LEGISLATIVES, 3EME MANDAT, PAPE DIOP, IDY, YEWWI-WALLU…: Mamadou Ndoye sans langue de bois
Homme de gauche, acteur des plus grandes luttes démocratiques et progressistes et observateur averti de la scène politique, Mamadou Ndoye s’est penché, pour l’INFO, sur la situation politique et socio-économique du pays. Et l’ancien Secrétaire général de la Ligue démocratique, dans cet entretien, n’a pas mis de gants et encore moins d’œillères, pour analyser froidement et avec pertinence, les résultats des élections législatives, le nouveau rapport de force entre pouvoir et opposition, la dynamique unitaire entre Yewwi et Wallu, la transhumance de Pape Diop et avant lui Idrissa Seck qu’il n’a pas raté. La situation économique, marquée selon lui, par un effondrement des agrégats macroéconomiques et un recul qui mène le Sénégal vers la situation des années 70 à 90 a été aussi abordée par ‘’Mendoza’’.
Monsieur Ndoye, nous sortons des élections législations lors desquelles, on a constaté une forte percée de l’opposition et un net recul du pouvoir. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
D’abord, sur ce point du vocabulaire, je parlerais moins de percée que de renversement du rapport de force entre pourvoir et opposition. Pour moi, c’est donc plus qu’une percée de l’opposition. Pourquoi je le dis ? Parce que si on observe ce qui s’est passé et l’évolution des résultats des différentes consultations électorales, on se rend compte que le pouvoir est parti d’un sommet qui avoisinait à peu près les 65% des voix des électeurs, vers un niveau qui se situe aujourd’hui à 46% des voix des électeurs. Et le renversement est très clair en ce qui concerne, opposition et pouvoir. Parce que quand je parle, moi, d’opposition et de pouvoir, je parle de tous ceux qui, pendant la campagne électorale, se sont réclamés de l’opposition et ont eu les voix qu’ils ont eues grâce à leur étiquette d’opposant. Et de ce point de vue, il est tout à fait clair, qu’il y a eu un renversement. On discute beaucoup, s’il y a majorité ou pas, mais c’est clair que la majorité est pour l’opposition. C’est 83 députés contre 82 députés. C’est ça la réalité sortie des urnes ; ceux qui ont voté pour le pouvoir et ceux qui ont voté pour l’opposition.
Est-ce que vous vous attendiez à ce renversement dont vous parlez ?
Disons que ce renversement ne m’a guère surpris. Je ne voudrais pas jouer aux tartufes, en ce qu’ils disent à chaque fois qu’un évènement arrive : je le savais. Non, avant que l’avènement n’arrive, j’ai dit déjà, lors de la présidentielle, avant les législatives, que le pouvoir a perdu la majorité dans le pays. Je l’avais dit publiquement et certains journaux l’avaient repris à l’époque. Cette majorité peut ne pas être traduite électoralement, parce que pendant les élections, il y a un tas de mécanismes qui jouent et qui peuvent fausser l’expression de la volonté populaire. Je vais vous donner quelques chiffres qui éclairent ma position. Quand on prend les tendances, la première tendance qui est favorable au pouvoir est celle pour laquelle le président est directement impliqué. C’est-à-dire l’élection présidentielle de 2012, le référendum de 2016 et l’élection présidentielle de 2019. Quand on prend les résultats, on voit quelle est la tendance : 65,80% en 2012 ; 62,64% en 2016, donc on perd 3,16 points ; 58,12% en 2019, on perd 4,32 points. Dès lors, on peut prévoir ce qui va se passer en 2022 parce que le déclin, il est là. Si je prends les législatives, qu’est-ce qu’on voit : en 2012, BBY 53,6%, des voix ; en 2017, BBY 49,47% des voix, soit moins 4,16% des voix ; en 2022, BBY 46,6%, moins 3% des voix. Là aussi, le déclin est net. C’est en étudiant cette tendance baissière qui est continue, ce ne sont pas des conjonctures, ce n’est pas une évolution erratique, mais une évolution continue, que je me suis dit très clairement, qu’en 2022, il est clair qu’ils n’auront pas la majorité. Et c’est encore plus grave quand on analyse la situation. Il ne faut pas oublier que le pouvoir a tout fait pour ne pas perdre les élections. Et avec le ministère de l’Intérieur, avec la complicité du Conseil constitutionnel, ce qu’ils ont fait est totalement inacceptable. Tu prends une liste de l’opposition, tu dis qu’il y a des erreurs qui ont été commises sur la liste ; tu prends la liste du pouvoir, tu dis qu’il y a des erreurs qui ont été commises sur la liste, mais je vais sanctionner les deux. Et il y a deux graves problèmes dedans. Le premier grave problème, c’est que dans une démocratie majeure, on ne peut pas éliminer une liste de citoyens à partir