SUBVENTIONS, CASH TRANSFERTS, DETTE PUBLIQUE SÉNÉGALAISE : Le oui, mais du FMI
Le chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour le Sénégal a clôt, hier, la mission pour la dernière revue du programme soutenu par l’Instrument de coordination de la politique économique, la facilité de crédit de confirmation et l’accord de confirmation. S’il n’a pas dressé un portrait alarmant de l’économie sénégalaise, il estime que les marges de manœuvre sont pratiquement nulles.
Globalement, l’économie sénégalaise va bien, par rapport aux autres économies de la région ouest-africaine. C’est la conclusion du Fonds monétaire international (FMI) au Sénégal qui a terminé un séjour de 12 jours (du 4 au 15 novembre 2022), dans le cadre de sa mission pour la dernière revue du programme soutenu par l’Instrument de coordination de la politique économique, la facilité de crédit de confirmation et l’accord de confirmation.
Lors d’une conférence de presse, le chef de mission du FMI pour le Sénégal, Edward Gemayel, a estimé que ‘’l’économie sénégalaise se porte relativement bien. Pour 2022, nous évaluons la croissance à 4,7 %. Cela a été revu à la baisse, en raison du contexte international toujours rythmé par la Covid-19, la guerre en Ukraine, la hausse des prix des denrées alimentaires et des produits pétroliers. L’inflation a, quant à elle, été revue à la hausse, par rapport aux dernières estimations. Au mois d’octobre, elle est estimée à 13 %. Pour l’année 2022, elle est attendue entre 8 et 8,5 %’’.
Cette visite est pour évaluer la performance économique du Sénégal dans les réformes soutenues par l’Instrument de coordination des politiques économiques, l’accord de confirmation et la facilité de crédit de confirmation. Elle va permettre de soumettre au Conseil d’administration du FMI le dossier du Sénégal, afin d’obtenir un nouveau décaissement de 135 milliards de francs CFA espéré à la mi-décembre. Et beaucoup de voyants sont au vert, selon Edward Gemayel : ‘’Les repères quantitatifs ont été atteints. Pour les repères structurels, 1/3 a été atteint, un autre atteint avec quelques retards et le dernier tiers pourrait être atteint à la fin de ce mois. Lors de la dernière revue, le gouvernement s’était engagé à un déficit des finances publiques à 6,2 %. Nous pensons que cet objectif sera atteint. Les recettes budgétaires ont été très bonnes, en atteignant un niveau que nous n’espérions pas.’’
Un nouveau décaissement de 135 milliards espéré
Dans le point de conjoncture économique du mois de septembre 2022, la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) apprend que ‘’les ressources globales (hors dons en capital) à fin septembre 2022, évaluées à 2 384,1 milliards, ont augmenté de 21,6 %, comparativement à la même période en 2021’’. Cette bonne tenue des ressources est attribuable aux recettes budgétaires qui ont augmenté de 448,1 milliards (+23,2 %), sous l’impulsion de la hausse respective des recettes fiscales et des recettes non fiscales (respectivement de 23,3 et 21,2 %).
Les perspectives du FMI sont plutôt bonnes sur l’économie interne. Car, estime le chef de mission du FMI pour le Sénégal, ‘’en 2023, la croissance est projetée à 8,7 %, en partie grâce à l’exploitation du pétrole et du gaz. L’inflation devrait retrouver un niveau à peu près normal pour s’établir entre 2,5 et 3 %’’.
Pour faire face aux chocs exogènes, le pays s’est lancé dans un ambitieux programme de subventions destiné à maîtriser une explosion du coût de la vie. Lors du premier semestre 2022, le gouvernement du Sénégal a pris des mesures fortes en soutien aux ménages : plus de 620 milliards de francs CFA, soit 300 milliards de subvention au carburant, à l’électricité et au gaz au 30 septembre 2022 ; 157 milliards de renonciation aux recettes fiscales pour éviter le renchérissement des prix du riz, du blé, du maïs, du sucre et de l’huile ; 120 milliards pour la revalorisation des salaires des agents publics ; plus de 43 milliards de transferts d’argent en soutien à 543 000 familles vulnérables. A un mois et 15 jours de la fin du second semestre, ces subventions ont atteint plus de 750 milliards de francs CFA.
