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FAMARA IBRAHIMA CISSE, PRESIDENT ACSIF : ‘’Les relations banque-client sont extrêmes difficiles et pétris d’abus’’

Entre les banques et leurs clients, c’est loin d’être le grand amour ! Pour le président de l’Association des clients et sociétaires des institutions financières (Acsif), entre cherté des coûts, mauvaise qualité des services, non-respect des directives de la Banque centrale…c’est une relation difficile, faite de beaucoup d’abus, avec toujours comme victime, le client. En attestent, souligne Famara Ibrahima Cissé dans cet entretien, la quarantaine de récriminations que l’Acsif reçoit par jour.  

L’info : Depuis plus an, le Sénégal comme beaucoup de pays, connait une situation de pandémie. Dans quelle situation sont aujourd’hui les clients des banques ?

Famara Ibrahima Cissé : Les clients de banque, les personnes physiques et les personnes morales que constituent les entreprises, ont subi et continuent de subir les effets de la pandémie. L’Acsif dès le début, avait écrit une lettre au président de la République pour lui demander, le report des échéances de crédit de trois mois renouvelables. Et le président de la République a accédé à notre demande. Mais il nous a été donné de constater que ses instructions n’ont pas été, en partie, respectées. Dans la mise en application des instructions de la Banque centrale et du président de la République, nous avons constaté que les salariés de la Fonction publique et d’autres salariés qui sont dans d’autres secteurs, n’ont pas été pris en compte. Des mesures internes ont été prises par les institutions financières allant dans le sens de ne reporter les échéances de crédit que pour les entreprises directement impactées par la pandémie, alors que tout le monde sait que tous les travailleurs sont impactés, directement ou indirectement. Ce qui fait que le report était inéluctable pour préserver le climat d’apaisement et la relation cliente. Nous avons constaté que certaines banques ont reporté, d’autres ne l’ont pas fait. Et le refus de reporter a été surtout noté au niveau des institutions de microfinance qui par moment, non seulement n’ont pas informé qu’il y avait une possibilité de report, mais, pour les clients qui étaient informés, les institutions de microfinance ont refusé catégoriquement le report. Alors que le report s’inscrivait dans une dynamique d’accompagnement. Cette pandémie a été extrêmement dure pour les opérateurs économiques.  

Qu’avez-vous fait contre ce refus de certaines institutions de respecter le report sur les échéances de crédit ?

Nous avons saisi la Banque centrale. Nous avons aussi saisi l’État du Sénégal via le ministère des Finances.  Et nous avons pointé du doigt les banques et les institutions qui ont refusé de reporter les échéances de crédit. Parce que la Banque centrale nous avait donné deux adresses mails de réclamation pour les banques et une autre adresse pour les microfinances. Nous avons envoyé tous les cas que nous avons constaté de refus de report. Mais, il faudra reconnaitre que jusqu’à présent, nous n’avons pas entendu de sanctions venant de la Banque centrale. Ce qui est déplorable. Aujourd’hui, on constate beaucoup de récriminations des clients. 

Comment jugez-vous les relations banque-clients ?

Ces relations sont extrêmes difficiles et pétris d’abus. Par exemple, il y a une banque de la place qui a décidé, tout récemment, de façon unilatérale, de facturer 5800 francs CFA à tous les clients qui reçoivent leurs virements au-delà du 30. Ce qui est inacceptable. Parce que le client qui travaille n’est pas maitre du virement de son salaire. L’employeur a la possibilité et le droit de virer le salaire jusqu’au 8 du mois. Ces abus qui consistent à prendre des mesures ou décisions unilatérales sans en informer au préalable, ou prendre le soin d’en discuter avec la clientèle, sont nombreux. Dans ce pays, nous n’avons pas de contrats bancaires. Nous n’avons que des contrats d’adhésion. Les populations n’ont pas d’éducation financière. Avec la bancarisation, les populations sont obligées de domicilier leurs avoirs dans une banque. C’est une loi qui impose la bancarisation de tous les biens et avoirs qui sont supérieurs ou égales à 100 mille francs. C’est une donne qui est imposée aux usagers. Malheureusement, il n’y a pas de mesures d’accompagnement de nos autorités étatiques. Ces populations ne sont pas suffisamment préparées. Elles ne connaissement pas leurs devoirs et leurs droits, dans les institutions bancaires qui les tiennent à leur merci. C’est pourquoi, l’Acsif a pris, cette année, la décision de recruter un cabinet d’avocat et de mettre en place un fonds qui va servir à prendre en charge les frais de conseil de ces petits clients. 

