RENTRÉE DES COURS ET TRIBUNAUX: L’intégralité du discours du Président Bassirou Diomaye Faye
Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Faye, a présidé ce jeudi 16 janvier 2025, la cérémonie solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux à la salle d’audience de la Cour suprême.
Dans son discours, le Chef de l’État a rappelé l’importance de la Justice au cœur de notre République, en tant que garante des libertés fondamentales et de l’équilibre social. Il a également souligné la nécessité de poursuivre les réformes pour moderniser davantage notre système judiciaire et veiller à ce que le droit de grève s’exerce dans le respect de l’ordre public et de l’intérêt général.
La cérémonie a été l’occasion de réaffirmer l’engagement de l’État envers une Justice efficace, accessible et protectrice des droits de tous.
Retrouvez également ci-dessous l’intégralité du discours du Président de la République :
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Vice-Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Premier Président de la Cour suprême,
Monsieur le Procureur Général près ladite Cour,
Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes,
Monsieur le Procureur Général près ladite Cour,
Monsieur le Premier Président de la Cour suprême du Bénin,
Monsieur le Procureur général près ladite Cour,
Mesdames, Messieurs les députés,
Monsieur le Médiateur de la République,
Monsieur le Président de la Commission Electorale Nationale Autonome,
Monsieur le Président du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de mission diplomatique,
Messieurs les Officiers généraux,
Messieurs les anciens chefs de la Juridiction suprême,
Mesdames et Messieurs les Recteurs, Doyens et Professeurs d’Universités,
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats,
Monsieur le Dauphin du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,
Mesdames, messieurs les magistrats,
Mesdames, messieurs les avocats ;
Madame, messieurs les présidents des ordres professionnels,
Mesdames, messieurs les administrateurs des greffes et greffiers,
Mesdames, messieurs les autorités administratives et territoriales,
Autorités religieuses et coutumières,
Mesdames, Messieurs, en vos rangs, grades et qualités,
Honorables invités,
Je me réjouis d’être avec vous, ce matin, pour la cérémonie solennelle de rentrée des cours et tribunaux qui constitue un moment important de la vie de nos institutions.
Ce rendez-vous républicain offre toujours l’occasion aux pouvoirs exécutif et judiciaire d’échanger sur des thématiques qui sont au cœur des préoccupations de la Cité.
Il ouvre un espace de réflexion où se rejoignent la volonté politique et l’expertise des acteurs du monde judiciaire pour consolider l’État de droit et garantir le respect des libertés fondamentales.
Mesdames et Messieurs,
L’année 2024 a été marquée par le rappel à Dieu de messieurs Ndongo FALL, Ely Manel DIENG, Joseph NDOUR, Mame Ngor DIOUF et Modou SECK.
Je m’incline devant la mémoire de ces illustres disparus qui ont marqué le monde judiciaire.
Je remercie Messieurs le Premier Président et le Procureur Général près la Cour Suprême ainsi que Monsieur le bâtonnier de l’Ordre des Avocats pour les félicitations, les prières et vœux formulés à mon endroit.
J’aimerais, à mon tour, vous adresser mes félicitations et mes encouragements pour vos nominations respectives à la tête de la juridiction suprême, qui consacrent le couronnement d’un riche parcours au service de la justice sénégalaise.
Mesdames et Messieurs, chers invités,
En cette audience solennelle qui marque la rentrée des Cours et tribunaux, je voudrais rappeler l’importance de la Justice dans la consolidation des principes fondamentaux de notre République. Elle est le régulateur des relations entre les différents pouvoirs et les institutions ; la gardienne des libertés individuelles et collectives ; le bouclier qui protège chaque citoyen de l’arbitraire. Sous ce rapport, les justiciables doivent sentir que la Justice est un rempart contre l’arbitraire et non pas un instrument d’arbitraire.
C’est pourquoi, l’une des premières décisions de mon mandat a été de convoquer les Assises de la Justice autour du thème « la Réforme et la Modernisation de la Justice ».
Ce dialogue national, que j’ai voulu inclusif et participatif, a permis à des représentants de tous les secteurs socioprofessionnels, organisés en commissions, de dresser un diagnostic approfondi et précis sur la Justice afin de la débarrasser de ses maux.
Ces commissions ont formulé, par la suite, des recommandations dont la mise en œuvre permettra d’humaniser le visage de la justice et de rendre plus performant le service public de la justice. D’ores et déjà, j’ai mis en place le Comité de rédaction des recommandations consensuelles issues des Assises de la Justice. Ce comité a pour mission de matérialiser les réformes nécessaires afin, entre autres, que les exigences de l’État de droit soient mieux prises en charge par les acteurs du monde de la Justice. En effet, il faut rapprocher la Justice de la Nation au nom de qui elle est rendue. Le monde judiciaire à des défis immenses à relever et doit s’ouvrir au questionnement, à la remise en cause, au changement et à la modernisation. Il doit nécessairement s’ouvrir, à l’instar de tous les corps de la République, au monde extérieur car l’exigence d’un contrat social repensé nous interpelle tous. Un système clôturé à lui-même ne permet pas de faire Peuple. Gardons-nous tous de la tentation de l’entre-soi et du repli.
