Débattons de l’arrêt d’appel, pour comprendre le rabat d’arrêt : Le procès Khalifa SALL devant le conseil constitutionnel
En Mars 2018, le sieur Khalifa SALL a été attrait en justice pour divers griefs dont le détournement de deniers publics, le faux et l’usage de faux entre autres, et placé sous mandat de dépôt, ce qui ne l’avait pas empêché de se présenter (de sa cellule), aux élections législatives, et a été élu député.
En première instance il avait fait l’objet d’une condamnation en première instance à 5 années d’emprisonnement ferme pour escroquerie portant sur des deniers publics, et faux et usage de faux, décision confirmée en appel par arrêt du mois d’Août de la même année.
Pendant que les présidentielles pointaient à l’horizon, ce candidat à la candidature s’était pourvu en cassation.
Entretemps les « parrainages » sont passés par là, et la candidature de SALL s’était reposée avec plus d’acuité.
Et avant que le Conseil constitutionnel n’eut proclamé la liste définitive des parrainés admis à se présenter à l’élection présidentielle, la Cour suprême avait statué sur le pourvoi et l’avait rejeté ; ce qui pour les uns signifiait que Khalifa était « recalé », tandis que pour les autres, ce rejet n’entachait en rien son droit à se présenter, dès lors que l’arrêt de rejet de la Cour suprême n’était pas encore définitif.
Et les vannes du juridisme étaient ouvertes. Les spécialistes de tout acabit, ainsi que les juristes occasionnels, y allant les uns de bonne foi, les autres par calcul partisan ou par opportunisme.
Mais quand les arguments en faveur du caractère suspensif du rabat d’arrêt qui ne laisserait pas indifférents les effets de l’arrêt de la Cour d’appel semblaient mieux partagés (I), les tenants de la thèse contraire, se croyant futés, ont cru pouvoir convaincre en distillant à ce niveau de la procédure, une sournoise confusion entre le sort des deux arrêts (celui de la cour d’appel et celui de la cour suprême) (II).
Au-delà des passions partisanes des uns et des autres, une analyse humble et détachée des effets juridiques de ces deux décisions, à ce stade précis des délais de recours en rabat, pourrait certainement relancer utilement le débat, et le fixer au grand bonheur de l’interprétation.
I : Le Caractère suspensif du rabat d’arrêt ne semble pas discutable quant à son objet
Aussi bien de la lettre des dispositions, que du bon sens, il n’est pas difficile de démontrer que le recours en rabat d’arrêt suspend les effets de l’arrêt de rejet de la Cour suprême qui en est précisément l’objet.
Comme en dispose la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême, le caractère suspensif du rabat s’intéresse à la décision de la juridiction de cassation, et non à l’arrêt de la Cour d’appel ayant fait l’objet de pourvoi.
Reprenant en effet la volonté du législateur du reste clairement énoncée dans l’exposé des motifs, l’article 51 de cette loi dispose d’abord que « Les décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours, à l’exception de la requête en rectification d’erreur matérielle ou pour omission de statuer sur un ou plusieurs moyens et de la requête en rabat d’arrêt »
Après cette consécration du rabat d’arrêt comme voie de recours contre les décisions de la cour suprême, l’article 52 poursuit et précise qu’entre autres, les dispositions de l’article 36 du même texte de loi, sont applicables aux procédures en rabat d’arrêts déposées par les parties.
Et qu’est-ce donc qu’une procédure de rabat d’arrêt, sinon l’ensemble des règles qui définissent et organisent cette voie de droit, et en régissent l’exercice, par rapport à ses délais, à son introduction, et à son traitement ?
C’est sous ce prisme, que cet article 36 a posé le principe du caractère non suspensif des décisions de la Cour suprême en général, mais en aménageant par nécessité future cinq (5) exceptions. Ce faisant, il dispose que : « Le délai de recours et le recours ne sont suspensifs que dans les cas suivants :
- en matière d’état ;
- quand il y a faux incident ;
- en matière de vente immobilière ;
- en matière pénale, sauf, d’une part, en ce qui concerne les condamnations civiles et, d’autre part, l’existence de dispositions législatives contraires ;
- dans les cas prévus à l’article 74-2 de la présente loi organique».
