VERDICT DE LA COUR DE JUSTICE SUR LE PARRAINAGE : La société civile démonte le Pr Ismaëla Madior Fall
Argument contre argument, Afrikajom Center, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) et la Ligue sénégalaise des droits de l’homme ont mis à nu, dans une déclaration conjointe, les ‘’contre-vérités’’ et ‘’erreurs d’analyse’’ du Pr Ismaëla Madior Fall, dans sa sortie contre le verdict de la Cour de justice de la Cedeao sur le parrainage, lequel est rejeté par l’État du Sénégal.
C’est la réponse du berger à la bergère. Alioune Tine d’Afrikajom Center, Sadikh Niass de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) et Me Assane Dioma Ndiaye de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, n’ont pas trop attendu pour apporter la réplique au ministre d’État, conseiller juridique du président de la République. Selon eux, ‘’détruire le système africain des droits de l’homme, c’est profaner la mémoire de Léopold Sédar Senghor, de Kéba Mbaye, de Birame Ndiaye et jeter par-dessus bord tout l’héritage d’Abdou Diouf, du Professeur émérite Ibrahima Fall, des Juges Youssoupha Ndiaye et Guibril Camara, de l’avocat Bacre Waly Ndiaye et de tous les hommes et femmes qui se sont battus toute leur vie pour le respect de la vie et de la dignité humaine au Sénégal, en Afrique de l’ouest et sur le continent’’.
‘’Tentative de destruction de l’organe le plus populaire de la Cedeao’’
Le Pr Ismaëla Madior Fall, commentant l’arrêt rendu par la Cour de justice de la Cedeao dans l’affaire qui opposait le parti Union Sociale Libérale (USL) à l’État du Sénégal et par lequel elle a ordonné aux autorités sénégalaises «de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections…par la suppression du système de parrainage électoral», a soutenu que la juridiction communautaire est sortie de son champ de compétence. ‘’Sans doute outré par la sanction infligée par trois juges téméraires de la Cour de justice au texte dont il est l’auteur, le Professeur Ismaïla Madior Fall s’est employé à discréditer la Cour de justice, coupable à ses yeux, de s’être érigé en juge suprême de la légalité nationale» et d’être sorti «de son champ de compétence et de sa politique jurisprudentielle favorable à la protection des droits de l’homme à partir des conventions internationales liant les États membres et non des textes nationaux comme les Constitutions nationales’’, martèlent Alioune Tine et Cie. Ils estiment ainsi que cette proposition de mise au pas de la Cour de justice de la Cedeao doit être prise très au sérieux dès lors qu’elle vient du conseiller juridique du président de la République du Sénégal. De ce fait, ils pensent même que les militants des droits de l’homme et les défenseurs de l’état de droit et de la démocratie en Afrique de l’ouest, doivent se mobiliser pour tuer dans l’œuf, cette énième tentative de destruction de l’organe le plus populaire de la Cedeao, sinon du continent. En attendant, ils se sont employés à démonter, pièce par pièce, l’argumentaire utilisé par le ‘’cher Professeur émérite’’ pour discréditer la Cour de justice de la Cedeao.
‘’Contre-vérités’’
Après avoir fait la genèse même de la plainte de Me Tine contre l’État du Sénégal et des arguments avancés par la juridiction communautaire pour demander la suppression de la loi sur le parrainage, ces organisations de la société civile soutiennent qu’il y a dans la réaction du Pr Ismaëla Madior Fall des contre-vérités et des erreurs d’analyse. ‘’Il est fait dans l’argumentaire du Professeur Fall un parallèle entre la condamnation du parrainage par Cour et l’impossibilité totale d’une telle condamnation par les deux cours européennes qui s’occupent de droits de l’homme. Cette mise en contraste est fausse’’, notent Alioune Tine et Cie. Ils relèvent en outre qu’il est faux de laisser penser que les deux cours européennes n’ont jamais contesté des législations nationales restreignant de manière abusive le droit de participer à des élections. Selon Tine et Cie, ‘’la Cour de la Cedeao ne se départit pas de sa jurisprudence sur la nécessité d’une violation concrète d’un droit’’. Elle indique clairement que «les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale par la loi 2018-22 du 4 février 2018 doivent être rétablis dans leurs droits». De ce fait, ‘’au moment où elle est saisie, il y’a donc bien des personnes dont le droit a été violé’’.
