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LES MERCREDIS DE NDIOBA: Macky, Cincinnatus ou Icare ?

Dans l’Antiquité, l’ivresse du pouvoir est un concept philosophique omniprésent : l’hubris est l’intempérance, l’orgueil démesuré qui fait perdre pied. Les mythes et les tragédies en sont d’ailleurs gorgés. C’est bien sûr Icare qui se brûle les ailes à vouloir trop s’approcher du soleil. L’hubris est le crime dont les hommes de l’Antiquité doivent se prémunir à tout prix. À Rome, lors de la cérémonie du triomphe des généraux victorieux, un esclave prend ainsi place dans le char du général et lui murmure à intervalles réguliers pendant le défilé « memento mori », « rappelle-toi que tu vas mourir ». Un procédé destiné à circonscrire l’incendie de l’orgueil. Pour les Romains et les Grecs, l’hubris est un feu qui consume l’âme. Cette « maladie du pouvoir », qui se déclencherait généralement après un grand succès suivi d’une ascension irrésistible, fait prendre des décisions inconsidérées. Ses signes : une inclination narcissique à voir le monde prioritairement comme une arène où exercer son pouvoir et rechercher la gloire ; un souci disproportionné pour l’image et l’apparence ; une confiance excessive en son propre jugement et un mépris pour les critiques et les conseils d’autrui ; une perte de contact avec la réalité souvent associée à un isolement progressif

Macky, l’antithèse de Sall

Pris dans le tourbillon des commencements, nombre de Sénégalais avaient donné un blanc-seing à celui dont les premières proclamations avaient fait mouche. « La patrie avant le parti » était une belle caresse à l’égo de tous ceux que les dernières années de Wade au pouvoir avaient heurtés. Macky Sall était perçu comme la garantie d’une tranquillité républicaine, celui qui devait remettre la République à l’endroit. Un sentiment renforcé par sa volonté affirmée et assumée de mettre fin à la querelle des mandats. La réforme constitutionnelle de 2016 devait y mettre fin. Définitivement. Il en avait assuré le marketing lors de la campagne pour le référendum et proclamé urbi et orbi que le nouveau texte allait définitivement verrouiller la limitation des mandats à deux : « Nul ne peut faire plus de mandats consécutifs ». Il en avait aussi assuré le service après-vente, déclarant à plusieurs reprises et écrivant dans son livre que s’il était réélu en 2019, il en serait à son « second et dernier mandat ». L’adjectif « second », rappelons-le, signifie : « Qui vient après une chose de même nature ; qui suit le premier ». Qui est mieux placé pour interpréter un texte que celui qui l’a inspiré ?

Il faut croire, malheureusement, que ces proclamations, procédaient du « délire sublime des débuts ». Car Macky Sall nous dit aujourd’hui, qu’elles n’étaient que ses convictions de 2018. Seraient-elles alors surannées en 2023 ? Elles pourraient, en tout cas, évoluer, nous prévient-il dans un entretien avec l’hebdomadaire français l’Express. Avec un peu de dérision (c’est de saison), il aurait pu tourner ainsi sa réponse : « Mes paroles s’habillent aux couleurs de la saison en cours. Elles sont flashy en été de promesses politiques et sombres, voire floues en saison électorale. Elles peuvent être vertes, jaunes ou rouges en fonction du dessein qui m’habite. Mes paroles n’engagent que ceux qui ont la naïveté de penser que je suis un homme de… parole. »
On le voit venir. Macky est tenté de contredire Sall et de forcer le barrage constitutionnel pour rempiler en 2024. Il ne semble pas vouloir suivre les pas de Cincinnatus, ce patricien romain qui sauva la République assiégée par les Sabins et les Eques, préféra quitter le pouvoir pour retourner à ses champs et à ses charrues. Cette virtus (vertu) attendue de nos hommes politiques est certainement trop lourde à porter.

Prêcheur de vertus

Que d’écart entre ses premières promesses et la réalité de son exercice du pouvoir ! Que reste-t-il des slogans qui ont fédéré presque tout le pays autour de lui en 2012 ? La « gouvernance sobre et vertueuse », « la patrie avant le parti », le « retour à la normalité présidentielle » ont fondu comme du beurre sous l’incandescence du pouvoir. Le Macky Sall, premier Président sénégalais né après les indépendances, qui a vendu la « rupture » jusqu’à l’excès est aux antipodes de celui qui se frappe la poitrine et menace ceux qui ne pensent pas comme lui. Le Sénégal s’est débarrassé de Wade rattrapé par son rêve monarchique, mais il ne savait pas qu’il allait se retrouver avec une version plus hard du wadisme. On se retrouve avec un chef de clan lisse comme le téflon pour les siens qui multiplient outrages et scandales sans coup férir et rude comme un hiver sans fin pour ses adversaires. Pour ces derniers, la hardiesse est de saison : emprisonnement, exil, parrainage-exclusion, condamnations, etc.

Il avait promis d’être un repère et un recours. Un repère fixe. Un recours stable. Au lieu de quoi il nous oppose aujourd’hui les hypostases du poids du pouvoir. La force aveugle pour convertir tout le monde à sa religion. Pourtant, partout dans le monde où des chefs d’Etat ont voulu muer en monarque républicain, les peuples ont choisi, furieusement, l’épaisseur et les couleurs de leur propre présent. Ses amis, s’il lui en reste, doivent l’aider à sortir de son entre soi et à observer l’alentour. Le feu de paille qui brule dans la forêt voisine peut s’étendre et consumer nos cases.
Idrissa Seck donnait cette belle définition du président de la République : « Une créature constitutionnelle à incarnation humaine variable ». Le pouvoir, ce n’est donc pas le président élu, mais le peuple qui élit.

Dioba Diouba