NDIOGOU SARR, ENSEIGNANT EN DROIT PUBLIC A L’UCAD: «Le Conseil constitutionnel n’a pas délibéré, il a cherché à cautionner un banditisme d’Etat»
Joint au téléphone, hier, le spécialiste du Droit constitutionnel, Ndiogou Sarr a décortiqué la décision du Conseil constitutionnel au lendemain de sa publication. L’enseignant en droit public à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakr (Ucad) CAD considère que le Conseil constitutionnel n’a pas bien appliqué le droit dans sa décision « N° 3-E-2019 ». Plus particulièrement dans ses moyens rejetant la requête de l’ancien maire de la capitale, Khalifa Sall, actuellement en prison dans l’affaire de la caisse de la ville de Dakar.
SUR LA RÉCLAMATION DÉPOSÉE TARDIVEMENT
Dans sa décision rendue le 20 janvier dernier, entre autres motivations, le juge constitutionnel a indiqué que la réclamation de Khalifa Sall a été déposée le 18 janvier 2019, après l’expiration du délai de réclamation prévu à l’article L.122 du Code électoral. Analysant ce moyen des sages, le professeur de droit public a indiqué que si effectivement la réclamation est déposée à une date tardive, il est normal que le Conseil constitutionnel la rejette. Mais pour lui, la réalité, c’est qu’on est en face des gens (Ndlr : les sages du Conseil constitutionnel) qui font ce qu’ils veulent sans fondement objectif. «Tout le monde sait que le conseil constitutionnel n’a pas délibéré. Il a cherché à cautionner un banditisme d’Etat incarné par un parti au pouvoir qui profite de sa majorité au Parlement pour faire passer des lois scélérates et demander au juge de les appliquer. Et le juge fuit ses responsabilités pour vérifier si ces lois sont conformes à la Constitution ou non», a pesté le professeur de droit public. La preuve, dit-il, dans l’affaire Khalifa Sall, personne ne peut confirmer qu’il a bénéficié d’une décision définitive. «Il ne faut pas avoir peur des mots. Nous avons aujourd’hui un pouvoir qui a politisé l’administration et qui est en train de manipuler la Justice. Heureusement que ce n’est pas toute la Justice., mais plutôt certaines personnes positionnées à des stations importantes et qui sont incontournables», se désole-t-il. Selon Ndiogou Sarr, quel que soit le considérant qu’il peut donner, le Conseil constitutionnel a violé la loi et les droits d’un prévenu en le condamnant et en le privant de sa candidature alors que la personne n’est pas condamnée définitivement.
SUR LE RABAT D’ARRÊT
Poursuivant, le spécialiste du droit constitutionnel affirme que le Conseil a fermé les yeux en voulant satisfaire les désirs d’un pouvoir aux abois. Aujourd’hui, Monsieur Khalifa Sall a un dernier recours qui lui est grief, c’est le rabat d’arrêt, a-t-il ajouté. « L’article 36 pose de façon très claire que tous les recours suspensifs devant la Cour suprême et tous les recours sont suspensifs. Il y figure les matières pénales. Le conseil constitutionnel ne peut pas, sur la base d’une note du procureur qui est partie au procès, dire que ce Monsieurlà, Khalifa Sall a perdu ses droits. Il ne peut pas se baser non plus sur un arrêt de la Cour d’appel veau. Loin de là, soutient-il, la juridiction constitutionnelle s’est basé sur un arrêt caduc de la cour d’appel et sur une note du procureur général qui était partie au procès.
