Economie

Abdou DIAW, journaliste économique et auteur :  »Mon combat est de contribuer à la vulgarisation de la culture économique et financière »

ENTRETIEN : Auteur du livre  » Comprendre les termes de l’Economie et de la Finance « , publié aux éditions Presses universitaires du Sahel, au Sénégal, en novembre 2021, Abdou DIAW est journaliste et économiste de formation, diplômé respectivement du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI) et de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FASEG) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). L’ancien Chef de service adjoint Economie du quotidien national sénégalais  » Le Soleil  » veut, à travers son ouvrage, contribuer à vulgariser la culture économique et financière.

Comment est née l’idée de rédiger votre ouvrage  » Comprendre les termes de l’Economie et de la Finance  » ?

Au début, j’avais un projet d’écrire un livre consacré à la place de l’information économique et financière dans le paysage médiatique sénégalais. Parce que je m’étais rendu compte que l’économie et la finance étaient les parents pauvres dans le traitement des actualités au Sénégal. Les grandes orientations de ce document ont été déjà dégagées, le plan élaboré, les chapitres stabilisés… Mais en raison d’un agenda très chargé, je n’ai pas pu aller jusqu’au bout de ce projet. Parallèlement, j’animais une rubrique hebdomadaire dans  » Le Soleil «  intitulée  » Ecolexique  » dans laquelle, je choisissais trois concepts économiques ou financiers qui dominaient l’actualité de la semaine pour les expliquer, les détailler en des termes beaucoup plus simples et accessibles au grand public.

A un certain moment, on a suspendu sa parution avant de la reprendre sous une nouvelle appellation. Elle devient l‘Explicateur :  » Comprendre les termes de l’économie et de la finance « . La même démarche a été adoptée. Elle consistait à expliquer les concepts ayant trait à l’économie, à la finance, à la bourse… J’ai continué à animer la rubrique jusqu’à ce que je prenne une disponibilité au  » Soleil « . Malheureusement, depuis lors elle ne parait plus. Beaucoup de lecteurs du  » Soleil «  et mes followers sur LinkedIn et Facebook, qui lisaient la rubrique, me suggéraient à chaque fois d’en faire un recueil.  Et je suis parti de cette demande du public pour rédiger le livre. Voilà en résumé les facteurs explicatifs de la naissance de cet ouvrage.

Vous l’avez souligné au tout début de votre intervention, beaucoup de confrères et consœurs de la presse ne s’intéressent pas trop à l’économie et à la finance. Certains refusent catégoriquement de s’aventurer dans ces domaines. Est-ce pour dire qu’un journaliste économique doit impérativement faire des études dans ces domaines pour pouvoir les traiter dans sa rédaction ? 

Non, je ne suis pas d’avis avec ceux qui soutiennent que l’économie est compliquée ; elle n’est pas facile à traiter. En rédigeant cet ouvrage, j’ai voulu démystifier cette discipline en essayant de montrer qu’elle est à la portée de tous les professionnels des médias maitrisant les fondamentaux régissant leur métier de journaliste. Certes l’idéal, c’est de fréquenter une faculté des sciences économiques et de gestion ou des écoles de commerce puis avoir une formation en science de l’information, mais des journalistes économiques de renom au Sénégal ou en Afrique n’ont pas fréquenté ces instituts de formation. Il suffit d’être curieux, de beaucoup lire, particulièrement la presse économique et de se cultiver. Les journalistes économiques ont un grand rôle à jouer dans le développement de leur pays.

Pouvez-vous partager avec nous quelques anecdotes vécues sur le terrain en tant que journaliste économique ?

