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De la valeur d’un régime imparfait

Jusqu’à présent, à l’Assemblée nationale, nous avions l’habitude d’une majorité écrasante face à une opposition très faible. Il arrivait même que le Parti socialiste, après des élections, vole au Pds ses députés en cours de mandat et finisse par le priver d’un groupe parlementaire. Quand on élit un Président, logiquement les Législatives qui suivent lui confèrent une majorité. La majorité mécanique permet au pouvoir exécutif de gouverner dans une forme de tranquillité, faisant passer des lois et obtenant leur vote sans grand risque. Les députés du parti majoritaire transforment en règle de droit les orientations politiques définies par le chef de l’Etat. Cette réalité, somme toute cohérente, a ses effets pervers sur le fonctionnement démocratique et la pluralité des opinions dans la gestion des affaires publiques. Les parlementaires n’ont jamais été des ayatollahs de la liberté en toute conscience dans notre pays.

Abdoulaye Wade a très souvent changé la Constitution, qu’il avait fini de transformer en brouillon au gré de ses envies les plus personnelles. Les députés par la même veine étaient devenus non pas des élus mais des «Playmobil», rivalisant de servilité vis-à-vis d’un homme dont ils validaient toutes les décisions outrancières.

Le Pape du Sopi est parti et le personnel politique n’a pas beaucoup changé, de même que les mœurs. Il suffit d’aller consulter la liste des députés qui avaient signé la pétition pour chasser Macky Sall du Perchoir et voir leur position aujourd’hui pour avoir une idée des convictions qui gouvernent ces hommes et femmes et du caractère problématique des mœurs politiques. Peu s’en tiennent aux principes. Les postures aux gré des intérêts du moment tiennent lieu de morale. On change d’allégeance comme on change de sabador sous nos cieux.
Dans les oppositions successives, les mêmes soucis persistent, comme quoi elles ne sont en général pas plus vertueuses que ceux qu’elles critiquent.

Parmi ceux-là qui critiquaient l’Assemblée nationale, jetaient l’opprobre sur les élus et fustigeaient leur inutilité, certains ont été élus en 2022 au terme d’un processus chaotique. Ils se sont tout de suite illustrés par l’incurie, l’irresponsabilité et la désacralisation de la fonction d’élu de la Nation. Je demeure choqué par le comportement de ces hommes et femmes lors de l’installation de la XIVème Législature. J’ai un respect infini pour les institutions républicaines, elles représentent le fil de l’histoire de notre pays qui se construit en tant qu’Etat et se fortifie comme Nation souveraine. Mais j’ai si peu de considération pour les passagers clandestins qui incarnent certaines de nos institutions alors qu’ils ne sont habités ni par la conviction démocratique ni par l’éthique républicaine. Les plus vulgaires et les plus dangereux d’entre eux, ne cherchent d’ailleurs qu’à détruire les institutions pour régner sur un champ de ruines.

Pour moi, la République est une spiritualité, une mystique au-delà des procédures et règles écrites auxquelles nous nous soumettons pour faire un Peuple. Certains parmi ceux qui ont profané le Parlement le 12 septembre dernier ont sciemment violé le sacré, car au fond ce que nous sommes en tant que République les dérange. Ils incarnent le courant antirépublicain qui s’est emparé d’une partie des esprits et a fait irruption au sein des institutions pour les détruire.

Les Législatives de juillet dernier ont offert une nouvelle configuration au Parlement. Les forces politiques les plus représentatives sont équilibrées et propulsent dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, les rivalités dans l’espace public, parfois sans nuance ni sérieux ni mesure. La configuration de type régime parlementaire de l’Assemblée nationale confirme mes doutes sur les nombreuses propositions, notamment des Assises nationales, afin de faire de cette instance le centre d’impulsion de la vie politique nationale. Après un débat avec moi-même de plus de deux décennies je crois pouvoir trancher : je suis opposé au régime parlementaire. Il s’agit à mon avis d’un régime au grand risque crisogène car il consacre le pouvoir des appareils politiciens et des allégeances partisanes au détriment de l’intérêt national et soumet un pays au poids des alliances et des mésalliances entre gens pas toujours de haute vertu.

En France, d’où nous tirons notre modèle constitutionnel, la 5ème République a été un régime d’apaisement face à la fin tragique de la 4ème République, où les logiques de partis ont failli faire sombrer le pays dans la guerre civile sur fond de guerre en Algérie. Après la crise de 1962, Senghor a fait adopter le modèle actuel et depuis, nous n’avons plus connu d’épisode Senghor-Dia. Il ne s’agit en réalité pas d’une innovation révolutionnaire mais d’un choix d’apaisement avec l’idée de stabiliser le système démocratique. Qu’est-ce que notre système ? Un président de la République qui surplombe les partis, incarne l’unité nationale et la continuité de la République et s’inscrit dans une logique historique au détriment des querelles dérisoires qui relèvent de l’artisanerie politicienne. Notre modèle actuel n’est pas le plus pertinent certainement, mais au regard du contexte et des urgences économiques et sociales quotidiennes, il sied à notre trajectoire et à nos enjeux actuels.

Lequotidien