LES MERCREDIS DE NDIOBA: Danse sur un volcan
La scène politique sénégalaise ressemble à s’y méprendre à un spectacle de danse au-dessus d’un volcan en activité. Les hommes politiques, tout occupés à rivaliser dans un concours d’anathèmes, sautillent comme des cabris et retombent sans cesse sur la lave incandescente. La douleur qu’ils ressentent sous leurs pieds dépouillés n’est pas assez intense pour calmer leur envie de faire mal à leurs adversaires. Ils sautillent, balancent des boules puantes et des bottes de feu sans se soucier de l’explosion qui menace de les emporter. Le magma monte, le cratère en fusion est sur le point de cracher la mort, mais ils continuent de danser. De se faire mal et de faire mal. Bientôt, la raison de leur antagonisme mortel sera enfouie sous la cendre et la roche, eux avec.
Muet comme… un général
C’est une chose rare que de voir un général prendre la parole en public et se prononcer sur les affaires de l’Etat. L’armée est, d’habitude, une « grande muette ». Les soldats, fussent-ils les plus gradés, ont, en principe, l’interdiction d’exprimer des opinions sur des sujets sensibles, sociétaux et politiques. Le général Moussa Fall a cassé ce code lors d’une cérémonie religieuse organisée par les épouses des gendarmes à la Caserne Samba Diéry Diallo. « La gendarmerie ne laissera personne remettre en question la sécurité des gens », a-t-il laissé entendre. Et de quitter le mode allusif pour se faire plus précis : « Si on te fixe un itinéraire et que tu refuses de le suivre, tu en subis les conséquences ». Plusieurs fois piqués à vif par Ousmane Sonko, ce torero à la langue, pardon… lame aiguisée, le général sonne la charge. Avant lui, le procureur Serigne Bassirou Guèye avait donné les premiers coups de corne. Le leader de Pastef, habitué à agiter des chiffons rouges devant un troupeau de taureaux noirs, devra s’attendre à de solides ruades. A-t-il le cuir assez épais pour encaisser le choc ?
Avec Sonko, c’est un perpétuel référendum sur ses prises de position, ses coups de gueule, ses dénonciations et ses dérobades. On est pour ou contre. Et toujours, ses partisans qui ne souffrent la moindre contradiction sur les attendus de leur mentor, ferraillant avec fougue contre tous ces citoyens qui ne le perçoivent pas de la même manière. Les mots volent, souvent, très bas. Avec Ousmane Sonko, le débat est souvent très physique. Sa stratégie politique qui l’oblige à toujours danser au bord du précipice lui vaut un succès médiatique et politique indéniable. Il a fait sienne la formule de Jean-Marie Le Pen : « En politique, la transgression est une méthode de progression ». Quel sera le prix de ces franchissements éthiques ? La majorité qui le renifle pour le pousser à la faute depuis qu’il a ouvert la porte du soupçon sur les contrats pétroliers tient, peut-être, la bonne occasion avec ce procès en diffamation qui l’oppose à Mame Mbaye Niang. Sonko n’a jamais paru aussi fragile que sur ce dossier. Arrivera-t-il à apporter les preuves de ses accusations devant la Justice ? L’avenir nous édifiera. Mais, pour la première fois, le leader de Pastef semble sentir le sol se dérober sous ses pieds, au point de multiplier les appels à la résistance.
Ma certitude, cependant, est qu’il ne sortira rien de bon de ce procès pour le pouvoir si ce n’est un goût amer impossible à vidanger. Ce n’est pas parce qu’on tient entre ses mains une mousquetade et une étoupille qu’on fait forcément feu sur son adversaire. Le plaisir de tirer ne doit pas l’emporter sur l’utilité de viser juste.
Démocratie du muscle
Dans un éditorial remarquable publié en avril 2012 dans l’hebdomadaire français « Le Point », Claude Imbert écrivait avec raison que « le pauvre Sénégal est riche de ses hommes, de leurs civilités et de leurs talents ». Il ajoutait que le Sénégal a démenti le pseudo-théorème qui postule que « la démocratie ne fait son chemin qu’au sein d’une relative prospérité ». Il ne suffit pas, cependant, d’avoir du talent. Il faut aussi savoir le mobiliser et c’est loin d’être le cas au Sénégal. Comment définir des priorités, mobiliser les énergies et les talents, presser le pas pour rattraper le retard économique quand, à longueur d’années et d’incessantes élections, on se perd dans des disputes politiques permanentes, des crises artificielles, des histoires personnelles, d’éternels casus belli et d’un climat politique toujours anxiogène ?
Stigmatisation ethnique, appels à l’insurrection, radicalisations, … aucun mot n’est trop fort pour chauffer l’opinion. L’opposition cherche vaille que vaille à bouter le président hors du palais, quitte à enfourcher le mauvais cheval de l’illégitimité démocratique. Et, quand Yewwi promet de chauffer la rue, le pouvoir, de son côté, décide à en découdre avec ses contempteurs et clame sa résolution à rendre les coups, les cailloux et les invectives. Gare au coma national !
Dioba Diouba