SUR LA PERTE DES DROITS CIVILS ET POLITIQUES DE KHALIFA SALL
Qui n’était pas définitif et qui a fait l’objet d’une cassation pour dire effectivement que la décision était définitive », a-t-il expliqué. A l’en croire, le Conseil a fermé les yeux et cela ne surprend pas. D’autant que, précise-t-il, c’est ce même Conseil, qui n’a pas de pouvoir législatif, qui a osé dire au président de la République d’autoriser les Sénégalais à utiliser des pièces autres que celles énumérées par la loi pour voter. «Le Conseil a amené le Président à violer la Constitution. Cela ne m’étonnerait pas que ce Conseil valide des candidatures en se basant sur des arguments politiques», a-t-il déclaré. Pour Ndiogou Sarr, dans cette affaire, la loi est très claire et la personne qui a été incriminée a des droits de recours que lui garantissent les conventions internationales sur les droits de l’homme et éventuellement, la Constitution et le code de procédure pénale. «Jusqu’à une période récente, on n’avait que deux procédures : l’appel qui juge les faits et la cassation qui juge le droit. Mais on s’est rendu compte que le juge de la Cour suprême pouvait se tromper. De ce fait, on a donné la possibilité à celui qui a été condamné de pouvoir saisir à nouveau la Cour suprême et que tous les magistrats de l’Institution se prononcent pour, au final, prendre une décision définitive», explique l’enseignant en droit public. Il soutient que la Cour suprême ne connait pas les faits et ne connait que le droit. C’est pourquoi, dit-il, le recours en cassation est suspensif. De ce fait, il s’interroge : « Comment voulez-vous donc que le rabat qui vise le droit c’est-à dire l’erreur matérielle, et le nonrespect des procédures ne puisse pas être suspensif et constituer par voie de conséquence une deuxième voie de recours.» Selon Monsieur Sarr, c’est le juge constitutionnel qui dit du n’importe quoi. Il pense que «le juge est en train d’humilier le droit et d’humilier les juristes. A la limite c’est une aberration. On est en train de saborder les fondements de l’Etat de droit. On n’est ni pro Khalifa ni pro Karim, ni pro Macky Sall, on est pro science. On est au service de la science. Je ne dis pas que Khalifa Sall n’a rien fait. Juste qu’on a tordu le cou au droit et à la procédure pour arriver à des fins purement politiques.» Ainsi pour le cas de Khaifa Sall, Ndiogou Sarr estime ainsi que le juge devrait valider sa candidature. Et il appartenait aux candidats qui sont admis d’intenter un autre recours devant le Conseil pour contester la candidature d’un candidat déjà retenu en invoquant des arguments qui pourraient permettre au Conseil de vérifier et de délibérer à nouSur l’argument concernant la perte des droits civils et politiques, Ndiogou Sarr fait savoir que dans ces genres de situation, on cherche des subterfuges juridiques et on essaie de donner une interprétation extensive d’une décision pour se cacher derrière. Mais en réalité, il précise qu’on n’a pas besoin d’aller chercher loin. Explications : « Le pacte de 1966 sur les droits civils et politiques garantit à tous les citoyens la préservation de leurs droits. Mieux, aujourd’hui même si Khalifa Sall n’avait pas intenté un rabat d’arrêt, la décision rendue par la Cour suprême ne saurait être une décision définitive tant qu’on n’aura pas épuisé le recours qui lui est imparti pour un pourvoi en rabat d’arrêt. C’est ça la sécurité juridique. Et je dis encore que le juge ne pourrait pas aller invoquer l’article du code électoral qui dit effectivement quand une personne est condamnée, elle perd de son droit. Le juge sait très bien qu’on dit qu’une personne est condamnée si la condamnation est prononcée de façon définitive ». Ndiogou Sarr révèle d’ailleurs que c’est ainsi en violation de la loi que Khalifa Sall a été radié récemment de l’Assemblée nationale. « On ne peut pas destituer quelqu’un qui n’a pas été encore condamné définitivement. Son mandat est celui du peuple. A la limite, c’est manquer de respect à la souveraineté populaire», confie-t-il.
NDIOGOU SARR : «LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A RAISoN SUR LE CAS KARIM WADE»
Cependant, le spécialiste en droit public déclare que le conseil constitutionnel a raison sur le rejet de Karim Wade. « Personne ne peut dire que Monsieur Karim Wade n’a pas été condamné par une juridiction au Sénégal. La CREI l’a condamné. Que la CREI soit contraire à la Constitution est une chose ; qu’on dénonce la procédure sur le plan international, une autre chose. Mais en réalité, la CREI est une juridiction qui a rendu une décision. Et Monsieur Karim Wade a eu à se pourvoir en cassation mais il n’a pas eu gain de cause. Dès lors que son dossier a été déposé au conseil constitutionnel et qu’il n’est pas vierge, le Conseil constitutionnel prend sa décision finale sans chercher su le procès s’est bien déroulé ou non », explique Monsieur Sarr.
( Seydina Bilal DIALLO )