Des anecdotes, j’en ai plusieurs. Un confrère m’a appelé un jour. Au bout du fil, il lance :  » Je suis en train de préparer un article ; le Sénégal a réalisé un taux de croissance à deux chiffres : 7,2 %, selon les projections d’une institution financière internationale. Et je souhaiterais avoir votre réaction en tant que journaliste économique « . J’ai marqué une petite pause avant de lui répondre. L’idée qui me traversait l’esprit était d’abord de lui apporter une précision.  » S’il vous plaît, peut-on corriger avant de répondre à votre question. Au fait, 7,2 % ne signifie pas une croissance à deux chiffres. Il faut compter à partir de 10 « . De bonne foi, il s’était juste trompé. Ignorance ou méconnaissance ?

L’autre anecdote, c’était sur les ondes d’une célèbre radio de la place, au Sénégal. Le journaliste, dans sa revue de presse, lance :  » La mairie de Dakar souhaite lancer un emprunt  » obligatoire « . Sic ! Voulait-il dire, certainement,  » emprunt obligataire « .

Last but not least. Alors que je me trouvais à Paris en décembre 2018, à l’occasion de la réunion du Groupe consultatif pour le financement du Plan d’actions prioritaires (PAP2) du Plan Sénégal Emergent (PSE), deux quotidiens sénégalais écrivaient à leur Une :  » Le Sénégal mobilise plus de 7.000 milliards de francs CFA au Club de Paris « . Encore une confusion. Club de Paris n’est ni le Groupe consultatif ni le Club de Londres.

Ces confusions malheureuses m’ont surtout conforté dans ma conviction qu’il y avait un besoin pressant de mettre en place un guide à la disposition des confrères et consœurs de la presse pour leur permettre de mieux comprendre les concepts économiques souvent utilisés dans le traitement de l’actualité quotidienne. Donc, l’objectif visé à travers cet ouvrage est de contribuer à la vulgarisation de la culture économique et financière au sein des populations ; de faciliter la compréhension des concepts économiques.

En sus de ce que vous avez dit, est-ce qu’on peut dire que la presse est la principale cible de votre ouvrage ? 

Je peux dire que cet ouvrage s’adresse à tout le monde sans exception. Mais comme vous l’avez souligné, la presse, vu son rôle, sa capacité d’influence au sein de la société et du monde des affaires, est ciblée au premier plan. Souvent, on observe que beaucoup de confusions sont entretenues dans l’utilisation de certains concepts économiques dans la presse. Des erreurs commises de bonne foi. En effet, dans les articles des journaux, l’on constate beaucoup de confusions souvent faites sur certains termes. On emploie des concepts ou donne des chiffres sans pour autant prendre la peine de les expliciter.

Parlez-nous des différentes thématiques abordées dans votre ouvrage ? 

Ce livre est une compilation des textes de la rubrique  » L’Explicateur  » publiés tous les lundis dans le quotidien national sénégalais,  » Le Soleil « . Le contenu émane des entretiens réalisés avec des experts composés de Professeurs d’université et de professionnels des secteurs de la finance, de la bourse, de la commande publique, etc. Aux côtés des concepts rassemblés par thématiques, le lecteur aura également des explications pratiques sur des sujets d’actualité comme le fonctionnement de la bourse, du marché financier, du marché monétaire et de la commande publique.  Le livre est structuré en 13 chapitres. Pour les thématiques, elles portent notamment sur les politiques économiques, les finances publiques, la fiscalité, la politique monétaire, les marchés financiers, la bourse, les marchés publics, la notation financière, les entreprises, l’endettement…

Aujourd’hui, quelle place occupe l’information économique et financière dans le paysage médiatique sénégalais ? 

Le Sénégal fut l’un des rares pays de l’Afrique francophone où l’information économique avait pris une place importante dans les actualités. Elle a surtout connu des moments fastes dans les années 1980 avec les ajustements structurels qui avaient fait l’objet de traitement dans les journaux à l’époque, notamment dans  » Le Soleil « . Puis, en 1994, a suivi la dévaluation du FCFA qui avait attiré l’attention de la presse. L’on peut citer des journaux qui s’étaient spécialisés en économie comme le  » Journal de l’Économie « , ou bien le service Économie du  » Soleil «  qui avait accordé une place prépondérante au traitement des actualités économiques et financières. L’analyse des impacts des ajustements et de la dévaluation qui ont été des moments très difficiles vécus par les populations ont eu une grande ampleur. Et la presse se devait de s’enquérir de la nouvelle vie que doivent adopter les populations. La presse était obligée de traiter l’information économique puisque devenue une des principales préoccupations pour le pays. Aujourd’hui, c’est regrettable de constater que tous ces titres spécialisés aient disparus des kiosques.

