Quel Civil Patron des Armées et de la Diplomatie en 2024 ?Par Mamadou NDIONE
Un rapport des Nations unies précise que dans le monde actuel, « les conflits durent plus longtemps et opposent le plus souvent des groupes internes ». C’est dire que le risque d’instabilité qui guette les pays enjambe souvent les frontières pour insidieusement pénétrer dans un théâtre d’opérations difficile pour les forces de défense classiques. Ces nouvelles guerres asymétriques qui opposent des armées régulières à des groupes terroristes posent plus de complications pour les États en ce qu’elles s’appuient souvent sur des forces intérieures camouflées dans des lignes civiles avec des relais dans toutes les sphères des sociétés humaines. Il arrive que des grandes puissances, en fonction de leurs intérêts utilisent ces groupes armées comme moyens de pression sur les États démocratiques qui se voient affaiblis avec une forte pression des opinions publiques qui n’y voient que du feu confondant souvent les bourreaux aux sauveurs (si tant est qu’il y’a des sauveurs). Face à une telle situation abracadabrante, les États ne peuvent que (et doivent) compter d’abord sur le génie de leur leader qui doit s’appuyer sur une bonne information des peuples.
L’Afrique de l’Ouest n’échappe pas à la nouvelle forme de destabilisation difficile à régler avec des conséquences dramatiques énormes. Il n’est pas besoin de citer les noms des États qui font face depuis plus dix ans à des forces terroristes aux motivations complexes.
Quid du Sénégal ? Qu’est-ce qui fait jusque là la spécificité sénégalaise ; pays qui apparaît en dépit des récents douloureux événements comme une exception en Afrique de l’Ouest ? Est-ce que cette « stabilité sénégalaise » sera garantie après les elections présidentielles de 2024 ?
A moins de trente jours de l’élection présidentielle du 25 février 2024, posons la question essentielle : quel Président Chef Suprême des Armées et Patron de la Diplomatie pour éviter le basculement de notre pays vers l’instabilité ? Il suffit pour répondre à cette question de revisiter la Constitution à partir de l’artifice 42 pour voir que le profil de l’emploi y est pourtant bien défini.
Le Président de la République au Sénégal, une fois élu, devient le seul Patron de toutes les forces de défense et de sécurité du pays. C’est comme si tout le peuple donnait mandat à un civil pour qu’il s’occupe de la complexité d’une mission d’abord de protection d’un bien collectif : la Nation. C’est dire qu’avec la volonté de Dieu, les décisions d’un Président de la République pourrait engager largement le présent et le futur de la stabilité de la Nation.
Le Président au Sénégal est d’abord un décideur matin, midi, soir et nuit.
Un Président de la République du Sénégal peut, par exemple suivant la loi constitutionnelle, librement prendre « toute mesure de sauvegarde de la Nation » en cas de « menaces graves sur les institutions, l’indépendance de la Nation ou l’intégrité du territoire national » . Il lui suffira juste de s’adresser à la Nation et d’agir. C’est le sort de toute une Nation qui dépend dans des moments critiques des décisions d’un seul homme ou d’une seule femme.
Qui doit être cet homme (ou cette femme) pour répondre à la complexité de l’emploi de Civil Patron des Armées et de la Diplomatie ? La question mérite réflexion et réponse dans les urnes.
Les Armées obéissent au Président de la République qui, en engageant sa responsabilité de Défenseur de la Nation, nous engage tous parce que c’est nous qui l’avons librement choisi. C’est dire la gravité de l’instant du choix à faire de ce civil Chef de l’État qui préside les réunions délicates du Conseil supérieur de la Défense nationale et du Conseil national de Sécurité. Durant ces réunions et dans les moments graves, il n’y a qu’un seul décideur qui écoute dans le secret les généraux et officiers supérieurs de nos forces de défense et de sécurité qui, après leurs avis, attendent et n’attendent que les décisions du seul Chef pour les traduire en instructions destinées aux forces de défense et de sécurité qui, à leur tour, les exécutent sans murmure, ni hésitation. Les decisions prises ont souvent le double soucis de préservation de la vie des nos concitoyens civils et militaires et de sauvegarde de l’intégrité de nos intérêts vitaux. Il arrive qu’en prenant une décision, le Chef suprême des armées aient la quasi certitude d’une probabilité de pertes en vies humaines dans la préservation des intérêts vitaux de l’État. Il arrive qu’il y ait des moments graves qui exigent la prise de décisions complexes et urgentes. Ne pas choisir durant ces instants d’extrême gravité pourrait s’avérer périlleux pour la Nation.
Le civil élu dimanche quelle que soit son expérience, devient immédiatement après sa prise de fonction cette personne qui dispose de la force armée et, à ce titre, pourrait dès le lendemain devoir prendre des décisions de survie de la Nation. Un diplomate nous rappelait que deux mois après l’indépendance du Sénégal, le Président Senghor décidait d’engager la première mission d’intervention de notre armée dans un pays Africain. On a vu le Président Diouf serein malgré la gravité des incidents de 1989 avec la République sœur de Mauritanie. Le Président Diouf n’avait pas cédé à la clameur populiste d’une aveugle vendetta. Un choix de déclaration de guerre en 1989 aurait sans doute été très dramatique. On a vu le Président Wade dans un contexte dégradé de gestion de la crise en Casamance se garder de s’en prendre ouvertement par les armes à un pays voisin aux postures à l’époque suspectes. On a vu le Président Macky gérant avec fermeté, humanisme et succès la crise institutionnelle Gambienne malgré les effets de manche guerriers de Yaya Jammeh. Ces quatre premiers Chefs d’Etat du Sénégal indépendant ont chacun avec son tempérament réussi à preserver l’unité nation et l’intégrité territoriale. Ils n’ont pas tout réussi, mais ils ont fait l’essentiel : la preservation de l’unité et l’intégrité du pays.