En inversant la proposition (sans égratigner son assertabilité), je suis tenté si on me l’accorde pour la démonstration, de parler de consécration par négation, du caractère suspensif des délais de rabat et du rabat. Cela donnerait : le délai de recours et le recours ne sont pas suspensifs (négation), sauf…en matière pénale… (consécation pour cette matière).
Il se trouve que l’affaire Khalifa Sall qui a abouti au pourvoi en cassation, lui-même susceptible de recours, est purement pénale.
Ainsi, dès lors qu’à son tour l’arrêt de la Cour suprême rejetant le pourvoi en cassation du sieur SALL a fait l’objet d’un recours légal en rabat d’arrêt, la probabilité de sa rétraction s’était dressée, mais aussi et par effet domino, un tout aussi probable réexamen de l’arrêt de la Cour d’appel, devenu en conséquence non exécutoire au regard des dispositions de cet article 36 susrelevées.
C’est devant cette troublante évidence, qu’une rocambolesque « ingénierie juridique » s’est forgée, et s’est construite par installation d’une confusion entre arrêt d’appel déféré en cassation, et arrêt de rejet du pourvoi.
II : Confusion délibérée des arrêts (de la Cour d’appel, et de la Cour suprême)
Le soutien du caractère non suspensif du recours en rabat d’arrêt s’étant avéré intenable sérieusement, des interprètes maladroitement inspirés (disons-le ainsi), ont tenté de détourner le débat vers l’arrêt de la cour d’appel, dont le caractère définitif n’était plus discutable pour eux, puisque la cour suprême a rejeté le pourvoi tendant à sa cassation, (peut importe la suite du rabat ?)
Pourtant il est évident que même en l’absence de recours, les seuls délais de rabat suspendent les effets de l’arrêt de rejet comme disposés par la loi organique visée supra ; ce qui signifie à ce stade, qu’il n’en est pas encore définitivement jugé de la régularité en droit de la décision de la cour d’appel.
C’est là qu’il faut pointer la prouesse du juge constitutionnel, véritable contorsion juridique introduisant dans sa décision N° 2/E/2019 du 13 Janvier 2019 une vicieuse distinction entre rabat d’arrêt et « procédures en rabat d’arrêts déposées ».
En effet, il n’en demeurerait pas moins que pour enclencher ces procédures, il est imparti au défendeur des délais dans lesquels, l’arrêt de rejet de la Cour suprême ne produit aucun effet juridique, ce qui signifie autrement, que l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel est elle-même suspendue.
Il est aisé de comprendre cette volonté du législateur quand on sait qu’une fois enclenchées, ces procédures suggérées par le juge constitutionnel sont susceptibles d’aboutir à la mise à néant de l’arrêt de rejet rendu par la cour suprême, et donc à son nouvel examen, si le grief qui lui est fait est établi.
Ce que confirme d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans son « considérant » 65, quand il affirme que seule la rétractation de son arrêt de rejet peut empêcher l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel, à l’issue bien entendu de l’examen d’une procédure de rabat d’arrêt introduite dans les délais.
Il va donc sans dire qu’en cas de rétraction (pour utiliser le mot du Conseil constitutionnel), l’arrêt de rejet serait censé n’avoir jamais existé ; ce qui renverrait les parties au statu quo ante, c’est-à-dire à la suspension de l’arrêt de la cour d’appel.
Devant une telle éventualité, comment peut-on imaginer que cet arrêt d’appel dont la conformité en droit demeurerait encore mise en cause devant la juridiction de cassation puisse alors être exécutoire ?
Il faut donc garder à l’esprit, que la raison d’être de la consécration de l’effet suspensif des décisions de justice, est justement d’éviter les conséquences irrémédiables d’une exécution prématurée, comme en notre espèce la clôture définitive de la liste des candidatures aux prochaines présidentielles.
Aurions-nous été dans un cas de condamnation à une peine de mort, qu’on aurait exécuté le condamné.
Comment pourrait-on alors réparer une conséquence aussi désastreuse, si ultérieurement l’examen du rabat aboutissait à l’anéantissement de l’arrêt de rejet ?
Pourtant c’est fort probable en notre espèce, la Cour suprême ayant siégé à six (6), alors qu’obligatoirement, il doit siéger en nombre impair, conformément à l’article 10 de la loi organique sus invoquée, qui dispose que « Les chambres sont composées chacune d’un président, de conseillers et de conseillers délégués ou référendaires. Elles siègent obligatoirement en nombre impair ».
Moustapha DIOUF, Magistrat, Docteur en droit public