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SITUATION POLITICO-ECONOMIQUE, RAPPORTS WADE-MACKY, AFFAIRE KHALIFA SALL : DR BACAR DIA, ANCIEN MINISTRE CRACHES SES VERITÉS

Plusieurs fois membre du gouvernement (ministre des Sports, ministre de la Communication) sous le règne de Me Abdoulaye Wade dont il était l’un des alliés politiques, Bacar Dia reste toujours attaché aux idéaux de son ancien patron malgré leur séparation. Bien que s’étant retiré de la scène politique pour se consacrer à sa profession, il donne son avis sur la gestion de Macky Sall, analyse la situation politique du pays qu’il juge difficile. Il n’a pas manqué de se prononcer sur la réconciliation entre Macky Sall et Me Abdoulaye Wade.

POUQUOI JE ME SUIS RETIRÉ DE LA POLITIQUE

C’est vrai que je fais partie de ceux qui l’ont élu, mais je ne me voyais pas aussi méritant, sinon plus que tous les Sénégalais qui étaient chaque jour à la Place de l’Obélisque et qui se battaient pour le départ d’Abdoulaye Wade. Je ne pense pas avoir plus de mérite que ces Sénégalais qui s’étaient engagés autour d’un principe. Ce n’était pas un combat contre Wade, mais c’était un combat contre un système. Vous vous souvenez du fameux quart bloquant. Nous étions tous armés d’un principe solide. Mais au lendemain de la victoire de Macky Sall à la présidentielle, j’avais envie d’aller faire autre chose, parce que je suis médecin biologiste de la reproduction de formation, juriste aussi. Je me suis dit c’est gagné donc je dois aller faire autre chose. Il faut que les Sénégalais apprennent à faire de la politique, à occuper des fonctions ministérielles, à aller faire autre chose, car cette fonction n’est pas une fin. Je me plais dans ce que fais actuellement.

MOn CreDO : AvOIr une
PrOfeSSIOn et L’eXerCer

Après avoir occupé des responsabilités gouvernementales, ce n’est pas facile de reprendre ses anciennes activités du fait du regard des autres qu’il faut savoir transcender.On a eu des voitures de fonction, des chauffeurs, des gardes du corps et brutalement on se retrouve avec son véhicule personnel. Moi, pour marquer la rupture, je suis allé chercher ma voiture de marque 205 que je conduisais. La deuxième chose qui me paraît difficile reste le redémarrage, car la politique t’absorbe et te prend tout ton temps. Redémarrer, c’est extrêmement difficile, mais avec l’aide des amis, des proches, de la famille, on parvient à accepter les choses. Quand j’ai quitté le Gouvernement, je suis allé faire des études sanctionnées par une thèse en Droit Public, et maintenant je suis dans mon entreprise ; je m’occupe des pauvres et des moins nantis, je fais ce que j’ai envie de faire. Je pense que ceux qui ont soutenu Macky Sall en 2012, ce sont ces femmes, ces jeunes qui étaient dans la rue et qui n’ont rien réclamé en retour. Je suis fier de le dire, j’ai risqué ma vie, j’ai reçu de l’eau chaude, été attaqué. Et au lendemain de la victoire du Président Macky Sall, je suis partitravailler. Je ne réclame rien.

