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Guterres au sommet de l’UA: «L’Afrique, une des forces du bien dans le monde»

L’ouverture en musique et en joie du 30e sommet des chefs d’Etat de l’UA n’a pas empêché les orateurs de rappeler les défis d’une Afrique « à la croisée des chemins ». Ils ont redit aussi leurs ambitions et leurs espoirs pour le continent. Retour sur une cérémonie qui fut aussi haute en couleur qu’en substance.

Les participants au 30e sommet de l’Union africaine (UA) se souviendront de la cérémonie d’ouverture de cette rencontre traditionnelle majeure, qui réunit tous les ans tous les decision-makers qui comptent sur le continent. Ce fut une cérémonie digne, joyeuse et en même temps riche en substance. Riche surtout en leçons pour les Trump du monde qui ne voient pas derrière le chaos de l’Afrique l’intelligence, l’élégance et le potentiel d’un continent en pleine résurgence.

Commencée avec presque trois heures de retard sur l’horaire prévu à cause du débat en huis clos des chefs d’Etat qui a beaucoup traîné en longueur, l’inauguration du sommet fut à la fois spectaculaire et sérieuse. Le spectacle était assuré par la troupe de l’Union africaine entonnant avec émotion et générosité les hymnes du continent qui exaltent ses idéaux panafricanistes.

Il y avait aussi quelque chose de spectaculaire dans les propos riches en promesses et en modestie des quatre présidents récemment élus – en l’occurrence celui d’Angola, du Liberia, de la Somalie et du Zimbabwe -, invités par le président de la cérémonie à dire l’émotion qu’ils ressentaient en assistant pour la première fois à un sommet de l’UA en tant que chefs d’Etat. Parmi eux, le Libérien George Weah dont la brève allocution a suscité un tonnerre d’applaudissements. Sans doute moins pour sa qualité d’homme politique que pour son génie footballistique qui lui a valu en 1995, on s’en souvient, le Ballon d’or qui récompense le meilleur joueur évoluant en Europe.

Quant au sérieux, il était dans les discours des dirigeants de l’organisation panafricaine et leurs invités qui ont martelé les priorités d’un continent qui se retrouve une fois encore « à la croisée des chemins ». De l’aveu de tous les participants, les deux discours les plus marquants de la séance ont été prononcés par le président de la commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat et Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies.

Eloge du multilatéralisme

Successeur de Nkosazana Dlamini-Zuma, le Tchadien Moussa Faki Mahamat est le quatrième président de la Commission de l’Union africaine (CUA). C’est en janvier dernier, pendant le sommet bisannuel de l’UA, que cet ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad, proche de l’homme fort de son pays, dit-on, a remporté de haute lutte le scrutin serré pour ce poste prestigieux. Il a pris ses fonctions en mars 2017 au terme d’une période de transition de trois mois. Le sommet 2018 est son deuxième sommet en tant que président de la CUA.

Premier à prendre la parole à la cérémonie d’ouverture, Moussa Faki Mahamat a évoqué les défis auxquels le continent est confronté dans un discours très structuré, qui ne sort pas des cadres de la bienséance diplomatique tout en disant des choses qui fâchent. L’intelligence de l’homme transparaît notamment à travers la critique à peine voilée qu’il a faite de la vision du monde du président Trump.

Alors que dans ses précédentes prises de parole pendant le Sommet, le président de la CUA avait nommément dénoncé le dirigeant américain qui qualifiait les Etats africains de « pays de merde », cette fois il a pointé du doigt les régressions et les reculades de la diplomatie américaine sans nommer ni le pays ni son président. Ciblant les propos du chef de la première puissance mondiale, qui a fait de la xénophobie et de l’unilatéralisme les mamelles de sa politique étrangère, Moussa Faki Mahamat a attiré l’attention sur les menaces que cette vision fait peser sur notre monde : « Les mois écoulés ont vu nombre de développements qui attestent de la gravité des risques auxquels nous sommes confrontés. En témoigne la multiplication de mesures unilatérales qui ont le potentiel d’affaiblir dangereusement la capacité de la communauté internationale à répondre efficacement aux défis complexes auxquels elle est confrontée, la montée des égoïsmes nationaux, la banalisation de la xénophobie et le rejet de l’autre. Autant de signaux justificatifs d’un recul des valeurs d’égalité, de solidarité et de justice ».

L’orateur ne s’est pas contenté de critiquer, il a aussi rappelé ce que son organisation a fait et compte faire pour contrer l’unilatéralisme remis au goût du jour : « C’est dans cet esprit que je me propose de convoquer dans les mois à venir une conférence sur l’Afrique et le multilatéralisme ».