de broutilles. Parce qu’on élimine une opinion de la souveraineté du peuple. C’est ça qu’on fait. Quand tu décides d’éliminer une liste quelconque, c’est-à-dire une partie du peuple, la partie du peuple qui se retrouve dans cette liste-là, tu l’empêches d’exprimer sa volonté. Je les appelle des broutilles, parce que des erreurs matérielles peuvent exister. Et partout dans le monde, on te dit : corrige l’erreur. On ne te dit pas qu’à partir de cette erreur matérielle, tu es fini ; on va te rayer. Ça n’existe pas. Ça, c’est la première gravité que les Sénégalais doivent combattre. On ne peut pas éliminer une liste sur la base d’une erreur matérielle. La deuxième gravité, c’est que, oui, ils ont fait une erreur, je vais les sanctionner, le pouvoir et l’opposition. Mais l’opposition, je vais lui couper la tête, et le pouvoir, je vais lui couper les ongles. Voilà ce que le Conseil constitutionnel a fait. Une opération cosmétique pour le pouvoir, et là-bas, on coupe la tête complétement. Et on dit qu’on a sanctionné les deux. Evidemment, la sanction du pouvoir ne sert qu’à couvrir la vraie sanction, celle contre l’opposition. Et malgré tout, comment une liste sans tête peut venir presque battre une liste qui avait sa tête ? Il y a tout cela qu’il faut prendre en considération. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un pays où les adultes sont à 54% analphabètes. Tu décides qu’il n’y aura pas de photo dans la liste, déjà tu désorientes les électeurs de cette liste. Et malgré toutes ces embuches, voilà les résultats. On aurait pu imaginer les résultats sans ces embuches. Voilà sur quoi je me fonde pour dire que je ne suis pas du tout surpris par de tels résultats.
Il n’y aura pas de cohabitation comme le voulait l’opposition. La mouvance a été renforcée par le ralliement de l’opposant Pape Diop qui lui donne une majorité confortable. Qu’en pensez-vous ?
Non, ce n’est pas une majorité confortable. Car c’est une majorité qui ne tient qu’à une seule voix. Et pour qui connait la vénalité et le manque de rigueur du personnel politique en question, il faut plutôt dire que la porte est grandement ouverte aux chantages sur Macky Sall. Et il va vivre une situation d’angoisse permanente durant cette législature, parce qu’avoir le control sur un tel personnel n’est pas évident ; et avec toutes les conséquences négatives sur la gouvernance du pays et l’accumulation de frustrations. C’est pourquoi, je pense que loin d’être un confort pour Macky Sall, cette majorité va être plutôt un souci permanant pour lui.
Et c’est pour cela que beaucoup s’attendent à des manœuvres pour débaucher le maximum de députés de l’opposition…
Il a déjà commencé, mais rien ne le sauve. Pire, même de son côté, les gens peuvent se lever pour vouloir en tirer profit. Le truc de la femme du Parti socialiste (Aïda Sow Diawara qui a dit lors de la rencontre avec le chef de l’Etat que l’opposition l’a contactée), c’est déjà un signal. Un signal pour dire à Macky Sall : attention, il faut bien nous donner quelque chose avant qu’on ne parte.
Revenons sur le cas Pape Diop qui a rejoint le groupe de la mouvance présidentielle, alors qu’il a battu campagne comme opposant…Que vous inspire cet acte ?
Je pense que nous sommes dans un pays où malheureusement, ceci est devenu pratiquement une règle pour certains politiques. C’est-à-dire que nous avons de véritables entrepreneurs politiques qui investissent sur le champ politique. Ils se rendent visibles et quand ils se rendent visibles, ils font monter les enchères et à chaque fois qu’ils voient l’opportunité de bien vendre, à bon prix, ils vendent. Ce n’est pas le premier cas malheureusement. On a eu plusieurs cas. Ce que j’en pense, c’est que d’abord, il y a deux auteurs : celui qui vend et d’un côté, celui qui qui achète d’un autre. Celui qui achète croit faire un bénéfice ; et ce bénéfice qu’il calcule est essentiellement en bénéfice électoral. Mais la réalité des faits montre que ce bénéfice ne vient pas. Et même, que c’est devenu de plus en plus contreproductif, pour l’acheteur. Et c’est une bonne réaction de la part des populations concernées. Pour celui qui est acheté, c’est la mort politique. Comme aussi les résultats des élections l’ont montré. C’est-à-dire, qu’il ne sert à plus rien, y compris pour son acheteur. Et pour l’opposition, c’est bénéfique, parce qu’il y a une clarification. Cette clarification se fait au détriment des faux opposants qui quittent la scène, pour permettre aux authentiques opposants de l’occuper et de pouvoir se renforcer. Voilà ce que m’inspire le cas Pape Diop.