LE SYSTEME ACTUEL A COMMIS BEAUCOUP D’ERREURS

J’aime bien ce statut d’ancien ministre d’Abdoulaye Wade, qui a été en charge de la Communication, des Sports et surtout porte-parole du gouvernement. Au-delà de tout, je suis un homme passionné de Me Wade et je l’assume. Je me souviens de
l’époque où le journaliste Yakham Mbaye me nommait Bacar Wade Dia ; mais moi je ne vais pas l’appeler Yakham Sall Mbaye, parce que je le respecte. Il m’a donné ce sobriquet du fait de la densité de mes propos. Je crois que Wade a incarné quelque chose dans la vie des Sénégalais. C’est un panafricaniste qui a très tôt compris que la bataille se trouvait dans l’éducation et les infrastructures. Et moi, j’étais son porte-parole au moment où il déroulait tout ce programme. Donc j’avais des choses à dire. Si j’avais à revivre cette situation, je referai la même chose. Je reste convaincu qu’Abdoulaye Wade est un des grands messieurs de notre siècle à qui nous devons tout le respect qu’il faut. C’est pour cela que je suis content de voir Macky Sall comprendre enfin que Wade est un homme
qu’on doit respecter. Macky Sall a fait un mandat de sept ans, un mandat de guerre et de prison. J’ai mal quand je vois Macky Sall élever au plus haut sommet Abdou Diouf et écraser Me Abdoulaye Wade. Il a été injuste envers Wade, quel que soit le
niveau de leurs contradictions. Quand je le vois donner le nom de Diouf au Centre International de Conférence de Diamniadio, je me dis qu’il s’est trompé. Moi, j’ai été porte-parole du gouvernement et en même temps porte-parole du Président Wade, j’étais entre les deux hommes, je savais combien ils s’estimaient et comment AbdoulayeWade avait de la considération pour Macky Sall et moi-même. J’ai été pendant cinq ans porte-parole alors que je ne suis pas du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Les libéraux disaient que la fonction de porte- parole devait revenir à quelqu’un du Pds et Wade leur répondait : «Bacar Dia le fait mieux que vous». A un certain moment, le
Pds a eu raison sur Wade qui m’a enlevé ; mais une semaine après j’ai repris le poste. Cet homme a du mérite, il dépassait les partis. Au lendemain de la présidentielle de 2012, lorsque les gens de Benno Bokk Yakaar ont commencé à accuser Me Wade d’avoir volé les tapis et les rideaux, je me suis dit que ces personnes ne connaissent pas Wade. Il est bien au-delà des questions matérielles. Aujourd’hui, il est là à vivre avec nous, il n’a presque plus de maison. Il est persécuté, et c’est injuste ce qu’il a subi. Et moi je ne peux pas être dans un système qui cautionne cette injustice. Quand la traque a commencé et que le régime persécutait Me Wade, j’ai marqué mon désaccord avec Macky Sall. Je préfère rester dans ma dignité et être fier d’être un ancien porte-parole de Wade que d’être entraîné dans de grosses erreurs. Je crois que Macky Sall a compris qu’il doit engager le processus de rectification à tous les niveaux. Il doit changer beaucoup de choses tant au plan économique que social. Le système actuel a commis beaucoup d’erreurs.

RECONCILIATION WADE-MACKY

Je suis très content de ce que j’ai vu lors de l’inauguration de la mosquée Massalikul Jinnan, mais on est en politique ; ce qui est en amont ou en aval, je ne m’y prononce pas. Le Khalife Serigne Mountakha Bassirou Mbacké a joué son rôle de régulateur social. Je suis fier d’être sénégalais, après ce que j’ai vu. La deuxième chose, c’est que les anciens Présidents doivent parler avec ceux qui sont en activité. Je caresse le rêve de voir Abdou Diouf parler avec Macky Sall et Abdoulaye Wade des grandes questions du
Sénégal comme cela se passe dans beaucoup de pays tels que la France ou même le Ghana. Je serais heureux de voir Abdoulaye Wade devenir un grand médiateur et Macky Sall a une belle carte à jouer dans ce sens. Je ne peux pas savoir ce qui se passera après, mais je suis convaincu que Macky Sall doit continuer sur cette voie et arrêter d’écouter les extrémistes de son bord, les gens qui ne pensent exister que par les injures. On dit que Macky Sall n’insulte pas, c’est bien ; mais quand il se fait entourer par des hommes qui insultent et qu’il ne dit rien, je me dis que c’estlui qui les actionne. Il doit mettre fin à cette volonté de s’attaquer à Abdoulaye Wade à tout bout de champ. Si ces gens s’en prennent à Wade, c’est parce qu’ils sont envoyés par leur patron. La preuve, quand il n’a pas voulu que les gens parlent de sa succession, il les a très tôt arrêtés et personne n’en parle plus depuis.
L’actuel Président n’est plus un enjeu majeur, en tout cas pas pour ma génération.Il n’a qu’une, deux ou trois missions, à savoir pacifier, ensuite réaliser et enfin laisser quelque chose à la postérité, car il est à son dernier mandat. Il doit éviter les positions extrêmes. Il ne peut pas être un homme pondéré, un homme de dialogue et se laisser entourer par des gens qui ne font qu’insulter. Cette poignée de main, pour le symbole, c’est très fort ; cela
veut dire que nous ne pouvons écarter les chefs religieux de la gestion du pays, c’est une exception sénégalaise. Je dis cela aisément, parce que je n’ai rien à réclamer. Depuis sept ans, Macky Sall est au pouvoir, mais je ne suis jamais allé le voir pour un poste. Et pourtant, tous ceux qui le combattaient sont avec lui. Macky Sall ne peut pas me donner ce que Me Wade m’a donné du point de vue de la responsabilité,
de l’honneur et de la confiance. C’est à 33 ans qu’il m’a fait entrer dans son gouvernement. Je lui dois beaucoup.

