Émouvante lettre Posthume de Fallou Sène (Par le collectif des étudiants de l’Ugb)
Les étudiants du Sénégal particulièrement ceux de l’université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) continuent de pleurer leur camarade Fallou Sène, mort ce mardi. Avec ses camarades, Fallou Sène, 26 ans, réclamait le paiement des bourses et de meilleures conditions d’études. A travers une missive parvenue à Senego, ils rendent un hommage à leur camarade « parti tôt ».
LETTRE POSTHUME DE FALLOU SENE.
Le 31 janvier 2001, c’était Balla Gaye, le 14 Août 2014, Bassirou Faye et le 15 mai 2018, c’est à mon tour, moi Mouhamadou Fallou Séne. Je venais d’avoir seulement 26 ans, le 14 mai.
Dans ma dernière demeure, je vous écris ces mots pour un dernier adieu. Ces derniers jours, mon nom est dans la bouche de tous les sénégalais, mes photos circulent et les discours se posent et opposent les uns des autres. Dans les médias, mon nom est écrit en rouge ou sur fond rouge. Rouge de mon sang versé par une balle qui a transpercé mon corps et m’a ôté ma vie.
D’aucuns se désolent de ma disparition en clamant haut et fort justice. Je suis, ou disons, j’étais un jeune sénégalais, un citoyen comme tous les autres, mais malheureusement étudiant. Pour une miette somme de 36.000F, ma vie a été mise en jeu et à la fin c’est mon âme qu’on m’a prise. On m’a liquidé. Je suis parti, mes rêves avec moi. Oui, j’avais des rêves comme tout jeune : devenir quelqu’un.
D’autres pensent que le cataclysme qui m’a ôté ma vie n’est qu’un incident qui s’est passé à l’UGB, je pense au chef suprême de ma Nation et à son ministre de l’intérieur. Ils pensent que nous n’avons pas le droit de jeter des pierres pour riposter aux forces de l’ordre qui tirent à balles réelles sur nous, je pense au ministre des forces armées. Ils pensent que verser 36000F à mes camarades allait apaiser les coeurs après que mon âme s’est envolée, je pense au Ministre de l’Enseignement Supérieur et au chargé de finance.
Mais, ils ne pensent pas que je suis un enfant pour des parents qui avaient porté leur espoir sur moi. Les voir pleurer était mon dernier souhait, aujourd’hui leurs chaudes larmes vont arroser ma tombe jusqu’à leurs derniers souffles et je ne pourrais rien faire pour les consoler. Ils ne pensent pas que j’étais un homme qui avait des rêves à réaliser avec sa femme : devenir et la rendre la femme la plus heureuse au monde.
Hélas, un coup violant, fatal à arrêter le battement de mon coeur alors que ma femme, désormais veuve, avait encore besoin de mon amour, de mon attention, de ma protection, de ma présence, de ma vie. Ils ne pensent pas que je suis père, d’un petit garçon de 2 ans. Pour 36.000 F, son père est exécuté le rendant jeune orphelin qui n’aura presque aucun souvenir de son paternel. Il doit cesser brutalement de dire « papa ».
D’abord, comment va-t-on lui annoncer ma pitoyable agonie ? Comment va-t-il vivre le jour de mes funérailles ? Combien de fois va-t-il poser à sa maman des questions du genre : maman, où est papa ? Pourquoi il n’est pas revenu ? Va-t-il revenir ? Oh mon fils ! D’ailleurs, se souviendra-t-il de moi ? Sentira-t-il le bonheur d’avoir un père ? La valeur d’un père ? « Bonjour papa, au revoir papa. Papa est arrivé. Papa achete-moi un vélo. Papa, je t’aime ! » Tous ces mots sont privés à mon fils. Enfin, quand il grandira, comment va-t-il vivre le sentiment d’avoir perdu son père pour 36.000 F ?
Pourtant, je voulais l’entendre un jour me dire : « papa, je veux devenir comme toi ». Pour mon fils, je voulais être patron du CROUS pour veiller au bien être des étudiants de ma Nation. Et jamais un politicard qui hypothèque l’avenir des milliers de jeunes pour défendre les intérêts d’un parti politique. Pour lui, je voulais être Ministre, pourquoi pas de l’Enseignement Supérieur, pour veiller à son éducation à l’éducation de mon peuple, pour revaloriser en rendant sa superbe à l’Université de l’Excellence devenue l’Université de la décadence, et par ailleurs, bonifier toutes les instances universitaires. Et non pas, un ministre narcissique, cynique, têtu et décevant jouant l’apprenti-dictateur à la noix de coco. Pour lui, je voulais être président pour qu’il se sente choyé comme ou plus que Mamadou Sal. Mais un Président, pas par accident, qui est compétent tout en accordant écoute et respect à son Peuple. Pour mon fils, je voulais rester un bon patriote !
Pour 36.000, hélas, on a privé à mon fils son père, à mes parents leur fils et à mes amis leur ami. Si seulement, je pouvais rouvrir les yeux pour revoir mon fils, le prendre dans mes bras, le serrer très fort, lui donner un long bisou sur le front et lui dire avec le coeur un dernier « je t’aime ». Si seulement, j’avais le pouvoir de faire pareil pour ma femme, mon père, ma mère, tous les membres de ma famille, tous mes amis. Hélas, mon corps reste inerte, je n’ai pas ce pouvoir.
S’il me reste un pouvoir, c’est le souvenir qu’il faut garder sur moi. Mais je n’aimerais pas qu’on se souvienne de moi comme l’étudiant tué, mais comme celui qui en sacrifiant sa vie à rendu service à sa Nation, à fait qu’il n’y ait plus de mort par balle pour avoir réclamé ses droits fondamentaux. Si vous pensez que c’est normal que je meurs et que mes bourreaux continuent à se réjouir de leur pouvoir sombre, laissez-les délecter le goût de mon sang. Sinon, exiger leur démission à tous, vous avez le pouvoir. Faites-le, pas pour moi, pour ma mémoire mais, pour la Nation, pour la future génération, peut-être même pour mettre à l’abri la vie de mon fils qui sera, si Dieu le souhaite, dans l’une des universités. Qu’il soit assuré qu’il ne sera pas tuer dans le temple du savoir, que tous les enfants de ma Patrie soient rassurés.
Chers amis, pour mon fils, vos fils, la dignité de notre pays, les responsables d’exécution des innocents doivent être punis.
A la fin de ce message, j’aimerais remercier tous ceux qui ont compati à mon malheur qui m’a coûté la vie ; mais de ne jamais besser les bras, car l’avenir de notre pays est entre vos mains.
Que ma mort ne soit guère briseuse de vos rêves, mais booster de vos envies de réussir. Dites à mes parents que je suis désolé d’être parti sans pouvoir les amener voir le prophète. Dites à ma femme que mon coeur est désolé de ne pas pouvoir résister à la violence des gendarmes. Dites à mon fils que son père est parti en voyage, pour ne pas le traumatiser et dites-lui autant que vous le pourrez, sans cesse, que son père l’aime. Dites au gouvernement, à Baydallaye Kane, à Mouhamadou Diaw que le savon ne pourra pas laver mon sang innocent de leurs mains meurtrières.
Dites à toutes et à tous de ne pas oublier de prier pour moi.
Si je pourrais vous demander une dernière faveur, ce serait de faire de la nuit du 14 mai de chaque année, une nuit blanche où vous allez formuler des prières pour moi, et du 15 mai, la journée Fallou Séne marquée par une Journée Sans Tickets et sans Amphis.
Je m’appelle Fallou Séne et je vous dis Adieu.