Qu’en est-il aujourd’hui des mesures de gratuité de certains services bancaires prises par l’Uemoa et la Banque centrale ?

Ce sont des mesures que la Banque centrale avait prises depuis 2014. Il nous a été donné de constater que, jusqu’à présent, il y a des banques qui refusent d’appliquer ces 19 mesures de gratuité. L’ouverture d’un compte, les frais de tenus de compte, les relevés de compte, les Sms et les mail banquing devraient être gratuits. Mais 90%, je dirais même 99% des banques, n’appliquent pas ces mesures-là. Et cela dans l’impunité totale. C’est comme si la Banque centrale n’avait aucun pouvoir coercitif sur ces institutions bancaires. Ce qui est extrêmement grave. Parce qu’il appartient à la Banque centrale de sanctionner et de réguler le système. Malheureusement, les usagers sont laissés pour compte. 

Quels sont les principaux problèmes que vivent les clients de banques ?

Les problèmes que les usagers vivent dans les banques sont d’abord relatifs aux coûts. Les taux d’intérêt sont élevés. Les services sont surfacturés par les banques en réalité. Au-delà des coûts, les usagers sont confrontés à un réel problème de qualité des services. Vous voulez faire une opération, vous faites 48 heures.  Vous voulez retirer de l’argent, vous perdez 3 heures d’horloge. Même au niveau des GAB, vous voyez qu’il y a de longues files d’attentes. Le ratio gestionnaire de compte-client est faible. Ce qui pose un réel problème de transparence.  Parce que l’usagers n’est pas informé à temps. Il y a aussi un problème de sécurité du service.  Nos finances ne sont pas sécurisées. Vous savez, nous sommes dans un monde qui avance. La technologie avance à grand pas.  Il faut une éducation financière allant dans le sens d’utiliser ces services financiers, pour que les cybers criminels qui s’adaptent à la technologie ne puissent pas s’emparer de leurs données pour vider leurs comptes bancaires. Pour une meilleure sécurité des comptes bancaires, il faut fondamentalement que, ces comptes soient assurés. C’est important.  

Est-ce qu’on peut avoir une idée du nombre de contentieux bancaires dont vous êtes informés ?

En réalité, nous recevons en moyenne 40 récriminations par jour par différents réseaux. Mais la principale réclamation que nous recevons tous les jours est relative à la mobilité bancaire : le changement de banque.  Les clients éprouvent énormément de difficultés pour changer de banque. Pour changer de banque, c’est la croix et la bannière. Le client qui veut changer de banque, il est tenaillé par deux monstres financiers : la banque d’accueil qui cherche à lui soutirer de l’argent et la banque de départ qui cherche elle aussi à lui soutirer de l’argent. Pour changer de banque, le client paie l’attestation d’engagement, un simple papier qui vous dit : vous me devez, 87750 francs CFA ou 90000 francs Cfa.  L’attestation de non engagement, c’est-à-dire un papier qui dit : ‘’vous ne me devez rien’’ est aussi facturée à la même somme. Donc le client paie environ 200000 pour changer de banque. Et cela, sans tenir compte des délais de pénalité de remboursement par anticipation et du remboursement du prêt. Pire, ça tire à longueur parce que l’attestation d’engagement et l’attestation non engagement prennent un mois avant de sortir. C’est pourquoi, nous avons demandé à ce que la question soit prise en compte par les autorités étatiques, la Banque centrale et les institutions bancaires pour faciliter la mobilité bancaire qui est un indicateur de transparence et de concurrence.  Parce que pour qu’on puisse parler de concurrence, il faudrait que le client puisse changer de banque facilement. 

Il y a aussi la question des recouvrements humiliants ?

Effectivement, nous l’avons dit et nous avons saisi la direction de la réglementation sur cette question.  Non seulement, il y a des institutions de microfinance qui pullulent dans la clandestinité, qui n’ont pas d’agrément et qui exercent illégalement la profession, mais au-delà de ça, les modes de recouvrement sauvage et humiliant devront être dépassés. Cela a créé énormément de problèmes. La police même était mêlée à ça. Et lorsque nous avons saisi le procureur pour qu’il intervienne, il a sorti une circulaire pour demander à la police et à la gendarmerie de ne plus s’immiscer dans des affaires civiles et commerciales. Je pense que c’est un début de solution avec le procureur. 

Entretien Réalisé par Mbaye THIANDOUM