PRESIDENTIELLE 2019: Des juristes valident la candidature de Karim Wade
En attendant la liste définitive des candidats retenus par le Conseil constitutionnel, des spécialistes du droit, tant sur le plan national qu’international se sont invités au débat sur la candidature de Karim Wade. Il s’agit de Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, de Ibrahima Arona Diallo, professeur de droit public à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, membre du Centre d’études et de recherches sur les Constitutions, les libertés et l’Etat (Bordeaux), de Dominique Chagnollaud De Sabouret, professeur de droit public et de sciences politiques à l’université Paris II Panthéon-Assas, président du Cercle des constitutionnalistes, de Denis Alland, professeur de droit international à l’université Paris II Panthéon-Assas et de Rosnert Ludovic Alissoutin, enseignant-chercheur en droit à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, écrivain. Ces derniers sont unanimes sur la recevabilité de cette candidature et ont adressé, hier, une correspondance aux « sept sages » pour démontrer avec force et arguments leur position.
D’emblée, les signataires disent suivre « avec grande attention la situation politique du Sénégal » et sont préoccupés par « les controverses relatives à l’éligibilité » du candidat du principal parti de l’opposition, le PDS. Lesquelles controverses reposeraient, entre autres, sur la portée des dispositions de l’article L.57 du Code électoral issu de la loi du 4 juillet 2018 qui imposent d’être électeur pour faire acte de candidature. « Au terme d’un examen très approfondi de la question, au regard des textes en vigueur, la compétence, l’expérience et l’expertise que nous détenons dans les domaines du droit constitutionnel, des institutions politiques et du droit international, nous convainquent que la candidature de M. Karim Wade satisfait à toutes les conditions posées par les textes applicables et que le rejet de cette candidature susciterait l’incompréhension, et donc de vives critiques, de la communauté juridique internationale », avertissent les signataires de la lettre.
La privation de vote ne peut résulter que d’une décision expresse de justice
Pour démontrer l’éligibilité de la candidature de Karim Wade, les spécialistes rappellent que le fils de l’ancien président s’est inscrit le 16 avril 2018 devant la commission administrative qui siégeait à l’ambassade du Sénégal au Koweït, désigné pour inscrire les ressortissants sénégalais résidant au Qatar, lors de la révision exceptionnelle des listes électorales. Son inscription a été enregistrée par ladite commission qui lui a délivré un récépissé. Ce qui fait dire aux spécialistes du droit que « l’inscription de Karim Wade a été parfaitement régulière. Elle est devenue définitive », affirment les cinq « sages de Karim Wade ».
Seulement, à la date du 2 juillet 2018, l’ambassadeur du Sénégal au Koweït, révèlent les signataires, dit avoir reçu du ministère de l’Intérieur un document spécifiant que Karim Wade ne doit pas être inscrit sur les listes électorales en application de l’article L.31 du Code électoral. « Or, il ressort des dispositions de l’article R.43 du Code électoral que les services centraux ne peuvent procéder à une radiation de la liste électorale que si un électeur est inscrit sur au moins deux listes, ce qui n’est évidemment pas le cas en l’espèce », ajoutent les signataires qui estiment dans la foulée que cette décision de radiation n’est motivée que par la condamnation de Karim Wade par la CREI. Ce qui conforte les défenseurs du candidat du PDS à croire que cette décision a été prise par une autorité administrative d’autant plus que la décision de la CREI n’avait pas privé Karim Wade de ses droits civiques. « La privation du droit de vote ne peut résulter que d’une décision de justice. (…) L’existence de la condamnation prononcée à l’encontre de Karim Wade par la CREI ne peut donc pas entrainer par elle-même la privation du droit de vote », relèvent les « sages » de Karim Wade.
La qualité d’électeur n’implique pas l’inscription sur la liste électorale
Sur un autre registre, les signataires sont d’avis que la loi du 4 juillet 2018 qui subordonne la recevabilité de la candidature à la qualité d’électeur viole le principe de non-rétroactivité à l’égard des personnes qui ont été privées du droit de vote par l’effet d’une condamnation prononcée avant son entrée en vigueur. Auparavant, ces personnes, notent les spécialistes du droit, pouvaient faire acte de candidature en dépit de leur condamnation puisque la qualité d’électeur n’était pas requise. Ce qui n’est plus le cas. Pour botter en touche cette violation, les spécialistes invoquent l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont la valeur déclaratoire de principes généraux de droit international est reconnue par l’ensemble de la communauté internationale et largement reprise par la Constitution du Sénégal « interdit que soit infligée une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise : C’est un principe inhérent aux droits de la défense », rappellent les signataires qui indiquent dès lors que la loi du 4 juillet 2018 qui impose d’avoir la qualité d’être électeur pour être éligible ne pourrait être appliquée à une personne condamnée avant son entrée en vigueur sans violer le principe de non-rétroactivité à l’article 6 de la Constitution : « nul ne peut être condamné si ce n’est en vertu d’une loi entrée en vigueur avant l’acte commis ». Par conséquent, le Conseil constitutionnel, sur ce point, ne saurait se fonder sur cette loi pour s’opposer à la candidature de Karim Wade sous prétexte qu’il ne serait pas inscrit sur les listes électorales.
Les « cinq sages » de Karim Wade ont également évoqué la décision du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies survenue le 22 octobre 2018 et qui a déclaré que l’arrêt de la CREI a été rendu en violation des dispositions de l’article 14 paragraphe 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En effet, cette juridiction spéciale avait privé Karim Wade de son droit de relever appel au détriment de l’injonction faite par cette juridiction internationale de faire bénéficier à l’accusé son droit à un recours. En effet, suite à cette violation, il ne serait pas conforme aux engagements internationaux souscrits par le Sénégal de prendre à l’égard de Karim Wade une mesure d’interdiction du droit de vote. Une telle mesure, selon les signataires de la lettre, correspondrait à une aggravation des violations des droits de l’homme au regard du Pate international et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Par ailleurs, « les cinq sages » de Karim Wade estiment que la qualité d’électeur n’implique pas l’inscription sur la liste électorale. « Aucun principe général du droit ne subordonne à l’inscription sur la liste électorale la possession de la qualité d’électeur », fait remarquer les spécialistes du droit qui se fondent sur la définition de l’article L.27 du Code électoral : « Sont électeurs, les Sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi ». Cet article, note les spécialiste du droit, n’exige pas d’être inscrit sur la liste électorale. Toutes choses qui fondent ces praticiens du droit à croire que Karim Wade remplit les conditions prévues par l’article L.27 pour posséder la qualité d’électeur. « Il satisfait donc aux conditions requises pour être candidat à l’élection présidentielle », tranchent les « cinq sages » de de Karim Wade , non sans inviter le Conseil constitutionnel à faire montre « d’indépendance » dans l’examen de cette candidature à l’image des juridictions constitutionnelles dans les démocraties et les Etats de droit.
( Moussa CISS )