Il conviendra de signaler que la critique de l’Amérique de Trump constitue une petite partie de l’allocution du patron de la CUA, qui a profité de cette opportunité de s’adresser solennellement à ses pairs, pour faire le bilan de ses neuf mois à la tête de l’influente commission de l’UA. Il est revenu notamment sur son soutien sans faille aux réformes institutionnelles et financières de l’UA en cours ainsi que sur les actions qu’il a pu mener dans les domaines de la paix et de la sécurité. Il a évoqué ses visites aux pays en crise dont la Somalie, la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud, mais aussi le cadre stratégique pour la coopération militaire avec l’Union européenne et les Nations unies qu’il a élaboré dans un souci d’efficacité.

Ce bilan qui ne dit pas son nom dessine aussi en filigrane les priorités qui seront celles de Moussa Faki Mahamat au cours des prochaines années : poursuite du processus de réforme, paix et sécurité et promotion de la jeunesse dont l’homme a apparemment fait sa préoccupation majeure, comme en témoigne sa décision de nommer « dans les prochaines semaines, une envoyée spéciale pour la jeunesse ».

Antonio Guterres, l’anti-Trump par excellence

En janvier 2017, au 27e sommet de l’UA, c’était le roi du Maroc Mohammed VI qui faisait la Une des journaux en parlant à cœur ouvert sur l’Afrique, à l’occasion de la réintégration du royaume chérifien à la famille institutionnelle panafricaine. Cette année, c’est le tour du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, de déclarer son amour à l’Afrique. « Je suis convaincu que l’Afrique constitue une des forces du bien dans le monde », a-t-il affirmé. Ou encore : « L’Afrique, un continent de résilience et d’espoir ».

C’est la deuxième fois, depuis son élection à la tête de l’ONU, qu’Antonio Guterres est invité à participer à un sommet de l’UA et à prendre la parole à la tribune. La dernière fois, c’était en janvier 2017. Il avait à l’époque résumé son expérience dans une tribune libre dans le quotidien Le Monde en ces termes : « Trop souvent, l’Afrique est vue à travers le prisme des problèmes qu’elle connaît. Moi, quand je pense à l’Afrique, je vois un continent à l’énorme potentiel, plein d’espoir et de promesses. (…) A la fin du sommet, j’étais plus que convaincu que jamais que c’est dans l’intérêt de l’humanité tout entière d’écouter les peuples d’Afrique, de profiter de leur sagesse et de travailler avec eux ».

C’est précisément pour travailler avec les Africains, plus étroitement, qu’Antonio Guterres est revenu devant le parterre des chefs d’Etat. Dans son discours à la cérémonie d’ouverture, le patron des Nations unies a rappelé l’ampleur de la coopération qu’il a su bâtir en l’espace d’un an : organisation de la première rencontre au sommet entre les Nations unies et l’UA et signature de deux accords de collaboration, le premier signé en avril 2017 pour un partenariat renforcé entre les deux organisations en matière de paix et sécurité et le second, signé pendant le sommet en cours, pour coordonner leurs actions pour la réalisation des objectifs de l’Agenda onusien pour le développement durable à l’horizon 2030 et l’Agenda 2063 de l’UA.

Pour célébrationnel que soit ce discours du secrétaire général, il n’oublie pas de pointer les faiblesses de l’Afrique, tout en appelant la communauté internationale à prendre ses responsabilités. « La communauté internationale a aussi, rappelle-t-il, un rôle à jouer dans la lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et l’élimination des flux financiers illicites qui privent l’Afrique de ses ressources essentielles ».

S’agissant de la migration pour laquelle l’Afrique est souvent pointée du doigt, Antonio Guterres n’a pas hésité de rappeler les quatre vérités : « L’émigration est un phénomène global positif. Elle donne une impulsion nouvelle à la croissance, réduit les inégalités, jette des ponts entre des sociétés que leurs différences séparent et nous aide à surmonter les conséquences des allers et retours des vagues de croissance et déclin démographiques ».
Poussant plus loin sa réflexion, il exhorte les pays développés à l’honnêteté d’élaborer leur politique migratoire en s’appuyant sur des faits et pas des mythes. Pour avoir été le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés, le secrétaire général des Nations unies connaît bien les pays africains où « il y a plus de migrants qu’en Europe ».

Lors de la prise de fonction d’Antonio Guterres à la tête de l’organisation multilatérale en décembre 2016, son ancien porte-parole Francis Kpatinde disait à l’antenne de RFI que l’homme nourrissait « une véritable passion pour l’Afrique et son histoire ». Son discours et ses prises de position témoignent de cette empathie. Ils nous changent des discours sur l’Afrique aux relents d’une autre époque qu’on croyait définitivement révolue.