Cependant, tout le tableau n’est pas noir. Certaines rédactions de la presse nationale entreprennent des initiatives dans la dynamique de vulgariser l’information économique à travers la réalisation de dossiers (presse écrite), de productions (radio et télévision). Cela constitue un pas important vers la promotion de la presse économique. Il existe peu de journaux spécialisés en économie ; quelques-uns continuent de défier le temps comme  » Réussir magazine « , sur le marché depuis 14 ans. Hommage à son père fondateur, Baye Dame Wade, arraché à notre affection, en février 2019.

A votre avis, quels sont les obstacles qui empêchent la presse économique et financière d’émerger au Sénégal ? 

Les difficultés, on peut les situer à plusieurs niveaux. D’abord, il y a les écoles de formation. Rares d’entre elles introduisent un module d’information économique dans leur curricula. A la limite, elles ont un cours sur l’économie mais avec un volume horaire très faible. Ensuite, dans les rédactions on n’encourage pas beaucoup les initiatives allant dans le sens d’instituer des desks ou services Economie. Elles ont plutôt tendance à privilégier la politique, les faits de société, le sport… Enfin, les confrères se tournent plus vers les actualités relatives aux domaines que je viens de citer. Autant d’interrogations qui suscitent la réflexion pour mieux cerner l’importance du journalisme économique dans la cartographie médiatique sénégalaise. L’on ne peut passer sous silence la disparition de la scène médiatique sénégalaise de journaux spécialisés en économie. On peut citer, entre autres,  » le Journal de l’Économie «  » Performance « ,  » Le Soleil Business « ,etc. Les autres actualités relatives à la politique, à la culture, aux sports, aux faits de société semblent être privilégiées dans les journaux. Ce désert est aussi noté dans le paysage audiovisuel. Les télévisions consacrent peu de reportages ou de sujets fouillés sur l’économie, excepté des comptes rendus dans les grandes éditions.  En revanche, quelques radios se démarquent et réalisent des émissions dédiées à l’économie et qui sont des initiatives à encourager.

Qu’est-ce que vous préconisez comme solutions pour que l’information économique et financière soit davantage présente dans la presse ? 

Aujourd’hui, c’est beaucoup d’efforts qu’il faut consacrer pour assurer une meilleure place à l’information économique et financière dans la presse. Cela passe par le renforcement de capacités des professionnels de l’information dans les disciplines comme l’économie, les finances, la bourse, les assurances, etc. À cet effet, il convient de saluer les efforts réalisés par certaines associations professionnelles comme le Collectif des journalistes économiques du Sénégal (COJES) qui, depuis sa création en 1994, permet à ses membres de bénéficier de sessions de formation dans des domaines aussi divers que variés : budget, marchés publics, fiscalité, énergie, pétrole, partenariats public-privé (PPP), etc.

Dans un contexte de fortes mutations dans les relations économiques internationales, il nous faut une presse économique et financière avertie, engagée et capable d’accompagner la dynamique de développement de nos États à travers la publication d’une information de qualité qui puisse aider aux prises des meilleures décisions. C’est pour s’inscrire dans cet élan que nous nous sommes évertués à écrire cet ouvrage qui se veut un guide pour les professionnels de l’information, mais aussi un outil destiné à toutes celles et à tous ceux qui s’intéressent à l’économie, à la finance et aux autres disciplines connexes.

TOUTINFO.NET (avec Sika finance)