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PREMIERE FEMME PROCUREURE DU SENEGAL: La légendaire Dior Fall Sow

Dès son jeune âge, elle combattait l’injustice. Un trait de caractère qui l’a suivie tout au long de sa carrière de magistrate. Nommée première femme procureure de la République du Sénégal, elle gère ce poste avec beaucoup de responsabilité et d’abnégation. Aujourd’hui encore, Elisabeth Dior Fall Sow poursuit ses combats pour les droits des femmes.

Elle aime les challenges et sait les relever les uns après les autres. Elle, c’est Elisabeth Dior Fall Sow, première femme procureure de la République au Sénégal. Courtoise et taquine, elle est surtout connue pour son humilité, son fort caractère. Ancienne pensionnaire du lycée Van Vollenhoven (actuel lycée Lamine Gueye), elle n’a pu y terminer son cursus secondaire à cause d’un différend avec son prof d’anglais. Elle témoigne, à la fois nostalgique et fière : ‘’J’avoue que j’avais souvent des problèmes avec mes professeurs parce que je ne me laissais pas faire. On était en pleine époque coloniale et quelquefois, il y avait des attitudes un peu racistes, et moi je ne supportais pas cela’’, remémore-t-elle. Après l’obtention de son brevet au Collège Notre Dame, elle quitte le Sénégal pour un internat en France. Elle était certes pleine d’illusions, mais se rend compte très vite que cette nouvelle vie ne lui correspondait pas. Elle rentre donc au pays natal et fut inscrite à nouveau au collège Notre Dame où elle obtint son baccalauréat à 18 ans, en 1963. Née d’une mère enseignante, Dior Fall Sow est rentrée assez tôt à l’école. Il lui a fallu une dispense pour passer l’entrée en sixième, car elle n’avait que 10 ans, se souvient-elle. Le bac en poche, elle fait une année de droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, avant de reprendre les airs pour la France. Cette fois, les choses sont différentes, puisqu’elle aura à ses côtés sa mère affectée à l’Unesco comme experte. C’est dans ce pays que Dior Fall Sow effectue ses études supérieures. Son diplôme en droit et son DES de science criminelle en main, elle fait son stage de formation de magistrat là-bas, avant de revenir au Sénégal juste pour exercer.

Le conseil du juge feu Kéba Mbaye

Née en 1945 à Dakar, Dior Fall Sow a choisi de faire le droit grâce à un ami de ses parents, feu le juge Kéba Mabye. ‘’On avait des relations très particulières avec la famille Mbaye de tonton Kéba. On était donc souvent ensemble. Lorsque j’ai terminé ma maitrise en droit, je discutais avec lui et il m’a demandé ce que je voulais faire ; j’ai répondu que je ne savais pas encore. Il m’a dit : ‘si tu sais, tu vas faire la magistrature’. Je n’y avais pas pensé auparavant, mais j’ai été tout de suite convaincue parce qu’effectivement, j’aime beaucoup ce qui est juste. Je suis aussi très proche des plus vulnérables. C’est d’ailleurs pourquoi j’avais choisi le Droit’’, confie-t-elle.  En 1976, elle est nommée procureure de la République à Saint-Louis, une nomination qui l’a un peu surprise, puisque ce n’était pas sur sa demande. ‘’J’ai su par la suite que c’était le procureur de la République de Saint Louis, Papa Diène, paix à son âme, que je remplaçais parfois quand il allait en mission, qui a fait cette proposition. Parce que nous étions très peu de magistrats. Quand il est affecté ailleurs et que son problème de remplacement se posait, c’est lui qui avait dit de me mettre comme Procureure de la République’’, raconte Mme Sow. Un grand challenge pour la militante des droits des femmes qui y voyait un énorme défi pour la Femme, en tant que pionnière. ‘’J’étais la première femme procureure, donc parquetière. Il m’appartenait donc de montrer l’exemple, que le parquet pouvait être tenu pas des femmes. C’était une grande responsabilité aussi bien sur le plan juridique qu’administratif, parce qu’on gérait toute une région. Je crois avoir réussi la mission’’, se réjouit-elle. 

’’Quand il fallait que je sois ferme, je l’étais’’

Cette charge n’est certes pas facile pour Dior Fall Sow. Pour réussir sa mission, elle a su être ferme quand il le fallait, compréhensive aussi quand la situation le recommandait. Très vite, le mythe Dior Fall, la femme procureure, se propage un peu partout, parfois au-delà même des frontières. Pour elle, il fallait prouver que les femmes peuvent être fermes, sans être trop répressives. ‘’J’estime que dans notre métier, on a un volet qui est de faire appliquer la loi envers et contre tous ; d’être indépendant dans notre travail. Parce que la justice étant un pouvoir. C’est-à-dire que nous n’avons à subir aucune pression de quelque nature qu’elle soit (familiale, professionnelle, étatique, maraboutique). C’est comme ça qu’on parvient à faire bien son travail. Cela dit, notre mission n’est pas non plus que la répression. Il faut aussi essayer d’aider à la réinsertion d’un individu, à prendre conscience de ses fautes et à s’amender.’’

