Révélations sur l’incident à l’AIBD : « À plusieurs reprises des commandants de bord ont signalé des problèmes techniques sur nos avions »
Ces révélations sont l’œuvre d’un employé de la compagnie aérienne qui préfère garder l’anonymat. Joint par Seneweb, il a levé le voile sur une série de pratiques discutables, aussi bien concernant la maintenance des avions que la gestion du personnel.
Plus de peur que de mal. Dans la matinée de ce jeudi 9 mai 2024, le vol HC301 d’Air Sénégal opéré par Transair a fait une sortie de piste au décollage de l’aéroport AIBD suite à une « accélération arrêt », renseigne le communiqué du ministère des infrastructures terrestres et transports aériens. Sur les 85 passagers, 11 blessés (4 graves), dont le copilote, sont dénombrés. Alors qu’une enquête a été ouverte pour déterminer les raisons de l’incident, une voix s’est élevée au sein de la compagnie low-cost. Cet employé, qui s’est entretenu avec Seneweb, s’est, tout d’abord, indigné du manque de suivi, médical et psychologique, des autres membres du personnel navigant. « Les membres de l’équipage sont retournés passer la nuit chez eux après l’incident. Une hôtesse m’a confié qu’elle avait perdu la sensation dans son bassin après l’incident », dit-il.
« À plusieurs reprises des commandants de bord ont signalé des problèmes techniques sur nos avions »
Pour revenir à cette sortie de piste, sans doute liée à une défaillance technique, notre interlocuteur nous confie que l’incident ne surprend pas en interne. « À plusieurs reprises, des hôtesses et des commandants de bord ont signalé des problèmes techniques sur nos avions, mais il semble que personne n’en ait cure », déclare l’employé. Un incident similaire s’est produit en décembre 2019 au départ de l’aéroport de Ziguinchor. Le réacteur de l’avion a pris feu au moment de la mise en route de l’avion.
Dans son témoignage, la source anonyme indique un schéma pour le moins alarmant où les avions sont remis en service sans réparation adéquate, en dépit de déficiences techniques connues « depuis longtemps ». « Lorsque les avions sont opérationnels, certains ne subissent pas les contrôles de maintenance nécessaires, mettant ainsi en péril la sécurité des vols », a-t-il ajouté.
Le témoignage pointe du doigt la pression exercée sur les commandants de bord pour qu’ils effectuent des vols, même lorsque ces derniers refusent en raison de problèmes techniques persistants. « La compagnie met la vie des commandants et de leurs passagers en danger. Parfois, les ingénieurs sont même forcés à faire des compromis. Certains ingénieurs européens ont été renvoyés pour avoir insisté sur la nécessité de respecter les protocoles de sécurité. Ils ont été remplacés par des ingénieurs arabes, principalement égyptiens, qui sont parfois confrontés à des pressions pour ne pas suivre les procédures », insiste l’informateur.
Une chaleur intense et préjudiciable dans les avions
Selon notre interlocuteur, les conséquences de ce laxisme se sont déjà avérées fatales : « Il est connu de tous que la température à bord des avions de Transair est souvent extrêmement élevée, ce qui a déjà entraîné des décès. Cela peut être particulièrement dangereux pour les passagers ayant des problèmes respiratoires. »
Une négligence présumée dans les contrôles de sécurité a été soulevée, notamment lorsque l’Agence nationale de l’aviation civile du Sénégal (ANACIM) autorise des avions à décoller malgré la connaissance des problèmes soulevés.
L’employé met également en lumière des pratiques de gestion « douteuses » en matière de rémunération et de contrats de travail. « Certains employés sont rémunérés en ‘billets’, une pratique obscure qui semble viser à éviter de payer les impôts », dénonce-t-il. De plus, il révèle que de nombreux employés ne bénéficient pas de prestations sociales pour lesquelles ils sont pourtant légalement éligibles et prélevés de leur salaire chaque mois. « Certains employés ne bénéficient pas des cotisations à l’IPRES (Institution de Prévoyance Retraites du Sénégal), bien que cela soit mentionné dans leur contrat », nous informe la source.
La gestion du personnel n’est pas en reste notamment auprès des stagiaires qui se voient promettre des contrats de travail dont la concrétisation n’intervient pas : « Actuellement, certains employés travaillent depuis quatre ou cinq ans sans contrat ».
Alioune Fall : « les hôtesses de l’air vont bien »
Afin d’avoir la version du groupe sénégalais, Seneweb est entré en contact avec le Président directeur général de Transair, Alioune Fall. Il assure que « les équipages de Transair ont tous été pris en charge » après l’incident. Le chef d’entreprise déclare également avoir accompagné le copilote à la clinique Madeleine dans la matinée, avant de revenir à son chevet dans l’après-midi. Il ajoute que les hôtesses de l’air « vont bien » en précisant qu’aucun autre membre de l’équipage n’a subi de « choc ou de blessures » majeurs, et qu’il était normal qu’ils regagnent leur domicile conformément aux protocoles établis. En ce qui concerne les passagers blessés lors de l’évacuation, Alioune Fall indique qu’il s’agissait principalement d’« égratignures ».
« L’aviation civile ne nous aurait pas permis de voler si… »
En ce qui concerne les accusations de négligence de la maintenance des avions, le PDG de la compagnie aérienne précise : « L’aviation civile ne nous aurait pas permis de voler si nous n’étions pas en règle ». Il renchérit : « L’avion en question était parfaitement en ordre avec tous ses papiers ». Il insiste sur le fait que la compagnie n’avait « jamais eu de reproches à se faire » à cet égard.
Il a exprimé le choc de la « famille Transair » face à cet événement, tout en exprimant sa gratitude envers Dieu qu’aucun décès ne soit à déplorer. En mettant en avant la longévité de sa structure, il a fait remarquer “qu’aucune compagnie sénégalaise n’a eu une durée de vie de plus de 5 ans“. Il a admis les défis actuels auxquels ils sont confrontés en tentant d’aider Air Sénégal. Alioune Fall a également annoncé la tenue d’un face-à-face avec la presse dans les jours à venir. Une démarche visant probablement à éclaircir les accusations dont le groupe fait l’objet.