Leçons et défis d’une crise (Par Abdou Fall)
Dans le contexte d’une troisième vague marquée par l’apparition du variant delta qui a secoué le monde entier, notre pays est resté debout pour contenir la crise du coronavirus en mode gestion solidaire, réfléchie, sereine et efficace.
Et en décidant récemment de prendre à bras le corps la fourniture gratuite de l’oxygène dans les structures de soins, du public comme du privé, le Président de la République confirme son option de faire de la lutte contre cette pandémie un chantier Présidentiel de tout premier ordre.
Le Président Macky Sall demeure en effet constant et déterminé dans la voie de la matérialisation du plan d’action prioritaire ajustée et accélérée (Pap2A) qui place la souveraineté sanitaire au rang de sur-priorité dans notre stratégie nationale de résilience et de riposte face à la covid 19 et de relance de notre économie.
C’est là une décision capitale qui soulage les personnels de santé, les patients et leurs familles de la pression insoutenable d’une disponibilité à peine garantie de ce produit essentiel dans la prise en charge des cas sévères de malades du corona en situation de détresse respiratoire.
En levant cette contrainte majeure qui permet d’éloigner du quotidien des personnels soignants le spectacle insupportable de ces patients en peine respiratoire, un défi important vient d’être relevé par le Président de la République et son gouvernement. Celui de réaliser la souveraineté sanitaire du Sénégal qui, rappelons le, comporte à la fois des enjeux de solidarité, de dignité et de sécurité pour notre peuple et notre nation.
Car il convient de toujours garder à l’esprit que le propre des questions de santé publique, c’est précisément de renvoyer, dans certaines circonstances, à des enjeux de sécurité nationale en ce qu’elles exposent à des risques de périls les plus précieuses ressources de la nation, à savoir les femmes, les enfants et les hommes qui la composent.
C’est de ce point de vue qu’il est capital que le vaste et bel élan de mobilisation nationale et de solidarité que notre pays a réussi à la faveur de cette crise soit sauvegardé comme un acquis extrêmement important qu’il va falloir continuer de gérer avec sérieux, lucidité et responsabilité.
La pression reste cependant forte sur les structures sanitaires car la variante delta, par sa plus grande contagiosité par rapport aux deux premières qu’on a connues, occasionne une forte poussée des cas communautaires, sans que cela impacte pour autant de façon significative sur le taux de mortalité lié au coronavirus qui reste dans les limites des 1,2 % correspondant au taux moyen de létalité des grippes saisonnières courantes dans notre pays.
Il est toutefois indispensable, pour renverser cette tendance, que les structures de soins soient mises dans les conditions optimales de prise en charge des demandes et besoins autant pour la vaccination des citoyens que le traitement des malades.
En même temps, tous les services concernés de l’état doivent continuer d’accorder une attention toute particulière aux relations professionnelles dans le secteur, notamment sur les sujets majeurs de protection et de motivation de toutes les catégories de personnels parmi lesquels ceux qui sont au quotidien au chevet des malades dans les centres de traitement des épidémies.
Si nous nous accordons pour convenir que toute nation attachée à sa souveraineté doit être maître de son « économie de vie » l’expérience actuelle de la crise du coronavirus nous interpelle sur la réalité objective du monde qui est le nôtre.
Cette crise révèle de manière on ne peut plus claire notre communauté de destin avec le reste du monde; il n’ en reste pas moins toutefois que le réflexe du repli sur soi aura été la règle dans presque tous les pays. Ceci se vérifie largement dans les options de nationalisme sanitaire et vaccinal qui ont prévalu dans les pays riches ou émergents dont les laboratoires ont mis au point les premiers vaccins aujourd’hui disponibles sur le marché.
L’on se souvient que le Président Macky Sall avait sonné l alerte depuis longtemps en invitant à ce que la justice prévale dans les modalités d’accès aux vaccins ; Mais il faut se rendre à l’évidence, l’appel n’a pas été entendu. Les égoïsmes nationaux sont presque partout la règle.