Qui doit être en 2024 cet homme (ou cette femme) pour répondre à la complexité de l’emploi de civil Patron des armées pour maintenir la cap d’une diplomatie de sauvegarde de nos intérêts ?
A juste titre, Napoléon Bonaparte rappelait que « la diplomatie est la police en grand costume ». A l’international, les positions du Sénégal et ses relations avec les États dépendent des décisions du Président de la République qui accrédite les ambassadeurs. Le Sénégal qui fait face à l’Océan Atlantique est entouré de pays avec qui il est souhaitable d’être en paix dans la sauvegarde de nos intérêts vitaux. Dans le monde impitoyable des relations internationales multilatérales, toutes les positions et prises de décisions du Sénégal dépendront largement du civil élu qui engage l’image et la signature de plus de dix-huit millions de Sénégalais.
Cet homme (ou cette femme) qui sera choisi, aura-t-il un leadership éprouvé, une sagesse, une fermeté et une expérience toutes adossées à une bonne connaissance de la complexité du monde ?
S’il (ou si elle) est dans des mouvances idéologiques fondées sur ses convictions propres différentes des intérêts vitaux de la Nation, bonjour les dégâts ! Il pourrait suivant son propre agenda intellectuel mener le pays dans des coalitions internationales périlleuses. Il faut voir les positions courageuses et sans exubérance de non-alignement du Sénégal sur la crise Russo-Ukrainienne pour comprendre la délicatesse de la fonction. Il faut voir le rayonnement diplomatique du Sénégal de Sénghor à Macky en passant par Diouf et Wade pour comprendre l’immense travail de nos diplomates. Aussi excellents soient ces très hauts fonctionnaires, il recevront les instructions du Chef de l’Etat élu pour engager la Nation. La résistance intelligente du Sénégal aux volontés d’universalisation de certaines pratiques sociétales en total déphasage avec nos valeurs est la preuve de la complexité de la fonction présidentielle.
Qui doit être cet homme (ou cette femme) à élire en 2024 pour répondre à la complexité de l’emploi de civil Patron des Armées et de la diplomatie ?
En vérité, il faut que l’électeur Sénégalais sache que le Président de la République, gardien de la Constitution incarne et doit impérativement incarner l’Unité nationale. Il doit sociologiquement et culturellement nous ressembler pour ensuite nous rassembler. La marque du Sénégal est la tolérance, l’équilibre et l’acceptation mutuelle de nos nuances en tout sans véritable différence. Un Président de la République doit être le garant de cet équilibre qui subit (avouons-le !) des assauts de intolérance extreme du manichéisme assumé de certains compatriotes qui pensent détenir la vérité. Pour réussir sa mission d’unir la Nation, le Président de la République ne devrait pas être prisonnier ou otage de ses convictions. Il devra se faire violence et accepter d’être la synthèse des convictions de tous les segments sociaux.
En plus de sa fonction de garant du fonctionnement régulier des institutions, sa mission essentielle est de veiller sans fléchir à la préservation de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire. Dans le contexte sous-régional actuel marqué par des menaces complexes transfrontalières de déstabilisation, la tête du civil élu Chef de armées et Patron de la diplomatie doit être habitée par la lucidité et sa main ne doit pas trembler quand il s’agira de prendre ses responsabilités historiques. Plus que de la témérité guerrière, il aura besoin d’être en sagesse et fermeté intelligente à toute épreuve pour ne pas commettre d’erreur fatale dans la froide gestion des intérêts vitaux de la Nation.
Qui doit être cet homme (ou cette femme) pour répondre à la complexité de l’emploi ?
En définitive, l’élection présidentielle n’est pas et ne doit pas être un choix par réaction. Il doit être réfléchi par tous parce que, de la carte d’électeur, pourrait dépendre la survie de toute une Nation. Voter, c’est comme donner des munitions au décideur. Une élection présidentielle n’est certes pas un test psychotechnique. C’est pourquoi au-delà des obédiences politiques, il faudra poser le débat sur les questions essentielles.
Qui doit être cet homme (ou cette femme) que nous allons choisir pour qu’il fasse des choix graves qui engagent nos vies et celles de nos enfants ? Quels sont les pré-requis que doit avoir cet homme (ou cette femme) ? Quel doit être son profil psychique, ses convictions, sa stabilité, sa moralité, sa liberté ?
Ces questions devraient, à notre humble avis, constituer le mobile le plus important du choix des uns et des autres parce que franchir le risque d’élection d’un inapte à la fonction suprême de Président de la République pourrait donner fatalement le chaos dans un contexte sous-régional avec les guerres asymétriques déjà à nos portes.
En vérité, il faudra éviter que le choix du 25 février 2025 ne soit la résultante d’un caprice de simple révolté. Ce choix, pour l’intérêt du Sénégal gagnerait à être une action citoyenne responsable qui met la Nation sur toute la table de valeurs. Que Dieu garde notre beau pays en stabilité, paix et cohesion.
Par Mamadou NDIONE
Économiste Écrivain
Maire de Diass