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DADDY BIBSON, ARTISTE RAPPEUR, MILITANT DE REWMI: «Comment un chef d’Etat, qui ne peut même pas couper un ruban, peut développer le Sénégal ?»


Il n’est plus à présenter dans le milieu Hip-Hop sénégalais. Daddy Bibson, de son vrai nom Cheikh Bounama Coly, reste toujours fidèle à son idéologie de rappeur engagé et n’hésite pas à délier la langue pour donner son point de vue sur la situation du Sénégal. Dans cet entretien, l’ancien membre de Rap’Adio, revenu d’un long séjour aux Etats Unis pour des raisons médicales, se prononce sur la sortie de son double album, parle de son engagement politique et s’explique sur son soutien à Idrissa Seck

 

Vous êtes de plus en plus fréquent aux Etats Unis. Pourquoi avez-vous décidé de vivre au pays de l’Oncle Sam?

«En 2014, j’étais parti aux Etats-Unis pour me soigner. J’avais le diabète qui avait atteint un niveau où je ne pouvais plus marcher. J’avais aussi des problèmes de vision. Les gens n’avaient plus espoir que j’allais me remettre de cette longue maladie. Mais, maintenant, je vais bien Alhamdoullilah. Je fais la navette entre le Sénégal et les Etats Unis. Pour dire vrai, je bénéficie d’une carte de résidence aux Etats-Unis et je dois être régulièrement sur le sol américain, mais cela ne veut pas dire pour autant que je suis basé là-bas. Je suis entre les deux pays».

Qu’est-ce qui différencie le rap sénégalais du rap américain ?

«Les Américains sont beaucoup plus libres et plus ouverts avec la musique. Au Sénégal, quand on est rappeur, on est juste confiné dans la musique, on ne doit faire que la musique. Même le militantisme d’un artiste est mal vu au Sénégal. Je fais partie des premiers rappeurs à s’engager ouvertement en politique, sinon le premier même, d’après ce que disent les gens. Je n’accepterai jamais que quelqu’un contrôle ma vie. Sur le plan du style, ceux qui vendent plus d’albums aux Etats-Unis n’appartiennent pas à la nouvelle génération qui fait du Trappe Music. Ceux qui vendent le plus sont plutôt ceux qui font du Rap Classique, Old school (la vieille génération), comme Kendrik Lamar, Jay-Z et autres. Ici, les gens ne savent pas et ne laissent personne s’exprimer. De plus aux Etats-Unis, la nouvelle génération voue un très grand respect à la vieille génération. Là-bas, les rappeurs plus âgés sont iconisés et respectés par les grandes personnalités. On ne peut se permettre d’insulter 2 Pac aux Etats-Unis. C’est un crime qu’on commet en le faisant. Par contre au Sénégal, les jeunes rappeurs ne respectent pas leurs ainéset cela me chagrine. Le manque de respect plombe l’évolution du rap sénégalais».

Pensez-vous vraiment que le Rap sénégalais est toujours au top?

«J’ai des affinités avec quelques jeunes rappeurs tels que Iss 814, Rifu et Elzo Jamdong avec qui j’ai fait un morceau. Je les considère comme des collègues. Les jeunes ont le public, mais le respect ne suit pas. Les jeunes ne respectent pas leurs ainés et ne prennent même pas le temps de les écouter. Le rap sénégalais a atteint son apogée depuis longtemps. Certes une nouvelle forme de rap est en vogue ici, mais il sera très difficile de refaire la musique rap qui entrait dans les bureaux et qui était écoutée par les religieux. Ce rap de conscientisation fait aujourd’hui défaut.

 

Dip Doundou Guiss a déclaré que cet engagement n’a rien apporté au Rap sénégalais. Que lui répondez-vous.