RETOUR DE KARIM WADE AU SENEGAL

Il faut que les gens du pouvoir comprennent que le Karim Wade qu’ils combattaient il y a quelques années était le fils du président de la République. Maintenant, cette théorie ne tient plus, on ne peut plus parler de dévolution monarchique. Il a le droit d’avoir des ambitions comme tout le monde. Mais je ne connais vraiment pas ce qu’il y a derrière cette réconciliation.

TENUE DU DIALOGUE NATIONAL

Pour moi, le dialogue est une vraie farce. Ils voulaient juste faire reculer les élections locales et il fallait l’habiller. Un dialogue politique sans Abdoulaye Wade n’a pas de sens ; qu’on l’aime ou pas, il reste le maître du jeu. Ce dialogue n’a pas de saveur encore moins d’odeur, parce que sans lui rien ne va marcher. Sur l’opposition, pour moi le chef est celui qui est le plus engagé. Quant au débat sur qui sera chef ou second, cela ne m’intéresse pas ; parce qu’à mon avis, ce sont les populations qui devront, à terme, identifier le plus indiqué pour prendre les rênes du pays. L’opposant le plus indiqué, ce sera celui qui exprimera le mieux les volontés de cette couche sociale qui ne demande qu’à être orientée.

SITUATION ECONOMIQUE DU PAYS

La situation économique du pays est très difficile. C’est pourquoi, je dis que Macky Sall doit engager un vaste processus de rectification en pacifiant. Actuellement, nous avons du pétrole et du gaz, mais avant nous avions de l’or et du zircon qui n’ont rien apporté aux Sénégalais. Il faut un Sénégal aux Sénégalais. C’estlà où le Président doit rectifier, parce que les taux de croissance qui sont des chiffres et qui n’impactent pas sur le panier du pauvre Gorgorlou n’ont pas de sens. La pauvreté telle que décrite par les institutions internationales ne veut rien dire. La bonne définition de la pauvreté, c’est celle donnée par Abdoulaye Wade. Il définissaitla pauvreté sur la base d’un syndrome de manque ou de la difficulté d’accès à l’éducation, aux infrastructures, à la santé. Il disait qu’en prenant en charge ces manquements, on peut réduire le taux de pauvreté. Un ami me disait tout à l’heure que le TER a coûté 1.200 milliards Fcfa.
Avec cette somme, il me disait qu’on peut construire 24 000 écoles pour 50 millions Fcfa par école, 6 000 hôpitaux à raison de 500 millions Fcfa par hôpital, 24 universités pour 50 milliards Fcfa. Est-ce là un bon investissement ? Je ne partage pas les orientations de Macky Sall. Mon problème avec lui, ce sont ses orientations politiques, c’est la bourse familiale qui est faite pour entretenir des militants.
Plus on en donne, plus il y en a d’autres qui en ont besoin. Au contraire, Wade avait un modèle achevé depuis la Case des tout-petits jusqu’à l’Université du Futur Africain. Mais la déwadisation a fait que même le concept de la Case des tout-petits a changé, ce que je ne partage pas avec lui. Je voyais Macky Sall suivre la dynamique de Wade au lieu de se lancer dans le TER qui l’empêche même de financer d’autres projets.

( Propos recueillis par
Amadou THIAM)