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L’HISTOIRE COMME PIERRE ANGLE DE LA COMPRÉHENSION ÉCONOMIQUE


Le professeur Makhtar Diouf, dans son dernier livre intitulé, Extirper l’AFRIQUE du non-développement, considère que « le continent ne bouge toujours pas, en dépit des opérations de replâtrage, de pose de béquilles, de prothèses qui lui ont été appliquées, lui faisant perdre beaucoup de temps. Il est urgent de prendre le taureau par les cornes pour s’engager dans une véritable stratégie de développement.
À cette fin, j’ai estimé impérieux de m’appuyer sur l’histoire. J’ai été encouragé à faire des rappels historiques par la fréquentation de penseurs de renom, non experts du développement africain et idéologiquement différentiés, comme l’Allemand Karl Heinrich Marx, l’Austro-américain Josef Aloyse Schumpeter, l’Américain Paul Anthony Samuelson, l’Africain Cheikh Anta Diop.

Cette piste de réflexion me paraît la plus indiquée pour sortir des sentiers battus sur l’approche du problème du développement de l’Afrique. Pour faire de l’histoire un instrument de démonstration. Lisons ces auteurs dans l’ordre chronologique ».

Karl Marx : Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent d l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir… Une nation peut et doit tirer un enseignement de l’histoire d ‘une autre nation. Lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement… elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel : mais elle peut abréger la période de la gestation et adoucir les oraux de leur enfantement. (Karl H. Marx, « Le Capital, Critique de l’économie politique », livre 1, tome 1, Editions sociales, Paris. Préface de la première édition allemande, pp. 19-20).
J. Schumpeter : Ce qui distingue l’économiste scientifique de tous les autres qui pensent, parlent et écrivent sur l’économie, c’est la maitrise de trois disciplines : l’histoire économique, la technique statistique et la théorie économique_ Et de ces trois disciplines, ‘histoire économique est de loin la plus importante. C’est le manque de culture en histoire économique qui est à l’origine de la plupart des erreurs qui sont couramment commises- par certains économistes. (Josef A. Schumpeter, « History of Economic Analysis ». Edition 1967, p. 12).
Cheikh Anta Diop : L’histoire n’est rien d’autre que la découverte d’une vérité oubliée (« Nations nègres et Culture ». Présence africaine. Édition 1979).

P. Samuelson : Aie un profond respect pour l’étude de l’histoire économique, parce que c’est la matière première d’où proviendront nos conjectures et nos tests… Mais l’histoire ne raconte pas sa propre histoire. Tu devras lui apporter autant que possible tous les tests statistiques possibles (Paul A. Samuelson, Interview, 2009, Conseil â un étudiant en Sciences économiques) ».

J’explique, ensuite je commente ! (CSSY)

  1. Karl Marx énonce une vision historique du développement économique et social. Il considère que les nations industriellement avancées montrent la voie à celles qui les suivent, car leur histoire reflète une « loi naturelle » de leur mouvement social et économique. Selon lui, une société ne peut abolir ses phases de développement par des décrets, mais elle peut abréger et adoucir les crises associées à ces phases. Cela illustre son concept de déterminisme historique, où l’évolution des sociétés suit des étapes inévitables (comme le passage du capitalisme au communisme). Marx insiste donc sur l’importance d’étudier l’histoire des autres nations pour en tirer des leçons, mais en reconnaissant des limites à l’action humaine

  1. Joseph Schumpeter définit les trois piliers de la science économique : l’histoire économique, la technique statistique et la théorie économique. Il accorde une primauté absolue à l’histoire économique, en la qualifiant de « plus importante ». Pour lui, le manque de culture historique est à l’origine de nombreuses erreurs en économie. Il souligne que l’histoire permet de comprendre les dynamiques réelles des sociétés et de tester les théories. Par exemple, l’étude des crises passées ou des innovations économiques permet de nuancer les modèles théoriques abstraits. Schumpeter insiste donc sur une approche empirique et historique pour éviter les simplifications dogmatiques
  2. Cheikh Anta Diop définit l’histoire comme la découverte d’une vérité oubliée. Son approche est ancrée dans la réappropriation des narratives historiques, notamment pour les sociétés africaines marginalisées par des récits coloniaux ou eurocentrés. Pour lui, l’histoire n’est pas neutre : elle est un outil de mémoire collective qui permet de redécouvrir des contributions et des réalités souvent occultées. Cela rappelle son engagement pour une reconstruction historique inclusive, visant à combattre les idées réductrices ou racistes en économie et en sociologie. Son propos invite à une critique radicale des sources historiques pour dévoiler des réalités souvent ignorées.

4. Paul Samuelson, prix Nobel d’économie, défend un apport méthodologique rigoureux à l’étude de l’histoire . Pour lui, l’histoire économique est la « matière première » des économistes, mais elle doit être analysée avec des outils statistiques pour être utile. Il insiste sur le fait que l’histoire ne s’interprète pas d’elle-même : il faut tester les hypothèses grâce à des méthodes quantitatives. Cela reflète son rôle clé dans le développement de l’économie néoclassique, où la modélisation mathématique et les données empiriques sont centrales. Samuelson incite donc à une approche scientifique et empirique de l’histoire, loin du simple récit des événements

Synthèse sur leur pensée commune : L’HISTOIRE COMME PIERRE ANGLE DE LA COMPRÉHENSION ÉCONOMIQUE
Tous s’accordent sur la vision de l’histoire comme fondement incontournable pour analyser les dynamiques économiques et sociales, mais leurs approches diffèrent en fonction de leurs objectifs et de leurs méthodes :
Pour Marx, l’histoire est un processus déterministe au cours duquel les sociétés suivent des étapes inévitables (capitalisme, socialisme, communisme). L’étude des autres nations permet de prévoir et d’influencer leur avenir, mais sans pouvoir sauter de phases de développement.
Pour Schumpeter : l’histoire est un outil méthodologique essentiel pour valider ou réfuter les théories économiques. Il critique les économistes qui négligent l’histoire, la jugeant indispensable pour éviter les erreurs théoriques.
Pour Cheikh Anta Diop : l’histoire est un combat pour la mémoire. Elle doit redécouvrir les réalités occultées, notamment dans les sociétés africaines, pour déconstruire les idéologies coloniales et eurocentriques.
Pour Samuelson, l’histoire est une source empirique à analyser scientifiquement. Elle doit être croisée avec des données statistiques et des modèles économiques pour en extraire des leçons applicables.
En résumé, ces auteurs valorisent l’histoire comme une source de connaissance critique, mais avec des finalités différentes. Marx pour comprendre les lois du développement social, Schumpeter pour fonder une science rigoureuse, Diop pour réclamer une mémoire inclusive et une conscience historique et Samuelson pour alimenter une approche empirique de l’économie. Tous convergent néanmoins sur un point : IGNORER L’HISTOIRE CONDUIT À DES ANALYSES SUPERFICIELLES OU ERRONÉES.
CHERIF SALIF SY