C’est son point de vue ! Je le lui concède. Mais je ne partage pas son avis. Nitt Dof fait un rap engagé et pourtant, il remplit les stades. Aucun rappeur n’aura le même succès qu’avaient PBS, Daara Dji ou Rap’Adio. On faisait un Rap engagé qui était écouté par toutes les franges de la population. Ces jeunes rappeurs prônent un rap commercial, mais on ne les retrouve pas dans les grands festivals à l’image de Matador, Awadi ou Xuman. Donc, où est-ce que ce Rap commercial dont ils se targuent les a menés ? Dans ce pays, les rappeurs engagés sont les plus respectés. Ce sont eux qu’on invite dans les débats. La musique sénégalaise traverse des difficultés, c’est pourquoi il est impossible de se faire de l’argent sans avoir un business parallèle. Nous, par contre, nous ne faisions pas du Rap pour l’argent. On a toujours défendu les couleurs urbaines et on continuera de le faire même sans argent. Le Rap engagé a toujours servi ce pays et Y en-a-marre en est l’exemple parfait. On n’a pas besoin du Rap commercial pour exister. Des groupes comme Jant-Bi ou Black Mboolo étaient plus célèbres que ces jeunes rappeurs. Ils faisaient du Rap commercial, on les entendait partout. Mais après deux ou trois ans, ils ont complètement disparu de la scène musicale».

Vous aviez annoncé deux derniers albums pour mettre fin à votre carrière. Cette promesse est-elle toujours d’actualité?

«Oui ! Je suis toujours dans cette perspective. C’est mon dernier album Hip-Hop. C’est un double album «Allahou Samad» que j’ai sorti sur le marché. Le premier est spirituel et parle du Prophète (PSL) et de sa descendance. Et le second «Da Legend» qui est purement Hip-Hop traite des faits de société, de la situation politico-sociale entre autres. La production compte dix-huit (18) titres et il y a un morceau que j’ai dédié aux malades du diabète pour leur rappeler que cette maladie n’est pas comme on le pense, il faut juste suivre son traitement et éviter certaines choses. On peut vivre longtemps avec le diabète, si on respecte le traitement. L’album est très bien accueilli par les mélomanes et fait partie des albums les plus valeureux, parce que c’est mon premier album qui fait l’objet de précommande avant sa sortie. On envisage même de le reproduire, parce que le premier lot a été écoulé entre Dakar et Thiès et il faut penser aux autres régions qui n’ont pas encore reçu l’album. Après cela, vous ne verrez plus un album de Daddy Bibson en tant que rappeur, mais plutôt un album de Cheikh Coly. Je compte me verser dans la musique spirituelle pour chanter les louanges du Prophète (PSL), de Cheikh Ahmed Tidiane Chérif et de mon guide Cheikh Ibrahim Niasse. Mais je ne sortirai plus un album Hip-hop».

Vous êtes également très engagé en politique et vous revendiquez votre soutien à Idrissa Seck ?

«C’est le candidat que je connais le plus. On ne peut pas soutenir quelqu’un qu’on ne connaît pas. Du temps du M23,  j’étais proche d’Ousmane Tanor Dieng. Je faisais partie de son directoire de campagne en 2012, j’étais le coordinateur de la mobilisation citoyenne. A ce moment-là, j’étais avec Barthelemy Dias, Malick Noël Seck et d’autres jeunes très engagés. Ousmane Tanor Dieng avait mis les jeunes en avant et cela m’avait beaucoup séduit. Mais au fil du temps, il a trahi le combat. Il nous avait dit qu’il allait respecter les conclusions des Assises nationales. Pour moi, il n’y a pas un programme aussi fiable que les Assises nationales. Malheureusement, quelques temps après, tout le monde a vu ce qui s’est passé. Et depuis 2012, j’avais le choix entre lui et Idrissa Seck. Mais, lorsqu’il a renié les idées des Assises nationales, j’ai choisi Idrissa Seck.    De par son expérience, son intelligence et son leadership, je crois qu’Idrissa Seck est le meilleur candidat pour le Sénégal. On le critique souvent parce qu’on pense qu’il est autoritaire, loin de là. C’est juste qu’il ne se laisse pas faire. Du temps où il était Premier ministre, lorsqu’il venait au Palais de la République, personne ne trainait dans les couloirs. Il disait que pour développer ce pays, il faut que chacun fasse ce qu’il doit faire et que les meilleurs produiront les bons résultats. Ce que les gens oublient, c’est qu’en 1993, lorsqu’il était ministre du Commerce dans le gouvernement d’Abdou Diouf, c’est lui qui avait proposé l’entrée de l’internet au Sénégal. Malheureusement, les gens ont la mémoire courte. Idrissa Seck a beaucoup d’amour pour son pays. En neuf mois, il a changé la face de Thiès. Pendant ce temps, en sept ans, Macky Sall peine à terminer les chantiers entamés à Diamniadio. Idrissa Seck n’a pas le complexe des blancs. Si on lui donne sa chance, le pays connaitra l’émergence que nous promettent d’autres depuis belle lurette. A mon avis, Idy est le candidat le plus sérieux de l’opposition. Je soutiens une personne sur la base de ses valeurs et de son degré de patriotisme. Je ne vais point soutenir un candidat dont j’ignore le vécu politique».

