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À qui profite le déclassement de la bande de filaos 10 ans après

Guédiawaye ne se relève toujours pas après la déforestation complète de 150 hectares de filaos. Au moment où le pire est à craindre avec la menace des conséquences écologiques, une spoliation foncière sur fond de « tong-tong » (carnage) s’opère au nez et à la barbe des populations. Les péripéties qui ont mené à la signature du décret de déclassement sont aussi sombres que le projet « Cap Atlantique » de l’ex-maire Aliou Sall qui lui sert de socle. Au final, à travers le controversé PUD (Plan d’urbanisme de détails), on a mis en avant « l’utilité publique » pour servir des intérêts privés. Entre accaparement, litiges et escroqueries, le foncier du littoral de Guédiawaye est une véritable bombe à retardement.

A qui profite le déclassement de la bande de filaos ? C’est la question à mille milliards que tout le monde se pose dans cette partie de la banlieue ! La réponse est pourtant évidente. Comme dans tous les coins du pays, les mêmes ‘’prédateurs’’ ont fait main basse sur le foncier de la bande de filaos au total insu des populations à qui ces terres devaient normalement être destinées. D’ailleurs, c’est la « forte pression foncière » à Guédiawaye qui a servi de prétexte au déclassement. Mais, au final, aucun riverain n’a pu se procurer le plus petit mètre carré, exceptés les élus municipaux qui auraient monnayé leur vote contre 150m2.

Sur ce site qui abritait -dans un passé très récent- la bande verte, les constructions commencent à littéralement remplacer les filaos. Immeubles et maisons poussent comme des champignons alors que de nombreuses questions restées sans réponses jusqu’ici, turlupinent les populations. « On se lève un bon jour, on voit des bulldozers abattre les filaos. Puis le terrain est morcelé en parcelles. Ensuite les constructions commencent. Qui sont les propriétaires de ces terrains ? Comment ont-ils fait pour les acquérir ? Pourquoi les populations n’ont pas été associées à ce partage de ‘’Bouki’’ (en référence à la célèbre métaphore du vieux conte de l’hyène, Ndlr) ? », s’interroge Thierry Nelson Andadé qui habite la cité Hamo 5 depuis près de trente ans.

Ici, c’est l’omerta total sur l’identité des acquéreurs du foncier. Leurs noms sont mieux gardés que les codes de la valise nucléaire. Mais c’est sans compter avec la perspicacité des populations et de la presse qui ont pu percer le mystère. En réalité, hauts fonctionnaires de l’État, famille maraboutique, hommes d’affaires, conseillers municipaux, proches de l’ancien régime… sont les nouveaux propriétaires terriens. Ils ont été servis dans des conditions tout aussi sombre que celles qui ont sous-tendu le décret de déclassement dont la base s’est révélée être une véritable « supercherie » -selon les associations de défense du littoral-, orchestrée par l’ancienne équipe municipale dirigée par Aliou Sall (frère de l’ex président de la République Macky Sall).

Rewind ! Les velléités d’accaparement des terres du littoral de Guédiawaye ont commencé en 2017 au lendemain de l’inauguration de la Vdn3, soit 4 ans avant la signature du décret de déclassement. Rencontré dans le cadre de cette enquête, Pape Diawando Kébé, assistant social et responsable des jeunes de Hamo 5, confie que depuis l’érection de la Vdn3 les populations avaient eu écho de la volonté inavouée des autorités municipales de faire déclasser la bande de filaos. D’ailleurs, nous révèle-t-il, dans une démarche d’anticipation, les populations riveraines avaient organisé à l’époque un panel au Foyer des jeunes de Hamo 4 avec l’avocat Me Doudou Ndoye (ancien président de la Commission Nationale de Réforme Foncière) comme conférencier. « Me Ndoye avait fait un exposé très instructif sur le droit des tiers, disant que rien ne peut être fait sur la bande de filaos sans l’approbation des populations », se rappelle M. Kébé.

Une bande, deux PUD(s) !

Au finish, c’est tout le contraire qui a été fait le 4 juin 2021 avec le décret n°2021-701 portant déclassement de 150,58 hectares. Celui-ci valide et rend exécutoire, un PUD (ou document de planification urbaine qui organise l’occupation spatiale pour les 15 prochaines années) qui n’a jamais été présenté aux populations. Aucune audience d’information ne s’est tenue coram populo comme l’exige la loi. Une véritable duperie à en croire l’ancien chef de la Division des stratégies du développement urbain durable au ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat, actuellement Consultant expert urbain à l’Agence de développement municipal (Adm), l’aménagiste-urbaniste Diouldé Diallo. Revenant sur les faits, il nous apprend que le PUD qui a été validé par le décret de Macky Sall en 2021 est différent de celui qui a été financé par la Banque mondiale dans le cadre du Projet de Gestion des Eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (Progep).

