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Contribution à la réorganisation institutionnelle de la recherche agricole au Sénégal. Par Dr Mbaye Diop

Contexte
Dans le document du projet porté par les autorités, la question de la réorganisation de l’ISRA a été abordée. Le schéma préconisé semble vouloir corriger des incohérences structurelles et fonctionnelles. Toutefois, il risque de remettre en cause la transversalité de cet institut et de cloisonner les chercheurs. Mon avis est que pour construire l’avenir, il est nécessaire d’interroger l’histoire qui est toujours riche en enseignements.
Bref rappel sur l’historique de la recherche agricole
La recherche agricole a démarré au Sénégal pendant la colonisation, avec la création de la station expérimentale de l’arachide de Bambey en 1921, pour accompagner la politique d’approvisionnement des industries d’huilerie de la France en graines oléagineuses. La première variété d’arachide (28-206) a été sélectionnée dans cette station en 1928 et elle est encore présente dans le patrimoine génétique national.
Après l’indépendance, le Bureau des Affaires Scientifiques et Techniques (BAST) a été créé en 1966 et rattaché au Secrétariat d’État à la Présidence. Cette structure devait contribuer à définir une politique de recherche. Il est devenu en 1970 la Direction des Affaires Scientifiques et Techniques (DAST), en charge de la politique scientifique du pays, et a été placé sous la tutelle du Secrétariat au Plan et à la Coopération.
En l’absence d’une véritable politique de recherche agricole nationale, la gestion de la recherche est restée éparpillée pendant longtemps car :

  • la recherche agricole était au ministère de l’économie rurale ;
  • l’Institut d’études et de médecine vétérinaire tropicales (IEMVT) gérait le Laboratoire National d’Elevage et de Recherches Vétérinaires (LNERV) et la ferme de Sangalkam ;
  • la Direction de l’Océanographie et des Pêches Maritimes (DOPM) contrôlait le Centre de Recherches Océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT) créé en 1961 ;
  • le Centre Technique Forestier Tropical (CTFT) gérait le Centre National des Recherches Forestières (CNRF) créé en 1965 ;
  • la FAO avait implanté en 1972 le Centre pour le Développement de l’horticulture (CDH) qu’elle gérait.
    Toutefois, avec la transformation de la Direction des Affaires Scientifiques et Techniques (DAST) en Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) en 1973, toutes ces structures de recherche seront rattachées à celle-ci. L’ISRA a été créé en 1974 par la loi n° 4-53 du 4 novembre 1974 pour permettre au Sénégal de disposer d’une véritable politique de recherche. Toutefois, la création de l’ISRA n’était pas fondée sur la mise en œuvre d’une politique de recherche déjà définie au préalable, mais il s’agissait plutôt d’une démarche de nationalisation des infrastructures et de regroupement de différentes structures de recherche au Sénégal.
    Le regroupement de ces différentes structures de recherche dans l’ISRA répondait donc à un besoin d’organisation de la recherche à l’échelle nationale. Sa mission était de :
  • concevoir et exécuter des programmes de recherche sur les productions végétales, forestières, animales et halieutiques et en économie rurale ;
  • créer des connaissances scientifiques, des innovations technologiques et des outils d’aide à la décision ;
  • valoriser et transférer les résultats de la recherche ;
  • assurer la formation à la recherche par la recherche ;
  • développer une coopération scientifique au niveau national, régional et international.
    Quelle organisation de la recherche face au défi de la souveraineté alimentaire ?
    Avec la sécheresse des années 70 qui a causé des famines à travers l’Afrique, la sécurité alimentaire a été une préoccupation majeure dans les pays du Sahel qui ont créé le Comité Inter-Etats de lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). L’ampleur du défi alimentaire a amené un glissement du concept vers la souveraineté alimentaire, du fait surtout des changements globaux (changements climatiques), des