Avant Pape Diop, on a vu d’autres cas, comme celui d’Idrissa Seck. Alors qu’il a toujours eu la haute main sur la ville de Thiès, il y a été battu lors des deux dernières élections. Comment analysez-vous son cas personnel ?
Idrissa Seck est l’entrepreneur politique en chef. C’est celui qui pense que la politique c’est la conquête d’un pouvoir qui vous permet d’accéder à un pactole. Et ce pactole n’est autre que les ressources publiques. Voilà comment il réfléchit en politique. Il a essayé de suivre ce chemin. Il a cru pendant longtemps ; et c’était ses ambitions, qu’il pouvait accéder au pouvoir suprême, pour avoir la main sur la totalité des ressources publiques du pays. C’était ça son objectif, mais en chemin, je ne sais pas si ses ressources d’investissement (politiques) sont épuisées ou c’est autre chose, mais toujours est-il qu’il a revu ses ambitions à la baisse. Puisqu’il ne pouvait plus avoir la totalité des ressources, il a voulu avoir au moins une partie. Et cette partie, c’est celle que lui a octroyé Macky Sall. Parce qu’il ne faut pas rechercher dans ces personnels politiques, autre chose que le calcul des ressources. Puisque les valeurs politiques, les objectifs…, quand on en parle même avec eux, ils croient que vous êtes un naïf, que vous ne comprenez rien à la politique. Parce qu’eux, leur conception de la politique n’a rien à voir avec cela.
Et cette nouvelle tendance à rejeter les transhumants, est-elle à votre avis, un signe de maturité de l’électorat sénégalais, ou il y a d’autres facteurs explicatifs ?
Il est difficile d’expliquer cela, mais je crois que la montée de la jeunesse explique beaucoup dans cette tendance au rejet des transhumants. Cette jeunesse, non seulement elle s’implique de plus en plus politiquement, mais en plus elle utilise activement les réseaux sociaux pour développer une opinion. Et l’opinion qu’elle développe est très négative vis-à-vis de ces transhumants. Et je crois qu’elle est en train de peser aussi sur les autres couches de la population. Moi c’est comme ça que je l’explique.
On a beaucoup parlé de cohabitation. Êtes-vous convaincu qu’une cohabitation aurait été une bonne chose pour le pays ?
Sur le principe, la cohabitation n’est pas mauvaise. J’allais même dire au contraire…, parce que c’est un moment où, au plus haut niveau, on est obligé à la négociation, au dialogue et à l’entente politique, au-dessus du clivage des partis. C’est cela que la pratique montre dans plusieurs parties du monde. Comment des partis opposés ont été obligés de dialoguer, de s’entendre sur la marche du pays et de mettre en avant les intérêts supérieurs du pays, pour pouvoir continuer à faire fonctionner et faire avancer le pays au-delà de leurs propres clivages politiques. Et de ce point de vue, la cohabitation ça peut être positif. Malheureusement au Sénégal, je doute dans le contexte actuel, que cela aurait été positif. Je doute, pourquoi ? Parce que d’abord, ceux sont lucides au plan politique, avaient prévu une telle situation. La Commission de réforme des institutions avait prévu la cohabitation et prévu dans la constitution, comment cette cohabitation pouvait fonctionner. Et dans les pays où c’est prévu et organisé, la cohabitation peut fonctionner. Mais Macky Sall l’a totalement rejeté ; il ne faut pas oublier cela. Il l’a rejeté au nom du pouvoir personnel du président de la République. Evidemment, quand on a une obsession aussi morbide du pouvoir personnel, en cas de cohabitation, c’est la catastrophe ; c’est le conflit perpétuel, et donc c’est le blocage du fonctionnement des institutions du pays. Et c’est pourquoi je dis que je doute fort que dans la situation actuelle, ça aurait marché.
Que pensez-vous de l’inter-coalition Yewwi-Wallu ? Est-elle une bonne trouvaille ?
