Le couturier d’origine espagnole Paco Rabanne est mort à 88 ans
Ce n’est pas un couturier, c’est un métallurgiste ! » disait de lui Coco Chanel. Et pour cause, Paco Rabanne, dont la marque a confirmé au Point ce vendredi 3 février la mort à 88 ans, a introduit dès 1966 des matériaux industriels dans ses collections. À 32 ans, dans les salons de l’hôtel George-V, il présente son premier opus haute couture baptisé « Manifeste », composé de « 12 robes importables en matériaux contemporains ». Ses créations expérimentales, ornées de sequins, d’aluminium et de plaques en rhodoïd, sont portées par des mannequins aux pieds nus qui défilent au rythme saccadé du « Marteau sans maître » de Pierre Boulez – chose rare à l’heure où ce sont encore les aboyeurs qui animent les défilés de mode.
Né en 1934 à Pasaia (dans le Pays basque espagnol), le jeune Francisco Rabaneda y Cuervo (de son vrai nom) a fui la guerre civile espagnole avec sa mère – première main chez Cristobal Balenciaga, alors établi à Saint-Sébastien. Son père, officier, a été assassiné en 1936 par les armées franquistes. Arrivé à Morlaix à l’âge de 5 ans, il quittera la Bretagne en 1951 pour suivre des études d’architectures à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris – études qu’il financera en réalisant des croquis de mode (notamment des dessins de chaussures pour Charles Jourdan), puis en devenant accessoiriste pour les grandes maisons de mode (Nina Ricci, Balenciaga, Pierre Cardin…).
BB, Jane Fonda Françoise Hardy
En 1959, il publie ses premiers dessins de mode dans le journal américain Women’s Wear Daily sous le nom de Franck Rabanne, avant de choisir définitivement le pseudonyme de Paco Rabanne. C’est avec cette nouvelle identité qu’il lancera, en 1965, les « Pacotilles » – des accessoires en rhodoïd (boucles d’oreilles et lunettes) en partenariat notamment avec Emmanuelle Khanh –, puis fondera officiellement sa marque éponyme en 1966. Rapidement ses créations singulières – à commencer par ses robes à l’esprit cotte de mailles – attirent tous les regards. Tout comme ses défilés aux allures de happening qui s’énoncent loin des présentations très codifiées de l’époque.
À noter qu’avec Yves Saint Laurent, il est l’un des premiers à faire défiler des mannequins à la peau noire. Les stars de l’époque sont séduites par la modernité du propos. Anouk Aimée, Françoise Hardy ou encore Brigitte Bardot plébiscitent la marque. Paco Rabanne collabore aussi avec l’industrie du cinéma. On se souvient de Jane Fonda moulée dans son costume métallisé pour les besoins du film Barbarella (1968) devant la caméra de Roger Vadim – une pièce conservée aujourd’hui au MoMA à New York.
En mode expérimental
Preuve est faite que métallerie et glamour peuvent rimer. Toutefois, les tenants d’une mode plus traditionnelle ne comprennent pas ce vestiaire qu’ils jugent trop lourd et inconfortable (certaines robes pouvant peser jusqu’à 8 kilos). Qu’importe, Paco Rabanne continue d’expérimenter et d’innover (des modèles fluorescents, en plastique moulé, en catadioptres orangés, d’autres faits de caches de diapositives et des robes de mariée en kit) et se diversifie en parallèle, entre débuts dans la parfumerie (en association avec le groupe catalan Puig) et lancement du prêt-à-porter masculin et féminin.
Le succès est au rendez-vous : les jus s’arrachent – à commencer par Calandre, puis XS et Paco, avant One Million – et le créateur, qui se décrit davantage comme un artisan, est récompensé d’un Dé d’or pour sa collection haute couture printemps-été en 1990. À partir de 1999, il se retire progressivement des podiums, quittant d’abord la haute couture, puis le prêt-à-porter – la marque poursuit son œuvre aujourd’hui sous la houlette du designer breton Julien Dossena. Passionné de sciences occultes, c’est sur un autre terrain que le couturier fera ensuite parler de lui.
Nostradamus de la mode
Multipliant les apparitions sur les plateaux de télévision pour faire le récit de ses vies antérieures, il annoncera tour à tour le crash de la station spatiale MIR sur Paris et l’apocalypse dans le sud-ouest de la France prévue le 11 août 1999 à 11 h 22. Autant de fausses prédictions, reprises dans son ouvrage Feu du ciel (1999), qui l’inciteront par la suite à la discrétion médiatique. Souvent cité par une galaxie de designers venus après lui (Martin Margiela en tête), force est de reconnaître que Paco Rabanne aura tout de même été visionnaire sur le terrain de la mode : entre pratique de l’upcycling avant l’heure, diversité des castings et défilés pensés comme des performances.