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Femi Kuti, portrait de famille

Dans son nouveau disque, One People, One world, Femi Kuti dénonce une fois de plus la corruption et envoie un message d’unité. À 55 ans, le fils aîné de Fela Anikulapo Kuti a canalisé sa colère, devenant à son tour un chef de clan. Celui qui a repris le flambeau du Shrine, le club mythique de son père, nous a longuement parlé depuis Lagos de son combat personnel pour demeurer un chef de file de l’afrobeat.

RFI Musique : Vous ouvrez cet album par le titre Africa will be great again. Qu’est-ce qu’être africain, aujourd’hui, pour vous ? Est-ce que cela signifie être panafricaniste, dans la tradition de votre famille ?
Femi Kuti : La réalité est que je préfère parler des enjeux globaux. Quand je parle de l’Afrique, c’est que je vois la douleur ici depuis longtemps, parce que je vis ici. Être africain signifie pour moi, aimer mon nom, ma culture, mon langage. Il nous faut comprendre ce que l’esclavage a fait de l’Afrique. Il y a eu une traite d’esclaves transsaharienne et il y a eu une traite transatlantique. Je vais vous donner un exemple très simple : très peu d’Africains aujourd’hui rêvent dans leur propre langage, même moi. Je pense, je rêve, je parle en anglais. Mon esprit a été déraciné. Les Africains doivent retrouver leur identité en revenant à leurs racines. Ce qui ne signifie pas seulement revenir en Afrique, mais embrasser à nouveau tout ce qu’est l’Afrique.

Aussi bien politiquement que musicalement, comment composez-vous avec l’héritage de Fela aujourd’hui ?
C’est très simple, je suis en paix avec moi-même. C’est très facile pour moi maintenant de faire avec beaucoup de choses. Vous savez, je me suis mis à la trompette il y a douze ans. Je voulais jouer de la trompette pour être plus militant, parce que j’étais très en colère à cause de beaucoup de choses qui m’entouraient, et la trompette m’a calmé. Le son militaire, la ligne dure que je voulais avoir, la trompette m’a apporté le contraire. Je crois que cet instrument m’a amené à plus de sagesse. Elle a fait de moi quelqu’un de plus réfléchi. Mon approche aujourd’hui est très diplomate, avec beaucoup de recul.

Mais est-ce que cela a toujours été facile de se détacher d’une figure aussi imposante que celle de votre père ?
J’espère qu’avec chaque album, je montre d’autres visions de l’afrobeat. Je veille à que ce ne soit pas monotone, que cela traduise mes convictions et ce que je suis en tant que personne. Le jour où j’ai quitté l’orchestre de mon père, je voulais être Femi Anikulapo Kuti. Je voulais être aimé pour ce que je suis. Faire les mêmes choses aurait été très facile pour moi. Quand je jouais au sein de l’Egypt 80, c’est ce que je faisais, mais je ne pouvais pas ressentir par moi-même. Je n’avais pas d’âme. Je suis parti pour explorer et me trouver. Je serai toujours à l’avant-garde de l’afrobeat. Cela a pris longtemps pour que le monde comprenne ce que je voulais faire. Mais aujourd’hui, je suis satisfait. Il y a trente ans, personne ne voulait m’entendre au Nigeria, mais aujourd’hui, les gens apprécient ce que je fais. C’est en Europe et aux États-Unis que l’industrie m’a laissé ma chance, cela m’a permis de grandir.

Par rapport aux orchestres de votre père, l’Africa 70 et l’Egypt 80, comment définissez-vous le son de votre groupe, le Positive Force ? Et comment a-t-il évolué ?
Parce que j’ai connu l’Africa 70 enfant, j’ai grandi en jouant au sein de l’Egypt 80. J’ai compris que je devais avoir mon propre son. Ce que j’ai fait, c’est de répondre par ma créativité pour amener l’afrobeat dans une autre dimension. Cela porte sur les tempos, sur la richesse des cuivres. J’ai capitalisé sur ma compréhension des sections de cuivres, pour apporter des lignes très dynamiques, des riffs de trompettes et de saxophone. Aussi, j’ai utilisé l’orgue à contre-courant, non pas pour les riffs, mais pour que les gens aient une meilleure lecture des riddims.

Vous dîtes qu’il est mieux de vivre « du bon côté des choses » ? Que voulez-vous dire par là ?
Je parle de la façon d’être dans le morceau Best to live on the good side. Dans tout ce qu’on fait, on doit prendre le parti de la justesse. On doit penser au fait qu’on est des êtres humains, avant tout. Ce n’est pas correct de mal considérer les femmes et les hommes. Dans ma vie quotidienne, être du bon côté de la barrière, c’est être là pour mes enfants. Faire en sorte que le Shrine marche, composer de la bonne musique. Avoir une meilleure âme chaque jour et en rendre compte, musicalement. Bien sûr, il ne s’agit pas négliger les problèmes sociaux que je vois. Mais je serai toujours là pour les gens autour de moi. Il n’y a rien de plus important que ma famille. Quand mes enfants me disent, « Papa, je t’aime », je fonds. J’aime leur donner de l’amour en retour, qu’ils me prennent dans les bras. Comme musicien, je suis parfois loin pendant trop longtemps, et c’est très dur. Quand je reviens, j’essaie donc de passer tout mon temps avec eux.

Toujours au sein de votre famille, il y avait bien sûr votre père. Mais quelles personnes ont été les plus importantes pour vous ? Vos grands-mères, votre mère, Remi, ou vos deux sœurs, Yeni et Sola?
(Très ému) Ouah ! Ma mère et mes sœurs, je crois. Mon père était là, tout le monde le connaissait, et il était un père pour tout le monde. Mais quand j’ai quitté mon père, ma colonne vertébrale a été ma mère. Elle m’a aidé grâce à son amour et ses prières. Avec mes sœurs, nous avions commencé le Positive Force ensemble, avant le décès de ma plus jeune sœur (1). Je ne faisais rien sans leur demander conseil. Je crois que c’était important pour moi de devenir un homme, parce que j’avais une attitude très agressive. Généralement, les hommes sont en colère et les femmes sont de belles penseuses. Ma mère avait ce karma. Je n’ai jamais été d’accord avec elle, mais je trouvais que ses réponses étaient bonnes. Donc, j’ai commencé à les écouter, à prendre des conseils. Ce n’est pas que j’étais dans le faux, mais c’est juste que j’étais trop en colère. Je crois que les femmes ont joué un très grand rôle dans ce que je suis aujourd’hui.

(1) La sœur cadette de Femi, Sola Anikulapo Kuti (1963 – 1997) est morte la même année que Fela d’un cancer. Sur le disque Fight to win (2001), la chanson 97 revient sur cet épisode douloureux.
( Avec rfi.fr )