Comment jugez-vous la situation politique du Sénégal ?

« Le pays va très mal. Il n’y a plus de transport ferroviaire au Sénégal. Allez à Thiès, le chemin de fer est mort, alors que le transport ferroviaire pouvait développer beaucoup de villes. Le gouvernement a injecté plus de 500 milliards FCFA dans le Train Express Régional, alors que la moitié de cette somme pouvait faire l’axe ferroviaire Dakar Bamako. L’éducation est toujours perturbée, la santé est à l’agonie. Ne parlons pas du monde rural. Le taux de chômage est très élevé. Il faut avoir une politique de développement prioritaire. Les villes de l’intérieur du Sénégal sont des villes mortes. On a construit un stade de lutte qui ne peut même pas abriter les grandes affiches de l’arène. Comment croire à l’émergence, alors qu’on a un président de la République qui ne peut même pas couper un ruban lors d’une inauguration ?».

 N’était-il pas plus indiquépour vous de jouer un rôle de sentinelle ?

«J’assume mon soutien à Idrissa Seck. Et à mon humble avis, je crois qu’il est l’homme de la situation. Cependant, j’admets que j’ai des fans partout, mais il faut savoir faire la distinction. Les fans, j’essaie de les satisfaire musicalement ; par contre, mes choix politiques, c’est personnel. Il fallait que je m’engage ».

Cet engagement politique ne vous décrédibilise-t-il pas ?

«Non, je ne pense pas. On a vu aux Etats Unis comment les rappeurs avaient apporté leur soutien massif à Obama. Ils avaient même fait une grande compilation dénommée «I Can» où on retrouvait les grands noms du Rap américain. Le Rap et la politique vont de pair, surtout le Rap engagé qui ne parle en grande partie que de politique. Les rappeurs engagés sont les plus suivis».

Est-ce que le Rap sénégalais nourrit son homme ?

«Bien-sûr, certains gagnent dignement leur vie avec le Rap, comme dans toutes professions. Les produits sont achetés et les mélomanes viennent toujours quand il y a spectacle. On ne se plaint pas. On a aussi des activités parallèles qui nous permettent de nous en sortir ».

Récemment, vous avez été interpellé par la police de Thiès. Qu’est-ce qui s’était réellement passé?

«C’est un jeune qui était tout le temps chez moi, qui faisait tout chez moi, que des gens tapis dans l’ombre ont manipulé pour dire à la police que je lui devais de l’argent. Ce qui est totalement faux. Il a dit que j’étais arrêté par la police de Guédiawaye parce qu’une dame avait porté plainte contre moi et il est venu à la police me prêter 300.000 FCFA pour que je sois libéré. Je n’ai jamais fait l’objet d’une plainte au Sénégal, encore moins à Guédiawaye. Il a continué en disant que je lui avais pris 500.000 FCFA sous prétexte que je devais l’amener en Espagne. Tout cela, c’est des balivernes. Mais les choses ne vont pas s’arrêter là, parce que je vais porter plainte pour diffamation».

Pourquoi Daddy Bibson dérange ?

«Depuis que j’ai annoncé mon soutien à Idrissa Seck, on essaie de me barrer la route. Beaucoup de politiciens auraient aimé que je parle d’eux ou que je les soutienne, mais je ne l’ai pas fait. Si je devais me définir, je dirais que je suis Lebron James (le meilleur basketteur américain) parce que tout ce que je fais est suivi.  Et tous mes faits et gestes sont suivis. Raison pour laquelle je suis très discret. Je ne traine pas dans les concerts ou dans les endroits publics».

( Entretien réalisé par Maïmouna SANE )