Pour ces organisations de la société civile, c’est complètement malhonnête de la part du Pr Fall, de présenter la décision de la Cour de la Cedeao comme hostile en totalité au Sénégal. ‘’Cela est inexact. Il y a plusieurs demandes exprimées par le requérant et qui ont été rejetées par la Cour’’, rappellent-ils. Non sans préciser que ‘’ la Cour a jugé qu’il n’y avait aucune violation du statut des partis politiques; a rejeté l’argument sur le caractère discriminatoire la loi électorale ; et a rejeté l’argument sur l’entrave à la libre participation aux élections’’. Sur tous ces points, donc, la Cour s’est placée du côté du Sénégal’’, fulminent-ils. Soulignant ainsi que c’est inexact de présenter l’arrêt «Karim Wade contre État du Sénégal» comme ayant approuvé les autorités sénégalaises en disant que la restriction des droits de M. Karim Wade était «légale et nécessaire». Or, rappellent Tine et ses collègues, la Cour «dit que l’interdiction de sortie du territoire (…) est illégale parce que ne reposant sur aucune base juridique» ; «dit que l’État du Sénégal a violé le droit de présomption d’innocence» ; «en conséquence, ordonne la levée de la mesure d’interdiction de sortie du territoire national».
‘’Erreurs d’analyse’’
A côté des contrevérités, Alioune Tine et Cie décèlent également des erreurs d’analyse du Pr Ismaëla Madior Fall. Contrairement à ce qui est affirmé, ils soulignent que ‘’la Cour ne se comporte absolument pas en juge de la légalité nationale. Aussi, est-il prétendu qu’en jugeant cette affaire, la Cour a versé dans l’opportunité au lieu de rester dans la légalité. ‘’Où est l’opportunité dans tout cela ? La Cour analyse une situation et en conclut qu’un droit, conféré par des instruments internationaux a été violé. Nous sommes bien dans la légalité et non dans l’opportunité. L’opportunité, c’était par exemple de dire que pour cette élection-ci, ou compte tenu du taux d’abstention ou de participation, ou encore de la conjoncture sanitaire ou sécuritaire etc…Ce n’est pas un jugement en opportunité qui a été rendu. Personne ne peut sortir de l’arrêt un élément de conjoncture, lié à une conjoncture particulière, permettant de dire qu’il s’agit d’une décision d’opportunité’’, déclarent-ils. Avant d’ajouter : ‘’notre professeur confond «jugement d’opportunité» et «jugement de valeur»’’. Or, ‘’un jugement d’opportunité peut être interdit à un juge, un jugement de valeur est inévitable, si l’on entend par valeur, la valeur juridique, la conformité au droit’’. A cet égard, notent ces défenseurs des droits de l’homme, ‘’la valeur en question n’est pas une valeur absolue (ce qui est « bien », « bon », avantageux », « préférable » etc.), c’est une valeur juridique et cela est une nécessité. Dans l’arrêt rendu, il n’y a aucun « jugement de valeur » sur l’État défendeur, on n’a jamais stigmatisé son attitude dans l’absolu, mais seulement par rapport au droit. Il est inexact de dire qu’un jugement de valeur (en général) a été formulé’’.
L’autre erreur d’analyse du Pr Ismaëla Madior Fall, selon ces organisations de la société civile, est de convoquer le taux d’exécution des arrêts et en faire un critère de qualité de ces arrêts. Or, des décisions parfaitement défendables, juridiquement rigoureuses, peuvent rester inexécutées et d’autres, très contestables, être mise en œuvre. ‘’Le taux d’exécution des décisions ne veut rien dire sur leur qualité. Le fait est juste que les États rechignent en général à exécuter les décisions de justice dans certains systèmes ou contextes’’, relèvent-ils. Rappelant que le Bénin, le Rwanda et la Côte d’Ivoire ont «déserté» le prétoire de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Tine et Cie relèvent que le Sénégal a toujours été en matière politique et de droits de l’homme un grand commençant, une référence à suivre pour tout le continent africain.
L’info