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Les JOJ:urbanisme et autres enjeux Par Oumar Ba

Dakar accueillera les JOJ en 2026. Certainement, le Sénégal, pays de la Téranga et habitué aux grandes rencontres internationales organisera l’événement avec le professionnalisme des différentes parties prenantes. Oui, nous avons eu le Festival mondial des Arts nègres ainsi que les Sommets de la Francophonie ou de l’OCI et plus récemment, les Forums mondiaux de l’Eau ou de l’Economie sociale et solidaire dont chacun se fera son propre bilan. Concernant les JOJ, il serait intéressant d’essayer de savoir ce qu’il en restera, une fois les rideaux baissés et la flamme éteinte. Autrement, quel legs en restera-t-il en termes de bilan et d’impact ?

Plus que toute autre rencontre internationale, les Jeux olympiques ont cette particularité de créer des chocs de temporalités extraordinaires. En effet, le court instant (15 jours de frénésie) se conjugue de manière irrégulière aux années de préparations mais et surtout, aux décennies postérieures marquées (positivement ou non) par les aménagements, les infrastructures et les coûts (notamment différés) de l’évènement.
Cet article se veut une modeste contribution à la réflexion sur l’héritage et l’impact des JOJ à venir.
Souvent, les Jeux ont été décriés pour leurs coûts exorbitants et leurs éléphants blancs, infrastructures gigantesques ou inadaptées tombées en désuétude ou abandonnés juste après l’événement. On pourrait citer Rio, Athènes ou encore Montréal (1976) qui a continué à payer la facture pendant… 30 ans.
Mais il est aussi arrivé que les Jeux fussent de grandes réussites, non pas seulement comme activité ponctuelle mais par aussi par l’héritage qu’ils ont porté, les impacts urbains ou socio-économiques produits sur les villes hôtesses ainsi que l’image des pays d’accueil.
En réalité, « les Jeux Olympiques ont été le prétexte à la réalisation de grands travaux espérés depuis très longtemps » ainsi que le déclarait le maire de Barcelone en 1992. Par exemple, Mexico (68) a permis le développement du métro et du Périphérique. Munich (72) a anticipé sur la réversibilité des infrastructures avec l’ancien village olympique (le fameux Olydorf à l’architecturale pionnière) transformé en quartier estudiantin modèle. Mais, Barcelone (92) fait figure de parangon. Aujourd’hui encore, l’ensemble des quinze (15) sites construits pour les Jeux sont toujours utilisés et presque tous les sites permanents. En fait, les dirigeants locaux (le maire étant l’ancien économiste au département d’Urbanisme de la ville) étaient mus par le développement urbain et le rayonnement de la ville. Les objectifs principaux du plan stratégique visaient, entre autres, la transformation des anciens sites industriels tombés désuétude, le réaménagement de quartiers entiers, la rénovation de sites historiques (la gare ferroviaire Estació del Nord) et patrimoniaux, l’ouverture vers le front de mer (Port Olympic), le développement des transports communs et l’amélioration de la mobilité urbaine, etc.
Plus récemment, Paris 2024 a permis, à la suite de la Coupe du Monde de 98, de rénover davantage une bonne partie de la Plaine Saint-Denis, renforcer son attractivité, opérer un développement tertiaire en équilibre avec la mixité urbaine, pousser encore plus loin le concept de réversibilité des bâtiments et améliorer fortement les transports et la mobilité. Des innovations ont même été apportées au droit de l’Urbanisme et de la Construction, plus spécifiquement, le permis de construire.
Les Jeux portent aussi une grande dimension culturelle. Par exemple, London Festival (2012) a abrité plus de 1.300 événements dans plus de 1.270 lieux, des milliers d’artistes, plus de 16 millions de visiteurs et plus de 170 œuvres d’art permanentes. Chaque quartier, musée, théâtre, place, parc public ou monument a été peu ou prou « hacké » par les artistes. À Paris, la cérémonie d’ouverture des Jeux a été l’occasion de mettre en valeur la grande richesse du patrimoine culturel et architectural de la capitale française déjà destination touristique majeure.
En 2026, que montrerons-nous de notre culture sénégalaise et africaine ? Il ne s’agira pas seulement de patrimoine existant mais aussi de stimuler la grande créativité de nos artistes.