Le résultat montre que c’est une bonne trouvaille. On aurait pu discuter avant, est-ce que c’est bon ou pas, mais a postériori, on ne peut plus discuter, si c’est bon ou pas, parce que le résultat a été bon. De ce point de vue, c’est indiscutablement une innovation qui a été porteuse. Maintenant quelle sera la suite ? C’est une autre question !
Justement est-ce que vous ne craignez pas une rupture avec les divergences idéologiques et autres ?
Je ne pense pas que les divergences idéologiques soient de nature à créer une rupture. Par contre, je pense que les égos personnels, dans la situation actuelle, peuvent être de nature justement, à provoquer un conflit au sein de l’inter-coalition. Mais moi j’ai de l’espoir. J’ai de l’espoir, parce que je suis toujours optimiste en ce qui concerne l’aspiration du peuple au changement. Or cette aspiration du peuple au changement passe par l’union des forces de l’opposition. Et je crois aussi que les forces politiques engagées savent chacune, qu’à elle seule, elle n’est pas capable de faire le changement. Si cette conscience est bien partagée, j’espère que les leaders sauront trouver des modalités pour pouvoir rester ensemble en dépit de la nécessaire compétition ; parce qu’il y aura la compétition qui sera là. Mais dans la pire compétition, on peut trouver un champ d’entente qui permette à l’issue de la compétition, de pouvoir se retrouver. Par exemple, que tous les candidats y aillent, ça peut même faire de la force, mais tout le monde est d’accord qu’on va se réunir autour de celui qui sera sélectionné pour le second tour.
Même au sein de Yewwi askan wi, c’est cette option qui a été retenue…
Et ce n’est pas mauvais ! Parce qu’Il ne faut pas oublier une chose ; les Sénégalais l’oublient très souvent. Le parrainage, Macky Sall l’a imaginé pour ne pas aller au second tour. Il ne faut pas oublier cela. Il a imaginé le parrainage pour empêcher une multitude de candidatures de l’opposition qui captent autant de voix et l’amènent au second tour. Le parrainage, son but essentiel, du point de vue du pouvoir, était ça. C’est de faire ce barrage. Malheureusement, et ça ils ne l’ont pas compris aussi, autant ça a été favorable pour la présidentielle, autant c’est défavorable pour les législatives. Parce que pour les législatives, c’est précisément le manque de dispersion de l’opposition, qui lui permet de gagner des départements qu’elle n’aurait jamais gagné avec la dispersion des forces. Et donc c’est le contraire que le parrainage a produit au moment des législatives.
Recevant les députés de BBY le week-end dernier, le chef de l’Etat aurait déclaré qu’il veut avoir des ministres, Dg et autres, qui descendent sur le terrain pour défendre son bilan et contrecarrer les manipulations de l’opposition. Qu’en dites-vous ?
Cette déclaration réduit la lutte politique à la communication. Ce qui est une courte vue. La communication est importante. Elle peut valoriser des réalisations et des résultats. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais il y a aussi le vécu quotidien. Tu ne peux pas convaincre quelqu’un qui ne mange pas à sa faim, qu’il mange à sa faim. Tu ne peux convaincre quelqu’un qui va à l’hôpital et qui ne trouve pas de place, ou trouve que tel appareil ne marche pas, que le système de santé est bon. On ne peut pas réduire tout cela à la communication. Et c’est très mauvais aussi, de prendre le personnel de l’Etat et de l’engager dans les polémiques politiciennes, parce que le personnel de l’Etat, c’est l’image du service public. Dès lors que tu l’engages dans les polémiques politiciennes, ça signifie qu’un ministre n’est plus respecté comme un ministre. Il est un polémiste comme un autre. Et ça aussi, c’est même dangereux pour l’image de l’Etat. Et c’est contreproductif encore par rapport aux objectifs. Mais aujourd’hui, puisqu’il cherche désespérément des solutions, il pense que ces solutions sont dans la polémique. Il se trompe terriblement.
