Le besoin impérieux d’un antisystème d’équilibre (Par Abdoul Mbaye)*
A l’issue de sa réunion tenue le 10 janvier 2024 ayant donné à un communiqué rendu public, le Conseil Supérieur de la Coalition ABDOUL2024 (CSC) avait pris acte des résultats issus du traitement par le Conseil Constitutionnel de la liste des parrainages présentée par son candidat Abdoul MBAYE.
Tout en rappelant le caractère illégal du système de parrainage condamné par la Cour de Justice de la CEDEAO, et son caractère non opérable ayant conduit à faire reposer le tri des candidats à la candidature sur un tirage au sort rompant l’égalité des candidats dans une élection aussi importante pour l’avenir de la Nation, le CSC avait pris acte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Il avait immédiatement confirmé son appel au refus d’une continuité par le régime en place qui aurait assurément eu de graves conséquences aux plans économiques, sociaux et politiques pour le Sénégal et sans aucun doute pour la sous-région.
Le CSC avait immédiatement pris la décision de transformer la Coalition ABDOUL2024 en SENEGAL2024.
Fidèle à ses choix politiques de ruptures dans la paix (SOPI DOXALIN CI JAMM), il avait engagé des démarches visant le rassemblement des forces vives sénégalaises désireuses de peser dans ce sens sur l’élection de notre prochain Président de la République.
Le programme de la coalition ABDOUL2024 est et reste porteur de réformes profondes. Elles sont de natures institutionnelles, économiques, sociales, environnementales, et politiques. Elles von toutes dans le sens d’une remise en cause de l’existant porteur d’échecs répétés de développement. Il propose un Sénégal nouveau porté par une vision forte et prospective :
LE SENEGAL D’ABORD et l’exigence de redonner de l’espoir à notre Peuple.
La dernière version de ce programme du 3 août 2023 a été adoptée par le Congrès de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT) et les organisations membres de la Coalition ABDOUL2024 le 9 décembre 2023. Il sera rendu public afin de pouvoir parfois inspirer les nouveaux dirigeants que le Sénégal a choisi de se donner.
SENEGAL 2024 retient en effet de pouvoir contribuer à l’émergence de ce Sénégal nouveau promis aux électeurs sénégalais, disponible pour conseiller, mais intransigeante dans la défense des intérêts de notre Nation. Elle sera à la fois de contribution mais aussi sentinelle dans une démarche décrite ci-après.
L’alternance démocratique ayant eu lieu lors de l’élection présidentielle de mars 2024 a créé un contexte déjà vécu au Sénégal en 2000 puis de nouveau en 2012. Il est donc légitime de considérer que les fortes recompositions politiques vécues lors des précédents changements de régimes caractériseront les prochains mois et les prochaines échéances électorales.
C’est la raison pour laquelle, en face de ce qui pourrait être qualifié d’incertitudes de mouvances politiques et politiciennes, le présent texte retient de proposer une démarche adaptée à la prochaine échéance électorale ; elle est toutefois susceptible d’être réadaptée ou réorientée en fonction des réalités et des faits qui s’imposeront à toute la classe politique dans le proche avenir.
Cependant, des principes forts sont rappelés comme piliers sur lesquels se fonde le projet de regroupement « SENEGAL2024 ». Ils sont les suivants:
- L’intérêt du Sénégal et des Sénégalais avant tout, et en particulier avant les convenances politiciennes opportunistes,
- La démarche d’une opposition responsable et républicaine soucieuse de ne pas se figer dans une attitude populiste ou d’opposition systématique, restant préoccupée par la mise en œuvre effective d’une gouvernance entièrement consacrée à l’intérêt général,
- La recherche d’un élargissement de son ensemble par des adhésions nouvelles sur la base des valeurs de citoyenneté, de vérité et de travail seules susceptibles de construire un développement réel, rapide et inclusif.
La mise en œuvre d’une telle vision repose sur une stratégie politique fine dont le premier objectif doit être de pouvoir disposer d’une représentation parlementaire lors des prochaines échéances électorales.