Après sa formation, une fois à Dakar, à la Direction des services judiciaires, elle est informée de son affectation à Saint Louis. Certains lui avaient demandé d’écrire pour rester à Dakar, un privilège généralement accordé aux femmes, mais elle a vite refusé.  ‘’J’ai dit non. J’ai fait ma formation avec cinq hommes, j’étais la seule femme. Si les hommes ne demandent pas à changer de postes d’affectation, je ne vois pas pourquoi je dois le demander. J’ai choisi ce métier, s’il y a des contraintes, il faut que je les assume comme les hommes’’. Elle part alors à Saint-Louis, pour un poste de juge d’instruction qu’elle va occuper pendant 5 ans, avant d’être nommée procureure de la République.

Changement de l’article 19 de la loi des Forces Armées

Mariée et mère de trois enfants dont une fille et deux garçons, elle admet qu’il n’était pas évident de concilier la vie familiale et la vie professionnelle. D’autant qu’à l’époque, elle avait un défi à relever. Prouver que son poste n’est pas usurpé ; que la femme peut tenir une juridiction à l’instar des hommes. Elle regarde dans le rétroviseur :

‘’Je crois que je n’ai peut-être pas consacré tout ce qu’il fallait comme temps à mes enfants. Mais je rends grâce à Dieu. A l’époque, nous avions au Sénégal cette solidarité familiale. C’est dommage que certaines choses tendent à disparaitre.

Lorsque je partais en voyage, en mission ou que j’avais des choses à faire, je n’avais aucune inquiétude quant à la prise en charge de mes enfants. Parce que je savais que soit ma mère, mes sœurs, la famille élargie, tous seraient là’’, raconte-t-elle.  Femme très engagée, Dior Fall s’est toujours battue contre les discriminations faites aux femmes. C’est dans ce cadre qu’elle avait, en 1999, fait une proposition pour changer l’article 19 de la loi sur les Forces armées qui disait que le service militaire était réservé seulement aux hommes. ‘’J’avais préconisé de changer cela en disant que tout citoyen sénégalais, femme et homme qui veut, puisse intégrer les armées. C’est l’ancien Président Abdoulaye Wade qui, en 2008, neuf ans plus tard, a accédé à la requête. La même définition que j’avais donnée est reprise en changeant juste l’âge. Si on avait changé ça depuis, les femmes auraient accédé peut-être beaucoup plus tôt aux corps de Défense et de Sécurité. J’en suis très fière et très content’’, se réjouit-t-elle. Par ailleurs, avec Aïda Mbodj, la magistrate a mis en place le ‘’Réveil de la femme’’ en 1973. Ancienne Directrice nationale en charge de l’éducation surveillée et de la protection sociale, Dior Fall rejoint le privé, en particulier la Sonatel en 1989, puis Kigali où elle est conseillère juridique. A un moment donné, il y eut un appel d’offre pour un poste.  Elle est ainsi nommée responsable d’une équipe de procès en chambre. C’est là qu’elle termine sa carrière de juriste internationale. ‘’Une fois au Sénégal, rappelle-t-elle, j’ai été sollicitée pour faire partie d’un comité d’experts pour rédiger la définition de l’écocide’’. Aujourd’hui, la première femme procureure est surtout dans la consultance nationale et internationale. Elle continue son combat pour les femmes qu’elle n’a d’ailleurs jamais cessé. Membre fondatrice de l’Association des Juristes Sénégalaise, elle adore lire et raffole des plats comme le Yassa, le mafé et le soupou kandja. Dior Fall Sow n’est pas que magistrate, elle joue aussi au théâtre et est passionnée de parachutisme. A son compteur, elle compte 282 sauts en parachutes, dont 15 sauts en ouverture automatique ; le reste c’est en chute libre.

Leçons de vie aux jeunes magistrats

Auteur du de l’ouvrage ‘’mon livre blanc’’ publié tout récemment, Dior Fall Sow veut laisser quelque chose à la jeunesse, une des cibles de son livre. En regardant la situation de notre pays, elle constate une certaine perte de valeurs tel que ‘’diom, fayda, kersa, foula, soutoura’’. ‘’On glisse un peu vers certaines attitudes qui ne sont pas celles qu’on devrait avoir par rapport à notre vécu, à ce qui existe dans notre société. En écrivant, j’avais une adresse à la jeunesse, montrer à travers ce livre que le Sénégal regorge de femmes et d’hommes de valeurs, qu’on n’avait pas à chercher des exemples ailleurs’’.  Après la cible jeune, place aux jeunes magistrats. Elle leur rappelle ce que doit être un bon magistrat. Elle a aussi posé le problème de l’indépendance, les problèmes qui font que la magistrature se doit d’être indépendante.

’L’indépendance ne se décrète pas, ça s’assume. Il faut aussi qu’il y ait un environnement favorable ; qu’on n’ait pas de bâton dans les roues. Que ce soit un magistrat du siège ou un magistrat du parquet, nous sommes soumis à des règles de déontologie.’’

A l’en croire, tout magistrat qui veut être indépendant peut l’être. Et les exemples ne manquent pas dans son ouvrage. Elle déclare : ‘’J’ai donné des exemples dans mon livre en tant que parquetière où j’ai eu à dire non : ‘je ne peux pas faire ça pour telle ou telle raison et je ne le ferai pas’. À la limite même si on dit que le parquet dépend de l’Exécutif, je pense que tout parquetier a le droit de montrer son indépendance en disant : ‘vous me demandez de faire ça par écrit, je le fais mais je suis contre ce que vous avez dit’. Ça c’est un acte d’indépendance qui est assez fort’’.

Viviane DIATTA