Évasion fiscale: pourquoi le rapport alarmiste de Tax Justice Network est contesté
L’OCDE a-t-elle échoué à réformer le système fiscal, a-t-elle échoué à le rendre plus juste ? C’est la conclusion de l’ONG britannique Tax Justice Network dans un rapport publié hier. Vrai ou faux ?
Cela fait plus de dix ans que l’OCDE planche sur une réforme présentée comme la mère de toutes les batailles pour éliminer les paradis fiscaux. Réforme adoptée en 2021 mais qui n’est toujours pas entrée en vigueur. Mais ce n’est pas sur cette base que Tax Justice Network critique l’action du club des pays riches, c’est sur la base de son rapport annuel sur l’évaporation fiscale.
Sa conclusion pour cette année : entre l’évasion fiscale des ultra-riches et les tours de passe-passe des multinationales, 470 milliards de dollars de recettes fiscales ont échappé aux États. Et ce chiffre a bondi de 40 milliards de dollars en un an, précisent les auteurs.
Des données alarmantes mais erronées, selon un expert britannique
Dan Neidl en fait une démonstration brillante et détaillée dans un post publié hier sur LinkedIn. Cet ancien avocat fiscaliste, retiré aujourd’hui d’une activité qui a fait sa fortune, dénonce régulièrement et très concrètement les fausses bonnes idées des réformes et aussi les vraies effractions fiscales. Il a notamment fait tomber un ministre britannique des Finances pour le recours à un trust offshore.
La principale critique de cet esprit indépendant : Tax Justice Network fait l’impasse sur les réformes déjà mises en œuvre et extrapole sur la base de chiffres fantaisistes. En 2021, 11 000 milliards de dollars de dépôts ont été détectés dans le cadre de l’échange automatique d’informations, un nouveau standard en vigueur depuis 2014 pour dissuader la fraude. Ce qui ne signifie pas que ces sommes ont réussi à échapper à l’impôt, c’est pourtant le postulat de l’ONG qui estime que 10 000 milliards de dollars n’ont pas été déclarés pour parvenir à son estimation à la louche de l’évasion fiscale.
Quelle est l’ampleur réelle de la fraude fiscale ?
Impossible de l’évaluer à ce jour, explique Pascal Saint-Amans, un autre expert réputé. Selon l’ancien directeur de l’administration fiscale de l’OCDE qui a travaillé d’arrache-pied pendant quinze ans pour aboutir à l’accord historique de 2021, on ne peut faire que des hypothèses sur ce sujet. Les pays qui constatent un grand écart entre leur surface économique et leurs recettes fiscales font des hypothèses, c’est un travail de fourmi, mais il n’y a pas de formules mathématiques. Pour en revenir au rapport controversé, Pascal Saint-Amans lui aussi est sceptique sur la méthodologie, « intellectuellement pas totalement honnête » d’après lui.
L’ONG milite pour que le sujet soit traité au niveau des Nations unies et non au sein de l’OCDE. Cela garantirait plus de transparence et la participation des ONG aux discussions, ce qui n’est pas le cas au sein de l’OCDE. Mais cela ne garantit pas pour autant les résultats et ce n’est pas sans risque, souligne Pascal Saint-Amans. Une coalition des pays favorables à un transfert à l’ONU avait été formée, rappelle-t-il, et elle était composée du Liechtenstein, la Barbade, Panama et les Bahamas, des pays bien identifiés comme des paradis fiscaux. Enfin, il serait illusoire de croire que les États-Unis, qui bloquent aujourd’hui le premier pilier de la réforme au sein de l’OCDE, changeraient d’avis devant les Nations unies.
Pour des raisons de politique intérieure, Joe Biden aura du mal à faire ratifier le texte par le Congrès avant la fin de l’année. En revanche, l’autre pilier de la réforme, l’imposition à 15 % de toutes les sociétés avec un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros entrera bien en vigueur le premier janvier prochain, avec un an de retard. Et son application va très vite vider de sens l’expression « paradis fiscal », elle va surtout vider les coffres de ces refuges pour milliardaires. Affaire à suivre en janvier prochain.