Sous réserve de mouvements de « transhumance » (qui pourraient être sanctionnés par des exclusions de députés), le nouveau régime en place ne dispose pas encore d’une majorité parlementaire pour pouvoir mettre en œuvre les nombreuses réformes contenues dans son programme. Il devra par ailleurs faire face à une forte impatience de ses électeurs. Il est donc très probable qu’il procède à la dissolution de l’actuelle assemblée dans le respect des conditions constitutionnelles, soit à la fin du troisième trimestre de cette année. Il profiterait ainsi de la dynamique de victoire dont il devrait bénéficier pendant les prochains mois.
Notre regroupement doit s’organiser pour faire face à cette prochaine échéance et aux vents contraires qui ne sont objectivement pas encore dans le sens de nos intérêts de massification et d’élargissement. Il doit mettre en œuvre une stratégie ayant à la fois pour cibles les organisations politiques et citoyennes, mais aussi les électeurs de toutes obédiences, y compris ceux qui ont élu un nouveau Président de la République, qui accorde une importance toute particulière à « l’antisystème » et aux « réformes systémiques ».
Un objectif principal partagé : construire l’antisystème
Lorsqu’ils étaient dans l’opposition, « l’antisystème »était un concept très utilisé par les nouveaux gouvernants comme une ligne directrice et fondamentale de leur « Projet », sans qu’il ne lui ait véritablement donné du contenu et du sens. Il a été très tôt confirmé par le Président de la République dès son premier discours. Il est donc essentiel que l’antisystème n’en reste pas au stade de slogan, de concept imprécis et potentiellement trompeur dans la bouche et dans les écrits de ceux qui le manient.
Il nous appartient de prendre en charge sa définition et la responsabilité de sa mise en œuvre pour attirer aussi bien ceux qui ont décidé de demeurer dans l’opposition que ceux qui ont voté pour l’application de l’antisystème.
Il nous appartient de proposer l’antisystème comme une nouvelle vision indispensable à la mise en œuvre du projet souhaité par les Sénégalais et qui a conduit à l’élection d’un nouveau président de la République porteur de promesses de ruptures fortes.
L’antisystème ne doit pas être présenté comme la destruction de l’existant. Ce serait un pur mensonge relevant d’un projet impossible. Il doit l’être comme une réorganisation des composantes du système et de leurs relations entre elles pour le meilleur de la démocratie sénégalaise et d’une gouvernance mise au service du peuple du Sénégal. Les composantes principales du système sont les pouvoirs reconnus par la Constitution sénégalaise mais également ceux fortement connexes tels ceux de la presse et des traditions religieuses et coutumières.
Pourquoi une réorganisation ? Parce qu’il est nécessaire de tirer les leçons non seulement du passé récent qui a été rejeté par les populations et qui a conduit à l’élection d’un nouveau Président de la République dès le premier tour du scrutin de mars 2024 ; mais également au nom de l’évidence que les alternances précédentes n’ont pas suffisamment réformé le système dans le bon sens.
Le régime constitutionnel du Sénégal est celui d’une hyper présidentialisation. Le principe de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs entre eux (l’exécutif, le législatif et le judiciaire) ne s’est jamais traduit dans une réalité profitant à la démocratie sénégalaise et par voie de conséquence à son Peuple. Tous les régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance de notre pays ont systématiquement tenu à contrôler également le législatif et le judiciaire. Une petite exception a toutefois existé à l’époque de Senghor qui avait accepté, par fierté républicaine et humaniste, de cohabiter avec une justice indépendante.
La grande souffrance de la démocratie sénégalaise et ses conséquences en termes de gouvernance viennent de ce que les trois pouvoirs constitutionnels dépendent d’un seul et même personnage avec pour conséquences :
- L’instauration d’un régime de « soft » ou semi-dictature avec pour corollaire l’absence de prévention de mal gouvernance et d’erreurs de gouvernance ;
- L’absence de corrections et de rectifications d’erreurs de gouvernance ;
- Une gouvernance trop souvent orientée vers la satisfaction des besoins du Président de la République, de sa famille et de son clan politique ;
- L’oubli des intérêts, parfois fondamentaux, du Peuple retenus comme accessoires ;
- Le renoncement aux promesses électorales, notamment de ruptures contre le système et ses pratiques, qui n’avaient de sens que pour gagner des élections.
La correction de la mal gouvernance ne devient alors possible qu’à l’occasion d’une élection présidentielle.