crises géopolitiques mondiales, des crises sanitaires mondiales, etc. La recherche est alors interpellée au premier chef. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont justifié le changement d’ancrage institutionnel de l’ISRA qui est passé, depuis 1984, de la Direction de la Recherche Scientifique et Technique au Ministère du Développement Rural et de l’Hydraulique, car menant une recherche appliquée sur tous les secteurs qui concourent à la souveraineté alimentaire.
C’est pourquoi je trouve que le regroupement des sous-secteurs de l’agriculture et de l’élevage dans un seul ministère, opéré par les autorités, est très cohérent pour aborder la question de la souveraineté alimentaire. Ces dernières auraient même pu aller plus loin en intégrant les autres sous-secteurs (pêche et foresterie) qui y contribuent. Aujourd’hui, laisser l’ISRA sous la tutelle du ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage permettrait une plus grande fluidité des échanges entre la recherche agricole et la politique, mais également une meilleure prise en charge des questions de recherche/développement dans le secteur agricole au sens large.
Dès lors, l’expérience accumulée durant toute son existence et la complémentarité des secteurs d’activité militent davantage, d’une part, pour conserver le statut actuel et les composantes de l’ISRA et, d’autre part, pour trouver les moyens de le renforcer en vue d’une meilleure prise en charge des orientations politiques agricoles pour la souveraineté alimentaire.
La performance de l’ISRA peut être illustrée, dans le passé récent, par les nombreuses variétés améliorées et inscrites dans le catalogue national en dix années de recherche entre 2012 et 2021 : 10 variétés d’arachides adaptées aux contextes climatiques des zones agroécologiques, 15 variétés de riz dont des variétés aromatiques, 5 variétés de niébé à cycle extra précoce, 3 variétés de sorgho à cycle extra précoce et j’en passe. Cette performance se mesure également par l’obtention des autorisations de mise sur le marché de 21 vaccins vétérinaires (processus démarré depuis 2018), la fourniture d’une quinzaine de millions de doses de vaccins à chaque campagne nationale de vaccination du bétail et la mise à disposition des avis techniques pour la négociation des accords de pêche avec l’Union Européenne.
Cependant, il faut constater que la recherche publique est multisectorielle et elle est menée par plusieurs acteurs dont l’ISRA, les universités, l’ITA et l’INP. Il est donc compréhensible que, dans un souci de cohérence et pour une meilleure gestion au niveau national, les autorités envisagent de réorganiser le secteur.
À ce titre, l’INP et l’ITA pourraient être fusionnées dans l’ISRA pour former un grand institut de recherche en recherches agricoles et agro-alimentaires (Institut Sénégalais de Recherches Agricoles et Alimentaires – ISRAA). En effet, compte tenu du rattachement des universités au Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation, on pourrait envisager de placer le grand institut ISRAA sous la tutelle de ce ministère. On aurait alors deux grands pôles de recherche : la recherche fondamentale qui primerait dans les universités et la recherche appliquée qui primerait dans le nouvel ISRAA.
Cependant, le grand Institut ISRAA devrait garder son statut d’établissement public à caractère scientifique et technologique pour garantir son autonomie de gestion et faciliter son fonctionnement opérationnel. La Direction de la Recherche et de l’Innovation devrait être l’acteur principal de l’élaboration de la politique de recherche, en collaboration avec les autres ministères concernés et certains partenaires stratégiques comme l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal (ANSTS). Les universités et l’ISRAA auraient en charge d’exécuter cette politique, sur la base de programmes de recherche spécifiques ou communs et à travers des contrats de performances qui seront évalués. D’autres composantes seront du Système National de Recherche Agricole et Agro-alimentaire (SNRAA) seront évidemment intégrées à ce schéma, à l’image du Centre Régional d’Excellence (CRE).
Avec cette architecture, l’éclatement des organismes de recherche sera évité et les doublons évités, car le management sera piloté exclusivement par le ministère en charge de la recherche et de l’innovation.

Dakar, le 29 avril 2024

Dr Mbaye DIOP