Pour beaucoup, ces propos entrent dans le cadre de la volonté prêtée à Macky Sall de briguer un 3ème mandat…
Je pense qu’il y a plusieurs choses. D’abord sur les intentions de Macky, comme j’ai l’habitude de le dire, personne ne peut aller chercher ce qui est derrière la tête de quelqu’un, personne. Parce que comme le disait le dicton, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Cela veut dire qu’on peut avoir dans la tête quelque chose de bon, mais que les actes qu’on pose sont mauvais. C’est pourquoi, moi, je ne cherche jamais les intentions, je cherche les actes que pose le président de la République. Et depuis son ni oui ni non, tous les actes qu’il a posés, vont dans le sens d’une 3ème candidature. C’est-à-dire les sanctions contre ceux qui disaient qu’il ne pouvait pas avoir un 3ème mandat. Ceux qui disent qu’il peut avoir un 3ème mandat au contraire, ne sont pas sanctionnés et même sont récompensés. Ensuite, il y a la position officielle du Sénégal au niveau de la Cedeao, sur le 3ème mandat. Enfin, il y a tout un ensemble de choses qui montrent des actes allant dans ce sens. Mais le problème, c’est est-ce qu’il le peut. En droit, je crois que la discussion est très claire. Malgré les juges de service, il ne le peut pas en droit. Mais surtout, il ne le peut pas politiquement. Et ce qu’il risque, je veux dire s’il force, c’est la sortie d’Abdoulaye Wade, tout le monde sait comment il est sorti du pouvoir ; ou bien la sortie de Blaise Compaoré, tout le monde sait qu’il a forcé son 3ème mandat pour que la population vienne physiquement le chasser du palais ; ou enfin, la sortie d’Alpha Condé, qui est encore pire pour le Sénégal. Ce que je veux dire, c’est que dans tous les cas, une 3ème candidature est mauvaise pour sa sortie. Est-ce que ça il le comprendra ou pas, toute la question est là.
Vous êtes un homme de gauche. Aujourd’hui, que vous inspire la situation des partis de gauche qui se sont perdu quasiment au sein de la mouvance présidentielle ?
Dison la situation de l’ancienne gauche sénégalaise. Parce que la gauche, c’est un engagement, c’est des valeurs. Et les camarades qui se sont retrouvés dans cette situation, ont fait montre d’un grand engagement d’un attachement aux valeurs et se sont sacrifiés dans des luttes ; ça il faut le leur reconnaitre. Maintenant, quelle situation les a amenés à descendre de leur camp pour monter dans un autre camp, je ne le sais pas, et je ne le comprends pas. Mais ce que je sais et c’est valable pour l’ensemble des partis de BBY, c’est que c’est le choix d’une mort politique. Ce n’est pas l’alliance en tant que telle qui est le choix d’une mort politique, contrairement à ce qu’ils font croire que les gens ne veulent pas d’une alliance. Les gens veulent d’une alliance, y compris avec le diable, mais pour quel objectif ? Le problème, c’est pour quel objectif. De ce point de vue, quelle que soit l’alliance, si vous acceptez de perdre votre identité politique, vous acceptez en même temps de mourir politiquement. Aujourd’hui, qui les entend exprimer les valeurs de la gauche au sein de l’alliance ? Qui les entend prendre des positions pour le peuple au sein de l’alliance ? Qui les entend se réclamer des valeurs pour lesquelles ils ont toujours lutté ? Dès lors que tu perds tout ça, tu n’existes plus politiquement. Et tous les partis qui sont dans BBY en font l’amère expérience, y compris des partis plus étoffés à l’époque que ces partis de gauche. Qu’est-ce que c’est l’Afp et le Ps aujourd’hui ? Regardez comment on les a réduit au niveau de la représentation de l’Assemblée nationale ! Ils n’y sont rien du tout aujourd’hui. Et je ne dis pas au sein de la population, parce que la population ne les voit plus et ne les entend plus en tant que parti. Voilà le problème de fond. Je ne sais pas eux-mêmes, comment ils voient la manière de sortir de cette situation.
Aujourd’hui, la situation socio-économique du pays est de plus en plus tendue. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que nous allons être confrontés à des difficultés majeures. Premièrement, les agrégats macroéconomiques sont en train de s’effondrer dans le pays. On regarde aujourd’hui la dette d’une part et d’autre part le déficit que nous avons, c’est clair que de plus en plus, nous allons vers le bas. Et ça risque de nous ramener au milieu des années 1970 à 1990. Une période où le taux de croissance économique était inférieur au taux de croissance démographique ; et donc nécessairement à l’appauvrissement du pays et surtout, la chute du PIB par habitant. Déjà, nous sommes dans une situation qui est délicate. Si ça s’effondre encore plus…et on ne voit pas comment l’arrêter, parce que les pays qui pourraient nous aider sont eux-mêmes dans des difficultés. Dans une situation comme ça, le pouvoir aurait dû commencer vraiment à concentrer les énergies et les réflexions sur comment résoudre ces questions qui sont des questions vitales pour les populations, mais malheureusement, au lieu de cela, vous avez vu dans quoi s’engage aujourd’hui le pouvoir politique.
Entretien réalisé par Mbaye THIANDOUM