Monsieur le Premier Président,
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt vos contributions. Les conclusions des Assises de la Justice permettront de répondre aux problématiques les plus urgentes.
Le thème qui nous réunit aujourd’hui porte sur « Le droit de grève et la préservation de l’ordre public ». Il constitue une invite aux acteurs judiciaires à réfléchir sur l’équilibre délicat mais essentiel entre le respect des droits et le bon ordre communautaire.
Monsieur Latyr NIANG, Conseiller Délégué à la Cour Suprême, vient de poser avec beaucoup de pertinence les termes de cette réflexion. Je l’en félicite bien vivement.
Le droit de grève, composante essentielle de la liberté syndicale, est fondamental parce que consacré tant au plan national qu’au niveau international.
Il est garanti par la Constitution et réaffirmé par des normes internationales telles que les conventions de l’Organisation Internationale du Travail.
Il s’agit, essentiellement, de la Convention numéro 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948 ainsi que de la Convention numéro 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective de 1949.
Le droit de grève est ainsi reconnu par notre Constitution en son article 25, qui précise cependant qu’il doit s’exercer « dans le cadre des lois qui le régissent ».
Ce droit peut être présenté comme l’expression la plus aboutie de notre engagement pour les droits fondamentaux des travailleurs.
Il ne s’exerce pas dans l’anarchie pour autant puisqu’il doit s’affirmer dans le respect des conditions posées par le Constituant à l’article 25 de notre Loi fondamentale, à savoir, ne pas porter atteinte à la liberté de travail ni mettre en péril l’entreprise ou les services publics essentiels.
Cela signifie que le droit de grève doit s’accommoder, dans sa mise en œuvre, du respect de l’ordre public.
Il est donc aménagé pour assurer la préservation de la sécurité publique, de la salubrité, de la santé ou encore de la tranquillité publique.
Composante essentielle de notre démocratie, le droit de grève donne voix aux revendications légitimes des travailleurs.
Il ne doit pas être un prétexte pour compromettre la liberté de travail et la continuité du service public. Il y a un équilibre à rechercher et à promouvoir entre, d’une part, l’intérêt général et les intérêts particuliers des professionnels, d’autre part.
Il en résulte que son exercice s’effectue dans le respect des droits collectifs, notamment dans des secteurs cruciaux tels que la santé, l’éducation et la sécurité publique.
Dans ce sens, le code du Travail et le Statut général de la fonction publique ont prévu les conditions requises pour un exercice licite du droit de grève.
La loi n°61-33 du 15 juin 1961 portant Statut général des fonctionnaires, prévoit, en effet, des obligations telles que le préavis et le respect des services minimums qui garantissent la continuité des fonctions vitales de l’État.
Le respect du bon ordre justifiera ainsi des réquisitions qui sont une limite importante mais nécessaire au droit de grève. Encadrées par des textes tels que l’article L.276 du Code du travail, ces mesures administratives permettent d’assurer la continuité des services essentiels dans des circonstances exceptionnelles.
Ces secteurs incluent non seulement les services publics administratifs, mais aussi des entreprises à vocation d’intérêt public, comme celles fournissant l’eau, l’électricité ou les transports en commun.
Toutefois, il est essentiel que les réquisitions soient prises avec discernement et appliquées avec rigueur.
Elles doivent respecter le principe fondamental de la proportionnalité, dans le but de préserver l’intérêt général sans compromettre la liberté syndicale ou vider le droit de grève de sa substance.
Ces mesures, bien que nécessaires dans certains cas, doivent toujours être prises avec le souci de maintenir un équilibre entre la protection des droits individuels et la préservation des services vitaux.
La justice sénégalaise a, à plusieurs reprises dans sa jurisprudence, affirmé que le droit de grève doit être concilié avec la préservation de l’intérêt général.
Les acteurs ne doivent donc pas perdre de vue que dans l’esprit de la loi, le préavis a pour objectif noble d’asseoir un cadre de concertation dans le but ultime d’éviter l’arrêt brutal et concerté du travail.
J’encourage en conséquence les inspecteurs du travail et de la sécurité sociale et les magistrats compétents à promouvoir la conciliation qui est un levier important du dialogue social, car l’ordre public dépasse les seules prérogatives de l’État. Il est un bien commun, reposant sur la sécurité, la tranquillité, la salubrité et le respect des libertés.
Le Haut Conseil du Dialogue Social, qui a pour mission de procéder à des facilitations et à des médiations entre les acteurs sociaux a également son importance dans la préservation de la stabilité dans le monde du travail.
