CHRONIQUE DE MAME GOR NGOM : Les logiques de la terreur
Trois morts à Dakar, à Bignona et à Ziguinchor! Ce n’est pas un accident qui, selon Le Robert, est un
évènement imprévu et soudain qui entraîne des dégâts. Il met en danger. Ce n’est pas une
négligence, un manque de soin, d’application dans l’exécution d’une tâche. Ou cette faute non
intentionnelle résultant de ce manque de soin ou de ce manque de vigilance (Larousse), à l’image du
drame récent à l’hôpital Mame Abdoul Aziz Dabakh de Tivaouane avec la mort de ces onze nouveau-
nés sur nos consciences balafrées. Le vendredi 17 juin 2022, il s’agissait plutôt d’une passion
excessive. Plus que de la négligence ou d’un accident. C’était une folie, une outrecuidance. Et la
démocratie sénégalaise s’en trouve encore atteinte. Une manifestation interdite qui pourtant,
pouvait être autorisée pour que les manifestants qui s’étaient réunis 10 jours auparavant à la même
Place de la Nation, à la même heure, puissent y retourner tranquillement, tenir leurs discours,
applaudir, s’enrager, dénoncer, rouspéter et partir sans qu’on assiste à des empoignades futiles.
L’autorité n’a donc pas voulu permettre à des opposants de s’exprimer librement dans les rues. Elle
a utilisé tous les moyens pour faire face. Un dispositif impressionnant pour contenir une foule, une
débauche d’énergie extraordinaire pour justifier l’interdiction.
C’est d’abord le gouverneur qui sort
un communiqué avec de vagues explications sur le code électoral, une sorte de cours magistral sur la
propagande. En réalité, il ne faisait que rappeler, ce que rappelle souvent le Conseil national pour la
régularisation de l’audiovisuel (Cnra) en pareilles circonstances préélectorales. Ensuite, le préfet a
naturellement suivi son supérieur hiérarchique qui dépend lui-même d’un ministre de l’Intérieur en
contentieux avec une opposition qui le qualifie d’injuste juge et acteur. Dés lors, le recours contre
l’interdiction devant la Cour suprême ne pouvait pas aboutir. Entre une volonté ferme de battre le
macadam et une détermination sans commune mesure de stopper toute velléité de contestations, le
clash était inévitable.
Le choc des extrêmes. La suite de l’histoire douloureuse est connue. Un état de
siège au domicile du principal leader qui exploite avec beaucoup d’opportunisme des moments de
communication en se mettant en exergue et en exposant les maladresses de ceux qui sont à l’origine
de ces décisions comme celle-là empêchant quelqu’un d’aller se rendre à la mosquée. Les
arrestations des autres leaders, leur poursuite jusque chez eux ont été des faits remarquables qui ont
rempli le vase qui a débordé et s’est déversé dans les rues de Dakar et de Ziguinchor, deux grandes
villes symboliquement chargées. Le pouvoir est « droit dans ses bottes », pour reprendre une
expression fort usitée dans les quotidiens du week-end, l’opposition qui a bien senti le danger, n’a
aucunement voulu faire marche arrière. Aucun signe, aucune voix pour décourager des jeunes
gonflés à bloc par les événements, les retentissements notés la matinée durant. La guerre des égos
qui a fait rage a pour champ de bataille des rues en feu et en flammes. Des grenades lacrymogènes
contre des jets de pierres. Des barricades, des pneus brûlés, des voitures de la police en trombe.
Chacun a son arme. Il y a eu des larmes. Des cris de guerre. Des blessés. Pire, des morts.
Faim et fête…
Si l’on sait que cette atmosphère rappelle à bien des égards celle de 2011-2012 avec la décision de
Me Abdoulaye Wade de se renier et de briguer une troisième candidature. Cette séquence
particulièrement éprouvante a été vécue dans la douleur. Onze morts ont été décomptés, beaucoup
de blessés et des blessures infligées à la démocratie qui garde toujours les stigmates de cette période
du « wax waxeet ».
Nous qui croyions, que ces postures « déconsolidantes » étaient passées d’époque, étions si naïfs. Ici,
les acteurs politiques ne peuvent même pas tomber d’accord sur des règles du jeu. Ceux qui avaient
promu la rupture, ont déçu.
Le peuple qui observe ces petites querelles, aimerait que ses préoccupations soient prises en
compte. Au village, c’est la faim en attendant une saison des pluies sans semences, sans engrais. En
ville, certains vivent dans la psychose d’éventuelles inondations. Presque tous les prix des denrées de
première nécessité sont en hausse. Beaucoup de commerçants accusent à raison et beaucoup à tort
la guerre en Ukraine d’être à l’origine de ces hausses. L’Etat est désarmé devant ces spéculations. Le
pouvoir semble oublié que l’embargo contre le Mali est un drame sénégalais. La fête de la Tabaski
arrive à grands pas. Le mouton malien qui faisait l’affaire de beaucoup de nos compatriotes, se fera
désirer. En attendant, nous n’avons pas encore ni le cœur ni la tête à la fête, même si You a explosé
Bercy.
Mame Gor Ngom (L’INFO)