« Le rapport provisoire du PUD (financé par la Banque mondiale) réalisé par le cabinet Prestige a été finalisé en juin 2017. Des sessions de validation par les conseils municipaux des communes et villes concernées par la Vdn3 avaient été sollicitées par la direction de l’urbanisme de l’époque conformément aux exigences du code de l’urbanisme. En fait l’étude doit être validée par les conseils municipaux pour que le Président puisse prendre un décret et ensuite elle pourra être opposable aux tiers. Ainsi, les villes de Pikine (Malika) et de Rufisque (Tivaouane Peulh) avaient validé le document. La ville de Guédiawaye n’a pas approuvé ladite étude qui recommandait la sauvegarde et le renforcement de la bande de filaos, sous prétexte qu’elle ne prenait pas en compte ses besoins d’assiettes foncières », confie l’urbaniste.

En d’autres termes, Aliou Sall et son équipe municipale demandaient le déclassement de la bande filaos en 2017 déjà. Ce qui est contraire à la politique de la Banque mondiale qui, d’après M.Diallo, « ne peut pas cautionner une dégradation de l’environnement ». Ce Plan a donc été jeté à la poubelle.

« Cap Atlantique », un projet en pacotilles aux sombres objectifs

Tenant mordicus à lancer son projet d’aménagement de la bande de filaos dénommé « Cap Atlantique », l’ex maire de Guédiawaye son équipe se sont arrangés pour faire passer un nouveau PUD. Celui-ci prévoit le déclassement et le morcellement des terres de la bande de filaos qui, selon leurs projections, doit être plantée de l’autre côté de la Vdn3 à moins de 100 mètres de la mer. Les eaux et forêts qui se sont engagés depuis plusieurs années à la réalisation de ce projet de reboisement, éprouvent d’énormes difficultés.

Le projet Cap Atlantique -que Seneweb a pu parcourir- est d’une vacuité abyssale. Après lecture, difficile de ne pas croire que l’ultime objectif de ce projet qui sonne creux n’était pas de s’accaparer du foncier du littoral. Et la démarche qui a été employée est assez révélatrice, estime Pape Michel Mendy, coordonnateur départemental du Forum Civil à Guédiawaye. « La loi dispose que pour prendre un tel acte juridique administratif en l’occurrence le Plan d’aménagement ayant abouti à la signature du décret de déclassement, il fallait au préalable une consultation citoyenne. Non seulement, ce plan Aliou Sall n’a pas eu une étude d’impact environnemental mais il n’y a pas eu de consultation citoyenne. Et on met au défi les différentes autorités que ce soit au niveau local ou au niveau macro de nous prouver que ces consultations ont eu lieu. Qu’elles nous amènent juste des feuilles de présence ou des rapports d’audience pour nous prouver que ces consultations ont été faites », martèle-t-il.

Avant d’ajouter : « c’est sur la base de ce projet Cap Atlantique qu’ils (Aliou Sall et son équipe) sont allés demander un décret de déclassement sur la base de délibération du conseil municipal de la ville et soutenu par les 5 communes qui constituent le département de Guédiawaye. C’est sous le magistère de Aliou Sall que cette délibération a été votée à partir d’un plan d’urbanisme de détails que lui-même et son bureau municipal ont proposé. Le dossier a suivi le circuit administratif : préfet, ministères jusqu’à la table du Président de la République qui a signé le décret ».

Plus de 400 parcelles troquées contre un vote favorable des conseillers municipaux de Guédiawaye

Pour que le projet Cap Atlantique et son Plan d’aménagement soient validés par les différents conseils municipaux de Guédiawaye, confie M. Mendy, « Aliou Sall a promis 150m2 sur la bande de filaos pour chaque conseiller ». « Je suis témoin des faits, insiste-t-il. J’étais dans la salle d’audience de la ville ce jour-là en tant que membre du Forum Civil et citoyen de Guédiawaye. La même promesse a été faite aux conseillers des 5 communes de plein exercice qui constituent le département de Guédiawaye. Les conseillers municipaux ont tous approuvé le projet et la promesse a été tenue ».