Dans ce sillage, le Gouvernement, dirigé par le Premier ministre, Monsieur Ousmane SONKO, s’est engagé à renforcer les cadres de dialogue entre les différentes parties prenantes que sont les travailleurs, les employeurs et les autorités publiques.
Au demeurant, le succès de l’«Agenda national de Transformation Sénégal 2050» repose sur notre capacité à garantir une stabilité politique et sociale durable et à coordonner les efforts de tous les sénégalais. La Justice doit être garante en dernier ressort de la stabilité sociale. Chaque juge, dans l’intimité de sa conscience, doit toujours interroger son propre rapport à l’éthique et la vérité et dire le Droit sans céder à l’injustice. La Justice doit participer à cet effort d’introspection pour fortifier notre cohésion nationale pour que plus jamais la récente histoire qui a traversé la période 2021-2024 ne se reproduise.
Pour le droit de grève, je vous informe que les services techniques compétents travaillent à l’élaboration de réformes juridiques visant à clarifier davantage les conditions d’exercice du droit de grève dans les secteurs stratégiques.
Par ailleurs, des mécanismes alternatifs de règlement des conflits collectifs de travail, à savoir l’arbitrage et la médiation, seront consacrés par ces réformes.
Je saisis donc cette occasion pour appeler à un exercice responsable du droit de grève. La défense des intérêts professionnels ne doit jamais se faire au détriment de la paix sociale et de la stabilité de notre Nation.
J’invite la Justice, gardienne de nos droits et libertés, à nous entrainer dans cette démarche avec impartialité et rigueur en veillant toujours à promouvoir la paix sociale dans notre pays.
Les employeurs et l’Etat doivent, quant à eux, accorder une attention bienveillante aux revendications légitimes des travailleurs.
Ensemble, construisons un Sénégal où les droits de chacun s’expriment dans le respect de l’intérêt général, un Sénégal de liberté, de justice et de prospérité.
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,
L’assistance judiciaire fonctionne jusqu’ici, provisoirement, sur le fondement d’un protocole d’accord du 07 avril 2005 entre le Barreau et les ministères en charge de la justice et du budget.
Il est nécessaire de la formaliser.
A cet égard, un projet de loi et un projet de décret ont déjà été élaborés pour une règlementation des modalités de l’assistance judiciaire qui, il faut le rappeler, doit bénéficier aussi bien aux victimes qu’aux mis en cause en matière pénale ainsi qu’aux demandeurs et défendeurs en matière civile.
Le constat est qu’elle n’est appliquée qu’en matière pénale et au seul bénéfice des personnes poursuivies alors que des victimes ont souvent besoin de l’aide juridictionnelle, particulièrement en matière civile où la procédure est généralement plus couteuse qu’en matière pénale.
En ce qui concerne l’accès à la profession d’avocat, je voudrais rappeler les exigences des nouvelles règles communautaires, notamment le règlement d’exécution n°001/2019 de l’UEMOA qui prévoit la mise en place, dans chaque Etat de l’Union, d’un centre de formation professionnelle des Avocats.
Le délai de deux ans, prévu pour la mise en place de ce dispositif, est arrivé à terme depuis le 21 février 2021.
Pendant ce temps et ce depuis près de quatre (04) ans, de jeunes diplômés attendent de réaliser leur rêve d’embrasser la profession d’avocat.
Pourtant, l’article 8 dudit Règlement permet, en l’absence d’un centre de formation, de recourir à une structure d’enseignement supérieur en droit reconnue par le Conseil africain et malgache de l’Enseignement supérieur (CAMES) ou à une structure nationale de formation judiciaire, pour la tenue des cours préparatoires que doit suivre chaque candidat avant de se présenter à l’examen d’aptitude à la profession d’avocat.
Au demeurant, il résulte de l’article 3 du Règlement que les barreaux, en relation avec le Ministère en charge de la Justice, sont responsables de l’organisation du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat.
C’est pourquoi, Monsieur le Bâtonnier, je vous invite à prendre contact, dans les meilleurs délais, avec le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, afin de définir avec lui les modalités d’organisation de ces cours préparatoires, préalables à l’examen d’aptitude à la profession d’avocat.
Pour conclure, je salue les efforts du Garde des Sceaux, Ministre de la justice et ses équipes ainsi que de tous les acteurs du monde judiciaire pour la préparation et la parfaite organisation de cette rentrée solennelle des Cours et Tribunaux. Je réaffirme mon engagement à œuvrer pour la réforme et la modernisation de la Justice afin de consolider l’État de droit et la cohésion nationale.
Monsieur le Premier Président de la Cour suprême,
Monsieur le Procureur général près ladite Cour,
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,
Il ne me reste plus qu’à souhaiter une bonne et heureuse année 2025 à tous les membres de la compagnie judiciaire ainsi qu’à leurs familles.
Je déclare ouverte l’année judiciaire 2025 et vous remercie de votre aimable attention.
L’audience est levée.