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IBRAHIMA MANÉ : L’INTELLECTUEL INTRANQUILLE, L’ÉVEILLEUR DES CONSCIENCES

« L’intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. » — Jean-Paul Sartre

L’Afrique a toujours été le berceau des esprits éclairés, de ceux dont la pensée, aiguë et affûtée, ne se contente pas de contempler le monde, mais s’emploie à le comprendre, à le questionner et à le réformer. Parmi ces figures qui marquent leur époque d’une empreinte indélébile, Ibrahima Mané occupe une place de choix. Journaliste, philosophe, analyste politique, humaniste et penseur du réel, il fut un éclaireur des consciences, un lanceur d’alerte, un homme qui n’hésitait jamais à asséner des vérités tranchantes, au risque de déranger.

Un parcours exceptionnel

Né le 10 avril 1956 à Dakar, Ibrahima Mané a tracé un chemin brillant dès ses premières années d’apprentissage. Formé au Lycée Van Vollenhoven, il embrassa des études de philosophie, d’anglais et d’italien à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar avant de se spécialiser en journalisme et en communication à l’international. Diplômé du CESTI , il poursuivit son parcours académique à Montréal, à Columbia, et en France, où il obtint plusieurs diplômes d’études supérieures, notamment à l’Université Paris II Assas et à l’IEP Sciences Po Paris . Son érudition s’est construite sur la pluralité des savoirs, allant de la sociologie de la communication au cinéma, en passant par les sciences politiques.

Un esprit libre, une amitié indéfectible

Ma rencontre avec Ibrahima Mané fut le fruit du destin, facilitée par un ami commun, Karim Ndiaye de la bibliothèque de l’UCAD. Dès nos premiers échanges, j’ai été frappé par la vivacité de son esprit, sa rigueur intellectuelle et sa passion pour le débat. Il ne se contentait pas d’écouter ; il interrogeait, il disséquait, il confrontait les idées avec une force rare, toujours en quête de vérité.

Son amitié était une forteresse imprenable. Avec lui, point de complaisance : il avait cette capacité déroutante de mettre chacun face à ses propres incohérences, non par arrogance, mais par exigence intellectuelle. C’était un frère d’âme, un compagnon d’engagement, un alter ego dans la lutte pour l’éveil des consciences africaines. Nous avons traversé ensemble bien des tempêtes, nous soutenant mutuellement avec la certitude inébranlable que notre combat pour la vérité et la justice était juste.

Aristote disait : « L’ami est un autre soi-même. » C’est ainsi que je percevais Mané : une extension de ma propre quête, un miroir exigeant qui me renvoyait toujours vers l’essentiel.

Un intellectuel sans concessions, une plume de feu

Ibrahima Mané appartenait à cette race rare des penseurs intranquilles. Il ne se contentait pas d’analyser les faits, il les décortiquait, les mettait en perspective, révélant leurs implications cachées. Son regard était acéré, son jugement sans concession. Il fut un fin stratège en communication politique, un commentateur redouté et un journaliste engagé. Ses chroniques dans Le Témoin et Le Cafard Libéré étaient autant de brûlots intellectuels qui secouaient les consciences et mettaient à nu les dérives du pouvoir.

Ibrahima Mané n’était pas seulement un intellectuel brillant ; il était un éclaireur des consciences. Journaliste incisif et analyste politique, il a collaboré avec des revues prestigieuses telles que Jeune Afrique et Afrique-Asie-Amérique Latine . Au Sénégal, il devint une figure incontournable de la presse, notamment à Le Témoin et Le Cafard Libéré , où ses chroniques résonnaient avec la force d’une vérité implacable tel que rappelé plus haut.

En tant que Rédacteur en Chef de Démocraties Africain es, il contribua à l’essor d’un débat public structurant, promouvant les idéaux de démocratie, de bonne gouvernance et de justice sociale.

Platon affirmait que « la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même. » Mais chez Mané, la pensée était bien plus qu’un dialogue intérieur ; elle était un brasier incandescent projeté dans l’espace public. Il dérangeait, il provoquait, il réveillait. Son œuvre journalistique et académique fut immense, portée par une plume qui ne tremblait jamais, une plume trempée dans l’encre de la vérité et du courage.

Un humaniste, un passeur de savoirs

Si Ibrahima Mané fut un esprit redoutable, il fut aussi un homme d’une générosité intellectuelle inégalée. Son altruisme dépassait les cadres traditionnels : il ne se contentait pas d’aider, il formait, il accompagnait, il élevait. Il fut un mentor pour de nombreux étudiants et chercheurs, offrant son expertise dans la rédaction de thèses, d’articles et d’ouvrages.

Senghor écrivait : « L’intellectuel africain doit être à la fois enraciné et ouvert. » Mané incarnait pleinement cette dualité. Ancré dans sa culture, il portait aussi en lui une ouverture universelle, un regard critique sur le monde, une passion pour la transmission du savoir. Son engagement au sein du CACSUP et de l’ICAGI Amadou Mahtar Mbow témoigne de cette volonté indéfectible d’élever les générations futures.

Un Héritage Intellectuel Inestimable

Derrière chaque grand homme, il y a un legs, une œuvre qui transcende son existence terrestre. L’héritage d’Ibrahima Mané est colossal. Ses publications, ses analyses, son engagement intellectuel et politique continueront d’inspirer les générations à venir. Il fut un architecte du savoir, un bâtisseur de pensée, un forgeron de conscience.

Aimé Césaire disait : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche. » Mané, à travers sa plume et son combat, a donné une voix à ceux qui en étaient privés. Il a défendu l’idéal d’une Afrique souveraine, éclairée, guidée par la raison et la justice.

Aujourd’hui, nous pleurons un ami, un frère, un maître. Mais nous célébrons aussi un homme qui a accompli sa mission sur terre. Que la terre de Yoff lui soit légère, et que son esprit continue de briller au firmament des grandes figures intellectuelles de notre temps.

M. Ibrahima Eloi SARR
Président du CACSUP/Sénégal et de l’ICAGI Amadou Mahtar MBOW