Le vote sanction qui apporte une possibilité de corrections rend malheureusement ces dernières tardives (rythme de deux mandats consécutifs). Lorsqu’elles sont possibles, les pertes sont déjà énormes, le temps de remise à niveau est susceptible d’être long, et donc la souffrance du Peuple certaine de se poursuivre au-delà du raisonnable.
Force est de constater que la répétition des alternances est la meilleure preuve d’échecs, certes sanctionnés par les urnes, mais témoignant de l’absence de réelles corrections mises en œuvre. Ces corrections sont seules en mesure de rassurer et de redonner un espoir durable aux populations sénégalaises.
L’histoire de notre pays retient donc la succession d’alternances élues pour créer de l’antisystème et des ruptures, mais faisant le choix de la continuité et de la pérennité d’un système dont le Peuple, pourtant persévérant, souhaite se débarrasser par de profondes réformes.
Une Assemblée nationale de contribution et sentinelle, pilier principal d’un antisystème possible
Construire l’antisystème dont le Sénégal et l’Afrique ont besoin revient à une réorganisation des composantes du système et de leurs relations entre elles. Ces composantes peuvent être énumérées comme les Pouvoirs reconnus et cités comme tels par la Constitution auxquels on ne peut ne pas ajouter les organisations et structures diverses, prises ensemble ou parfois séparément, qui contribuent à l’exercice et à la défense des principes et droits fondamentaux garantis par la Constitution du Sénégal.
Des réformes majeures permettraient de sortir de l’hyper présidentialisation du régime politique sénégalais et par voie de conséquence d’évoluer vers cet indispensable antisystème. Elles sont déjà présentes sous forme de propositions dans de nombreux rapports et études élaborés hors des champs partisans. Ceux des Assises Nationales et la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) en sont riches. Reprises et parfois enrichies, elles figurent également dans la plupart des programmes des partis politiques les mieux organisés.
Dans le cadre du présent écrit, prenant en compte la prochaine échéance électorale qui devrait être un scrutin pour mettre en place une nouvelle Assemblée nationale après dissolution de celle en place, le focus est mis sur la construction d’une nouvelle législature qui serait clé de voute de l’antisystème à élaborer.
Il convient avant de tout de rappeler que le Sénégal prétend être une démocratie représentative. Il est de fait une « démocratie présidentielle » caractérisée par des élections qui permettent de porter à la tête de l’État un Président de la République maître de l’Exécutif et des pouvoirs législatif et judiciaire.
Sauf les limites qu’il pourrait se donner par un sens élevé de l’éthique, le Président de la République du Sénégal :
- Nomme le Premier ministre et, de fait, les ministres. Il donne directement des instructions à ces derniers. Il interagit directement dans la préparation de certains décrets et donc de rapports de présentation. L’exemple le plus triste restera sans doute celui du faux rapport de présentation qui permit la signature d’un décret validant l’attribution de permis pétroliers à la société Petrotim en violation de la loi. Alerté par son ancien Premier ministre, le Président en exercice n’a pas daigné mettre en œuvre les enquêtes demandées par l’ancien Chef du gouvernement. Pourtant l’abrogation de ce décret ou le simple gel du processus de vente des actions Petrotim pour cause de fraude aurait permis de sauver ce qui pouvait encore l’être au titre des intérêts de la Nation sénégalaise.
- Peut détenir, grâce à un système électoral inique et majoritaire à un tour et avec une grande facilité, une majorité écrasante à l’Assemblée nationale tout en étant minoritaire au niveau national dans un même scrutin. Le meilleur exemple est celui des élections législatives de 2017 lorsque la coalition formée autour du Président de la République a obtenu 75,78% des sièges de députés pour 49,47% des suffrages exprimés. Tout en étant minoritaire, ce système électoral lui a permis de détenir une majorité permettant la modification de la Constitution sur sa seule volonté et sur ses seuls désirs.
- Est le patron du parquet et Président du Conseil supérieur de la Magistrature qui décide de la carrière des magistrats. Il ne se cache de pouvoir « mettre le coude » (Macky Sall) sur les dossiers qui lui tiennent à cœur.
Si les réformes doivent être mises en œuvre pour recomposer et reconstruire le système et lui donner la forme d’un antisystème, celles devant donner à nos compatriotes le maximum de gages de sincérité et de promesses de résultats durables doivent concerner en toute priorité l’Assemblée nationale.
