Paix en Casamance : Jean Marie François Biagui écrit au nouveau CEMGA
Monsieur le Général,
Tout récemment, dans la zone nord de la Casamance, frontalière de la Gambie voisine, des drones de l’armée ont pris pour cibles des paysans producteurs de cannabis. Non armés, ces derniers ne pouvaient de toute façon passer pour des combattants armés du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), si l’on sait que le secteur concerné était abandonné par la faction du MFDC qui y était basée jusqu’alors, à la faveur de l’offensive de l’armée de mars et avril 2022.
Et à supposer même qu’ils fussent des éléments du MFDC, dès lors qu’ils n’étaient pas armés et qu’ils ne constituaient par ce fait aucune menace, il eût été naturel, dans un Etat de droit, de les arrêter, ou de les faire arrêter, en l’occurrence par la gendarmerie, et de les confier à la justice.
Aussi, à l’époque des faits, avais-je été quasiment seul à m’être indigné publiquement contre ce qui était à mes yeux une forme d’exécution extra judiciaire.
Certes, l’armée n’a-t-elle rien à craindre sur la question, ni de la part des droits-de-l’hommistes sénégalais, ni des journalistes sénégalais. Tous lui sont en effet inconditionnellement et totalement acquis, d’autant plus que dans leur entendement, du reste avoué, tuer en Casamance des paysans producteurs de cannabis, non-armés pour le coup, qui plus est au moyen de drones, et donc sans sommation, c’est tuer en toute légitimité et légalité du MFDC. Certains parmi eux, et pas des moindres, n’ont-ils pas réclamé à cor et à cri à l’armée la liquidation physique de Salif Sadio, sans aucune autre forme de procès, suite à l’incident malheureux et regrettable du 24 janvier 2022, qui opposa indûment et par leur seul fait des soldats de la CEDEAO basés en Gambie aux hommes du chef de guerre du MFDC, dans une zone alors « sous contrôle » de celui-ci ?
Rappelons, tout à propos, que le MFDC ne dispose d’aucune base d’aucune sorte à l’étranger.
L’armée n’a donc rien à craindre sous ce rapport-là. Cependant, n’en déplaise aux droits-de-l’hommistes saisonniers et autres rentiers de la guerre et des crises politiques et sociales, ni le droit, ni la morale, ni à plus forte raison l’éthique ne sont en l’espèce avec l’armée.
C’est connu, Monsieur le Général, l’armée sénégalaise sait faire la guerre, mais elle ne sait pas faire la paix. Nombre d’officiers supérieurs ont payé de leur carrière leur volonté de paix en Casamance ; qui jetés à cet effet loin du pays, qui contraints de partir à la retraite anticipée, voire de démissionner, etc.
Or, l’heure de la paix a sonné. Et elle ne sonne jamais qu’une fois.
Figurez-vous, Monsieur le Général, que l’heure de la paix en Casamance a sonné, il y a de cela plusieurs décennies ; c’est-à-dire du vivant même de Sidy BADJI, fondateur du maquis casamançais, et de l’Abbé Augustin Diamacoune SENGHOR, alors Secrétaire Général du MFDC. Mais si de nos jours nous parlons encore ‘‘processus de paix en Casamance’’, cela démontre à suffisance que l’armée sénégalaise n’est pas douée pour la paix.
En fait, quand du côté de l’armée l’on parle ‘‘paix en Casamance’’, il faut entendre : ‘‘laver l’affront contre le MFDC’’ ; et lorsque l’on évoque de ce côté-là ‘‘négociation avec le MFDC’’, cela sous-entend ‘‘processus de reddition du MFDC’’.
Toutefois, je veux croire avec vous, Monsieur le Général, à l’avènement d’une ère nouvelle, en Casamance en tous les cas.
Fraternellement.
Jean-Marie François BIAGUI
Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)
Ancien Secrétaire Général du MFDC