En moyenne un conseil municipal compte 70 conseillers, par conséquent le nombre de parcelles attribuées aux élus donne le tournis.  « 70 conseillers au niveau de la ville et 70 dans chacune des 5 communes du département, cela fait un total de 420 parcelles. Vous voyez les dégâts que cela fait », révèle le camarade de Biram Seck. Pire encore, poursuit-il, « dans sa récente sortie sur RFM, l’ex maire Aliou Sall ose enfin révéler aux populations de Guédiawaye qu’il a bénéficié d’un terrain de 300m2 sur la bande de filaos. Pendant tout ce temps qu’on se battait contre son projet dans le but ultime de protéger cette bande, il tapait du poing sur la table en disant s’il y a quelqu’un qui est au courant de 1m2 qui lui appartient sur cette bande qu’il aille le prendre ».

4 ha pour les magistrats, 9 ha pour Demba Ka (EDK), 45 ha pour la communauté Layène

A l’arrivée, de Malibu à Malika, c’est un véritable carnage foncier qui a été perpétré. Les magistrats ont reçu 4 hectares à Hamo Tefess bien avant le déclassement complet, 5 hectares pour la coopérative des agents du cadastre en mai 2021. Le syndicat des Impôts se tape 4 ha à Wakhinane Nimzatt, 4 ha à Golf et 6 ha à Gadaye. Soit un total de 14 ha. D’autres ont également reçu leurs parts du gâteau. Il s’agit, entre autres, de Demba Ka (EDK) qui se retrouve avec 9 ha à Malika où il est en train de construire une cité. Le terrain de l’homme d’affaire a empiété sur les 23 ha que Macky Sall avait déjà attribués pour le relogement des sinistrés de Bène Barak (commune de Yembeul). Une situation qui est en passe de soulever un gros litige.

40 ha ont également été attribués à la famille Layène non loin de leur site religieux Nguédiaga (Malika). « Tout ce dont la communauté layène a besoin, nous allons faire de notre mieux pour qu’elle l’obtienne. J’ai remis au khalife des layènes un document pour les 45 ha des terres de Malika », avait d’ailleurs déclaré le Président Sall en marge d’une visite à Yoff en avril 2018, en prélude de la 138e édition appel de Seydina Limamou Laye. En définitive, même des parties du domaine public maritime ont fait l’objet d’attribution.

Plus de 467 pères de familles grugés par le défunt maire Baïdy Sèye

Au même moment, dans la commune de Ndiarème Limamou Laye, le défunt maire Baïdy Sèye avait signé près d’un demi-millier de titres d’attribution ‘’fictifs’’ à plus de 467 victimes en contrepartie de sommes sonnantes. « Il était beaucoup plus téméraire que les autres. Il vendait à tour de bras des parcelles de terres avant même le déclassement et donné aux acquéreurs des papiers qui n’ont aucune régularité. A sa disparition beaucoup se sont retrouvés devant le fait accompli. C’est après son décès que ces gens se sont rendu compte que les papiers qu’il leur a donnés n’avait aucune base juridique légale », renseigne Pape Michel.

Les membres du collectif des victimes de Baïdy Sèye qui sont au nombre de 467 personnes d’après un recensement qui n’est pas exhaustif, sont récemment montés au créneau. Dans leur mémorandum du 30 août 2024, ils font des révélations de tailles qui éclaboussent d’autres autorités de l’ancien régime. « A la suite de correspondances aux autorités administratives et manifestations sociales, son excellence le chef de l’État Mr Macky Sall avait instruit la direction des domaines sous la direction de Mamadou M Boye Diao de trouver une solution urgente à ce problème qui affecte plus de 400 pères de familles », confie le collectif.

Cependant, déplore le collectif, M. Mamadou Diao alors directeur des domaines avait « procédé au lotissement administratif de ce dit site (les 18 hectares de Ndiarème Limamou Laye sur la bande de filaos, NDLR) en oubliant volontairement certains attributaires détenteurs de délibération du même maire : ce qui constitue une discrimination grave entre détenteur de biens. D’autres non titulaires de délibérations ont bénéficié de largesse de M. Diao pour laisser en rade les attributaires légitimes ».

Les engagements du nouveau régime

En visite de terrain le 24 juillet dernier, le nouveau ministre de l’urbanisme, Moussa Balla Fofana a pu tâter le pouls de la banlieue qui rumine encore sa colère face à ce carnage foncier. Après discussion avec les populations, l’autorité s’est rendu compte que la situation est beaucoup plus carabinée que ce qu’on lui avait présenté. « Ce que nous retenons essentiellement, c’est que nous avons un plan d’urbanisme de détails (Pud) qui a été initié ici et on constate que les populations n’ont pas été associées et que pas mal de doléances qu’avaient les représentants des populations et les maires n’ont pas été prises en compte », a-t-il souligné au terme de sa visite promettant que des mesures idoines seront prises en toute froideur.