En termes de marketing territorial, les Jeux ont permis aux villes d’accueil de se positionner comme villes globales. En effet, la focalisation de tous les projecteurs internationaux et la diffusion sur les écrans du monde sont l’une des plus grandes opérations de promotion d’un territoire. Dakar, Diamniadio, Saly et le tourisme sénégalais sauront-ils saisir toutes ces opportunités offertes ? Car il ne s’agira pas seulement de montrer des compétitions sportives, mais de promouvoir des territoires, des peuples et de construire un narratif efficace et attractif autour du pays de la Téranga et de la vivacité de la jeunesse africaine. L’artisanat, la valorisation des savoirs-faire locaux devront trouver, ici, des opportunités de rayonnement et des challenges nouveaux.
Événements populaires, les jeux sont des moments forts dédiés à la vitalité et à la jeunesse en général. Cela est renforcé par le fait que ceux à venir leur sont dédiés exclusivement. Il ne s’agit pas des athlètes et autres compétiteurs, mais de la Jeunesse dans toutes ses composantes. Par exemple, les Jeux de Lausanne ont intéressé plus de 150.000 étudiants et élèves autant dans la conception de la maquette ou la composition de la chanson officielle (« Start now »). Plus de 80.000 élèves ont pu découvrir et s’essayer à des sports nouveaux, avec la possibilité de se découvrir ainsi de nouvelles vocations ou passions. Le village olympique (Vortex) a été transformé en logements étudiants… Certainement, aurons-nous l’occasion de ressusciter ou redynamiser le sport universitaire et universitaire, notamment avec l’Uassu ou toutes formes nouvelles à inventer. Cela passera par un programme ambitieux de création ou mise à niveau des infrastructures sportives à l’échelle nationale, pas seulement Dakar. Un esprit sain dans un corps sain…
Les Jeux offrent des opportunités extraordinaires pour raffermir la gouvernance urbaine dans les villes éponymes. Certes, parce qu’elle porte, en son nom, la candidature, la Ville assure normalement le leadership. Mais du fait de la grande diversité des enjeux (sport, transports, culture, tourisme, sécurité publique, communication, écologie, etc.) et des acteurs (locaux, nationaux, publics et privés, populations), il importe, comme gage de succès, de travailler à trouver les bonnes articulations, la coordination et surtout, l’inclusion, la mobilisation et la cohésion autour de l’atteinte des objectifs communs et partagés. Concernant Dakar, l’Etat a ce rôle d’arbitre et de facilitateur entre les différentes parties prenantes, notamment la Ville de Dakar et le COJOJ. C’est ici que le partenariat public-privé trouve tout son sens car la participation active des grandes entreprises nationales et locales est une condition essentielle de la réussite et la réalisation matérielle des Jeux. Le BTP par les infrastructures à construite, les commerces, hôtels et restaurants par l’afflux massif de clients et touristes qui évidemment utilisent les moyens de transport et toutes les facilités offertes (ou vendues) par la ville. Et il est heureux que, récemment, le Conseil des ministres a annoncé que la Primature prendrait le taureau par les cornes. Au delà des missions de coordination et de monitoring, vivement que les réunions interministérielles soient des instances d’auto-émulation, de facilitations, de dialogue constructif entre tous les stakeholders.
Enfin, les Jeux comportent des enjeux diplomatiques très importants car ils marquent ou renforcent le soft power des états. Certes, le contexte géopolitique de l’époque (chute du Mur, fin de l’Apartheid, etc.) a-t-il contribué à l’ampleur et au succès de Barcelone. Encore fallait-il savoir saisir les opportunités historiques. Aussi, le Sénégal devrait-il prendre conscience, à cette occasion unique, d’être le porte-flambeau de la CEDEAO et de l’Afrique sub-saharienne car ces jeux inédits ne sont pas prêts d’être organisés dans cette partie du monde avant deux décennies au moins. Et le succès ou non de Dakar influera forcément sur la crédibilité des futures candidatures africaines. Il y a un leadership sous-régional ou continental qui est en jeu…
Pour les pays qui ont réussi leurs Jeux, en plus du bilan sportif, matériel, économique ou diplomatique, c’est surtout l’héritage immatériel qui est resté. Le fort sentiment de cohésion populaire autour d’un projet commun et la fierté née de la réussite dans l’organisation de l’événement. Ce bilan immatériel participe de la cohésion nationale, du renforcement de l’image de la réputation du pays, de la fierté nationale et du sentiment patriotique qui sont autant de ferments au développement socio-économique de la nation. En ce sens, les Jeux devraient constituer plus qu’une utopie mobilisatrice…

« Citius, Altius, Fortius – Communiter » (plus vite, plus haut, plus fort – ensemble) : voilà ce à quoi nous invite la devise olympique mais aussi les exigences de la construction d’un Sénégal souverain et prospère.

Oumar Ba
Expert urbaniste
Citoyen sénégalais