Dans une démocratie représentative, elle est en effet le siège des représentants du Peuple ; elle est donc le plus fort des contre-pouvoirs sans devoir être un adversaire du pouvoir exécutif. Elle est l’institution qui doit contrôler l’activité de l’Exécutif ; elle doit le pouvoir sur un programme global et général tout comme sur des actes et décisions particulières et spécifiques, en amont et en aval de leur application. Elle a le pouvoir de sanctionner.
Ses pouvoirs doivent être augmentés et renforcés afin d’éviter qu’un président de la République, préoccupé à l’excès par l’exercice absolu de son pouvoir, ne transforme l’État et l’Administration en un système au service de sa volonté et de ses intérêts propres, familiaux, partisans et claniques contre ceux du Peuple.
L’Assemblée nationale doit donc avoir son mot à dire jusque dans le choix de certains ministres devant assurer la direction de départements sensibles, ou de certains hauts responsables de l’Administration. Elle doit être concernée en tout premier lieu par le contenu des rapports des corps de contrôle de l’État et associée à la définition de leurs programmes d’activité annuels.
L’Assemblée nationale sénégalaise devrait pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont aujourd’hui dévolues et celles qui devront l’être demain par leçons tirées du passé parlementaire du Sénégal qui est invariablement celui d’une Assemblée nationale soumise et docile. Elle s’est objectivement trop souvent montrée incapable de comprendre, dans une large majorité, les textes qui lui sont soumis ou les enjeux mis en mouvement par ces derniers.
Afin de pouvoir devenir cette pierre angulaire de l’antisystème à édifier, le député siégeant à l’Assemblée nationale doit :
- Être véritablement représentatif. Dans l’attente d’une réforme du scrutin qui aujourd’hui permet d’élire la majorité d’entre eux comme femmes et hommes d’appareils politiques, l’électeur doit faire le choix de listes présentant des candidats dont il peut être certain de leur future indépendance à l’égard de l’exécutif. Il ne lui est point difficile de faire le choix de personnalités connues pour leur indépendance et leur engagement patriotique au service de l’intérêt général et celui de la Nation.
- Avoir conscience de ne pas être le député d’un Président de la République ou d’un parti, mais le représentant de l’ensemble du Peuple du Sénégal.
- Être en mesure, par sa formation ou par un soutien léger qui lui viendrait d’assistants parlementaires, de comprendre les textes soumis à son vote, et de manière générale les enjeux de l’actualité et des budgets, programmes et projets.
- Être en mesure d’aller dans le sens des souhaits du Gouvernement lorsqu’ils sont en alignement avec les intérêts des citoyens, leurs mandants. Mais aussi de les compléter et les amender lorsqu’ils les jugent incomplets, et parfois de les rejeter lorsqu’ils sont contraires aux intérêts des citoyens.
- Être capables de présenter des propositions de loi lorsque le Gouvernement fait preuve de retards ou d’oublis préjudiciables à la vie du citoyen et de la Nation.
- Etc…
Lorsque viendra l’heure de choisir son représentant à l’Assemblée nationale, l’électeur qui a fait le choix du projet prônant la construction de l’antisystème, devra rester fidèle à ce premier choix vainqueur le 24 mars 2024. Ce choix de ruptures fortes est d’ailleurs également présent dans la grande majorité des programmes de tous les partis progressistes et soucieux de ruptures nous éloignant des répétitions du passé.
L’électeur devra avoir pleinement conscience que l’antisystème a impérativement et absolument besoin d’une Assemblée nationale de ruptures, ayant la capacité de les créer non seulement pour elle-même en sa qualité de composante essentielle du système, mais également dans sa relation avec le pouvoir exécutif.
Sénégalaises, Sénégalais, si tant est que nous souhaitons le meilleur pour notre cher pays et sauver le projet de nos nouveaux gouvernants, votons également pour des députés de rupture et une Assemblée nationale non soumise, consciente et patriotique. C’est seulement ainsi que le début de l’antisystème sera sûr de grandir après son autre naissance le 24 mars 2024.
Rebâtir l’espoir – DekkilYakaar
- Par Abdoul Mbaye