer régulièrement ne peut pas exiger sa baisse», estime-il.
LES INSUFFISANCES DU TEXTE POINTEES DU DOIGT
Indexés comme principaux responsables de cette situation de non application de la loi, les bailleurs, propriétaires de maison en location et responsables d’agences immobilières pointent du doigt à leur tour l’État. «Si l’application de la loi sur la baisse du prix du loyer peine à être effective, c’est parce l’État a inversé la procédure. Il fallait d’abord faire baisser le prix des matériels de construction et réduire les taxes. Si on impose une loi visant à faire baisser le prix du loyer tout en gardant intacte les taxes et les prix du matériel de construction, il serait illusoire de faire appliquer cette mesure», martèle l’agent immobilier Birane Tall. A cela s’ajoute, selon lui, les taux de baisse les plus consistants (29%) appliqués aux bailleurs les moins nantis alors que les propriétaires des grands immeubles bénéficient des plus faibles taux (4%). «Ces barèmes sont incohérents et injustes. Et toute démarche incohérente et injuste ne peut aboutir ou durer», soutient-il. H.D. Faye, propriétaire de maison en location à la Cité Batrain de Ouakam, met en avant la lourdeur des investissements. «Je n’ose pas vous dire combien j’ai investi pour construire ce bâtiment, ça coûte beaucoup d’argent, j’ai fait des prêts à la banque. Donc je dois rembourser cet argent. En quelque sorte c’est ce qui explique la cherté, qui est indépendant de notre volonté», dit-il.
TRUCS ET ASTUCES POUR CONTOURNER LA LOI
Ne cachant pas, pour la grande majorité, leur réticence à appliquer la loi sur la baisse du loyer, les bailleurs ont mis en branle toute une panoplie de stratégies et astuces pour la contourner la loi et continuer de louer cher leurs maisons. La première réaction a consisté à tout faire pour déloger les locataires qui tiennent à faire respecter les nouvelles dispositions. Ancienne locataire d’un appartement dans un immeuble R+4 à Fass, Khadidiatou Diallo, témoigne. «Avant l’entrée vigueur de cette loi, je payais 100 000 francs mon appartement. Avec l’application de la loi sur la baisse du loyer, je me suis retrouvé à payer 71 000 francs. Mais mon bailleur a trouvé des subterfuges pour me faire quitter l’appartement. J’ai fini par quitter. Actuellement, je paie 130 000 francs dans mon nouveau logement», a-t-elle expliqué. Victime de la même méthode Momar Mbengue, locataire depuis 12 ans, raconte : «Quelques mois après l’entrée en vigueur de cette loi, mon bailleur a évoqué des travaux de réfection pour m’expulser de sa maison. Quand, nous avons quitté l’immeuble, il a juste repeint avant de la remettre en location en appliquant les anciens tarifes. C’était en 2015». Ces procédés des bailleurs pour contourner la loi est confirmée, par les associations de consommateurs. «Le plus souvent, les bailleurs disent aux locataires qu’ils ont besoin de la maison ou l’appartement soit pour loger un proche ou pour effectuer des travaux. Mais dès que le locataire quitte, à l’expiration du délai de préavis de 6 mois, et parfois même bien avant, le bailleur le repeint et redonne la maison ou l’appartement en location», constayte pour le déplorer le président de l’ADLS. Elimane Sall de regretter que «malheureusement, les locataires ne reviennent pas pour vérifier et si besoin de porter plainte. Car ces genres de pratiques sont punies par la loi».
DES PRATIQUES PUNIES PAR LA LOI…
De son conté, le président de l’ASCOSEN a aussi énuméré les différentes méthodes utilisées par les bailleurs pour contourner la loi. «Les bailleurs ont essayé de contourner la loi. Ensuite, pour avoir des preuves pour expulser les locataires, les bailleurs ont essayé d’autre méthodes en refusant de ne pas prendre l’argent quand le locataire vient payer. L’autre méthode consiste à essayer de donner ce qu’on appelle des congés », a listé Momar Ndao. «Mais, a-t-il rassuré, nous avons pu détourner ces entourloupes-là pour toutes les personnes qui nous ont saisies. Dans ces conditions-là, ça nous permis de remettre en cause toutes ces difficultés».
LES LOCATAIRES ETRANGERS PRIVILEGIES…
Beaucoup de locataires sénégalais se plaignent de la nouvelle tendance chez les bailleurs et agences immobilières, consistant à préférer les locataires étrangers. Et les témoignages allant dans ce sens sont nombreux. Interpellé sur la question Birane Tall, agent immobilier parle ouvertement du sujet. «La raison est que beaucoup d’étrangers et surtout d’étudiants étrangers ont un pouvoir d’achat beaucoup plus élevé que certains nationaux. Ils peuvent verser à leurs bailleurs la totalité du loyers pour toute année scolaire en une ou deux tranches», explique-t-il. Et d’ajouter que : «Ceux qui louent leurs maisons aux étrangers dans ces zones ne le font pas par gaieté de cœurs. Mais, c’est juste une question de survie, parce qu’ils comptent sur l’argent du loyer pour subvenir à leurs besoin». Aussi, précise-t-il que même si le fait est avéré dans le milieu, «Ce ne sont pas tous les bailleurs qui préfèrent louer à des étrangers et ce ne sont pas aussi toutes les zones qui sont concernées». A l’en croire, «la plupart des cas, ce sont les environs de l’université qui sont concernés par ce phénomène».