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ALIOUNE TINE : «En Guinée on avait une dictature assumée sans états d’âmes…»

Alioune Tine n’est pas surpris par le coup d’Etat intervenu hier en Guinée, pays qui était dans une impasse politique et sociale depuis la réélection d’Alpha Condé. Dans cet entretien, le président-fondateur d’Afrikajom Center est revenu sur la problématique des coups d’Etat, tout en soulignant l’effet de contagion (Mali, Tchad, Guinée) et dénonçant l’impuissance de plus en plus manifeste de la Cedeao, de l’Union Africaine, de l’Onu, de l’Ue et de la Francophonie, à réguler les crises démocratiques. 

L’info : Etes-vous surpris par le coup d’Etat intervenu en Guinée ?

Alioune Tine : Pour quelqu’un qui connait et qui suit la situation en Guinée depuis le forcing constitutionnel pour faire un troisième mandat, il ne peut pas  être surpris par ce qui s’est passé. Avec la Résistance  du Mouvement du FNDC, qui est sans précédent en Guinée, réprimée dans la violence avec des morts, des blessés, des détenus et des exilés. Mieux ou pire, après les élections, il n’y a pas eu de dialogue, il y a eu une impasse politique et sociale totale. Tout cela constitue des ferments pour un  coup d’Etat ou une  insurrection politique. Les coups d’Etat comme les insurrections sont des symptômes, des maladies de la démocratie mais n’en sont pas les remèdes. 

Ce coup d’Etat était-il évitable à votre avis ?

La seule façon d’éviter les coups d’Etat c’est de respecter les règles et les institutions démocratiques et d’instaurer le dialogue permanent avec tous les acteurs de la société. En Guinée, on avait une dictature assumée sans états d’âmes et une absence totale de dialogue. Le résultat c’est une impasse politique sur fond de crise sociale aggravée par les effets de la pandémie. Les crises combinées de la démocratie, du suffrage universel, de la gouvernance et de la sécurité ont une dimension régionale avec des degrés dans leur profondeur selon les pays. Au Mali, le coup d’Etat est intervenu après une crise du suffrage universel et des manifestions insurrectionnelles par des forces spéciales, après c’est le Tchad et la Guinée, c’est légitime de parler de contagion. Tout cela arrive avec l’impuissance de plus en plus manifeste de la Cedeao, de l’Union Africaine, de l’Onu, de l’Ue et de la Francophonie de réguler les crises démocratiques. Dans un contexte géopolitique mondiale où certains leaders africains comme Alpha Condé sont fascinés par Kagame, Poutine  et Erdogan.

C’est le second coup d’Etat dans la sous-région en  peu de temps et les deux chefs putchistes seraient même des amis. Faut-il s’inquiéter pour l’Afrique de l’ouest ?

L’axe Bamako-Conakry est un vieil axe, Alpha et IBK sont restés de vieux amis. Qu’une bonne entente entre deux colonels des forces spéciales devenus Présidents  de pays voisins ne m’ étonnerait guère. C’est une situation qui évidemment ne renforce pas les capacités déjà faibles de résolution des conflits politiques de la Cedeao.

Que faut-il faire à votre avis pour prévenir ces coups d’Etat de plus en plus  fréquents, alors qu’on pensait leur époque révolue ? 

Il faut le respect strict des règles de la démocratie, de l’Etat de droit et de la gouvernance légitime. Il faut respecter la constitution et surtout les dispositions sur la limitation des mandats. Il faut faire de la palabre africaine un viatique. Les coups d’Etat et les insurrections proviennent des frustrations, des exclusions et des fractures  créées par des Etats trop partisans, trop claniques et des Etats trop envahis par la famille. Construire une société des semblables avec un état équidistant vis-à-vis des citoyens est un idéal qui peut prévenir les coups d’Etat.

Quelles conséquences peut avoir cette situation en Guinée pour le Sénégal ?

La crise en Guinée, au Mali et celle qui pointe le nez en Gambie ne crée pas une situation géopolitique rassurante pour le Sénégal. De plus le président Macky Sall va prendre la présidence de l’UA, dans des conditions où la situation politique et sécuritaire se dégrade de façon continue en Afrique de l’Ouest. En dehors de la conception constitutionnaliste du pouvoir, il n’y a pas de réflexion profonde sur le pouvoir et ses effets pervers qui sont souvent d’ordre psychologique avec les effets accros, drogue dont parle Senghor et même Wade. 

D’autre part le pouvoir est une grande illusion, il est pluriel, diffus et transversal. Que les personnes en charge de la sécurité des chefs d’Etat soient les auteurs de coups d’état montre assez la nécessité d’une réflexion sur le pouvoir qui dépasse les approches constitutionnelles encore dominantes  en Afrique.

L’info