Le FMI suggère un relèvement des subventions dans la LF 2023 de 100 milliards…
Alors que l’Assemblée nationale va ouvrir les sessions budgétaires demain, le gouvernement prévoit, dans la loi de finances 2023, de nouvelles subventions qu’à hauteur de 350 milliards de francs CFA. Une réduction jugée ‘’trop ambitieuse’’ par le représentant du FMI, en rapport au niveau atteint en 2022.
Selon Edward Gemayel, ‘’les dépenses sur les subventions ont presque doublé, par rapport à la loi de finances rectificative de mai 2022. Elles étaient estimées à 300 milliards de francs CFA, alors que présentement, on considère qu’elles vont atteindre 750 milliards. Notre avis est qu’avec les excellentes recettes constatées cette année et celles projetées avec un gain de plus de 100 milliards, les dépenses pour les subventions, on les voit aux alentours de 450 milliards. Cela nécessite toutefois des mesures au niveau du secteur de l’énergie et si elles ne sont pas prises, les subventions pourraient plus que doubler les prévisions. Cela pourrait se ressentir sur le déficit qui pourrait également excéder les prévisions’’.
Pour 2023, le gouvernement a fourni un projet de budget avec un déficit de 5,5 %.
L’autre volet que représentent les subventions pour le représentant du FMI, c’est la nécessité qu’elles soient ciblées pour bénéficier aux ménages à revenus faibles et qu’elles soient limitées dans le temps pour ne pas être un fardeau sur le budget dans les années à venir.
Toujours dans sa volonté de réduction des coûts de la vie, le gouvernement du Sénégal a lancé une politique de baisse des prix matérialisée, ce début de semaine, par l’homologation des prix des denrées de grande consommation et des baisses dans le secteur du loyer, de l’éducation, etc. Une voie approuvée par le FMI dans l’optique d’une maîtrise de l’inflation.
Dans la même lignée, le chef de mission du FMI pour le Sénégal avoue ‘’également encourager le gouvernement à doubler les allocations de cash transferts aux ménages vulnérables pour l’année prochaine’’.
… et un doublement des cash transferts en 2023
Tout ceci influe lourdement la dette du Sénégal qui a explosé. Le bulletin statistique de la dette publique du Sénégal du deuxième semestre 2022 estime que ‘’le stock global de la dette publique ressort à 12 580 milliards F CFA à fin juin 2022. II représente 74 % du PIB’’. Les chiffres publiés par la Banque mondiale en septembre 2022, dans son rapport sur la situation économique au Sénégal, estiment que ‘’le stock de la dette publique devrait atteindre 75,1 % du PIB en 2022 avant de diminuer progressivement’’. Cette dette dépasse même le critère de convergence de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui est à 70 % maximum.
‘’Elle reste soutenable’’, assure le représentant du FMI, avec toutefois ‘’une marge de manœuvre quasi nulle pour faire face à un nouveau choc économique majeur’’.
C’est pour cela, assure Edward Gemayel, ‘’qu’on est en train d’encourager le gouvernement dans une politique de consolidation graduelle, au niveau des deux, quatre prochaines années, axée sur une amélioration des recettes, une élimination importante d’exemption fiscale, un assainissement des dépenses et principalement des subventions afin d’utiliser les économies dans la santé, l’éducation, l’investissement, etc.’’.
Dette publique à 12 580 milliards F CFA à fin juin 2022. Pour le FMI, c’est encore soutenable
Dans sa revue d’octobre 2022, le FMI assurait que le renforcement de la résilience de l’économie sénégalaise face aux multiples chocs et la constitution de marges de manœuvre pour faire face aux chocs futurs dépendent de l’avancement des réformes structurelles clés, dont la rationalisation des dérogations au Code des marchés publics pour le secteur de l’énergie et la finalisation de la révision de son cadre juridique pour limiter strictement les dérogations aux appels d’offres ouverts et concurrentiels.
Hier, le représentant du FMI au Sénégal s’est réjoui de beaucoup d’avancées positives. En attendant leur finalisation, il a rappelé que ‘’le Code des marchés publics doit être autosuffisant. Dans le cadre où s’il y a des exemptions, elles doivent y être incluses. Ainsi, il sera utilisé pour tout ce qui est relatif aux marchés publics. La dernière version dont on a discuté avec le gouvernement nous rassure dans la perspective de la réduction des marchés par entente directe’’.
Si le gouvernement du Sénégal a manifesté son intention de bénéficier d’un nouveau programme qui pourrait avoir lieu au printemps prochain, Edward Gemayel estime que, si tout va bien, son équipe espère présenter le dossier du Sénégal au Conseil d’administration du FMI, dans un mois.