Les apports du mécanisme international covax de l’organisation mondiale de la santé (OMS), sans être négligeables, n’en sont pas moins résiduels. L’Afrique n’a aujourd’hui d’autre choix que de prendre ses responsabilités en main pour faire face à cette demande essentielle en vaccins qui constituent la seule réponse pertinente et durable face au virus du corona.
Il convient de souligner à cet égard que sur les 4 milliards de doses de vaccins injectées à travers le monde, le continent africain peine encore à franchir le cap des 100 millions ; 1, 2% de la population africaine ont pour l instant accès au vaccin anti covid au moment où plusieurs pays à travers les autres continents ont atteint des taux de vaccinations de 60 à 70 % de leur population, ce qui les rapproche à grands pas de l’objectif de l’immunité collective.
Le Sénégal, sous ce rapport, est dans le lot respectable des 6 nations africaines engagées dans un programme de mise au point de vaccins anti covid. Estimé à un investissement de 130 milliards de CFA, ce programme monte’ en association avec des partenaires stratégiques, s’appuie sur notre expérience et notre savoir faire établis de production, depuis des décennies, du vaccin contre la fièvre jaune.
La nouvelle usine de production de vaccins prévue pour être installée à Diamniadio devrait fournir 25 millions de doses à notre pays dans le courant de l’année 2022.
Il serait peut-être indiqué que le Président Macky Sall qui s est distingué parmi ses pairs du continent dans des appels constants à des stratégies collectives de riposte face à la crise sans précédent du coronavirus reprenne encore l’initiative sur ce sujet majeur de la mutualisation des efforts de recherche à l échelle de notre sous-région et du continent à travers, les universités et instituts de recherche et en coordination notamment, avec l’organisation ouest africaine de la santé ( OAS ) et les centres africains de contrôle et de Prévention des maladies (CDC/Africa ) de l’Union africaine.
Nous sommes d’autant plus à l’aise sur ces sujets que la crise du coronavirus a permis de mettre en évidence les énormes capacités d’innovations et d’invention de des chercheurs africains qui rivalisent de créativité avec les start up du monde entier.
Parmi un millier d’innovations technologiques mis au point dans le cadre de la lutte contre la covid et recensées par l’ OMS, 120 parmi celles ci, représentant 12, 8 ,% des ouvrages sélectionnés ont été produits par des jeunes Africains qui se sont révélés particulièrement doués sur le digital.
C’est l’occasion d’inviter les états, les investisseurs et industriels du continent à travailler sérieusement sur des projets de promotion industrielle de ces innovations technologiques.
La sagesse nous apprend en effet que « Seul, on va vite. Mais ensemble, on va loin ».
Le réalisme commande cependant de mettre l accent pour l instant sur nos stratégies nationales de riposte.
Sous ce rapport, le moment est peut-être venu de lancer un appel au secteur privé national et africain pour que le chantier de l’industrie du médicament soit investi avec force quand on sait que ce secteur de l’industrie africaine est loin de couvrir 1/ 5 de la demande et des besoins en produits et consommables médicaux.
C’est là aussi une condition essentielle de notre souveraineté sanitaire. Or sur ce plan, notre retard est manifeste . Ceci est d’autant plus regrettable que nous disposons largement de tout le potentiel technique, scientifique et en ressources naturelles et matières premières pour non seulement être autosuffisant en médicaments génériques, en consommables et équipements de base, mais pour l’exploitation optimale des énormes possibilités de nos plantes médicinales qui ont fait depuis des millénaires la preuve de leurs vertus préventives et curatives.
C’est le moment, sous ce rapport, de réinscrire sur l’agenda de notre parlement le texte de loi sur la médecine traditionnelle dont l’adoption définitive va ouvrir de nouvelles perspectives dans nos offres de soins aux côtés du service public et d’une médecine libérale en plein essor.
Les progrès notés enfin dans l’éveil de la conscience sanitaire des citoyens face à la covid trouveraient également un intérêt à être mis à contribution pour la promotion de la santé et du capital santé dont la sauvegarde devra désormais être inscrite dans le quotidien des citoyens, des familles et des communautés.
Sous l’impulsion des pouvoirs publics et des personnels de santé, notre pays a enregistré une mobilisation citoyenne exceptionnelle depuis le déclenchement de la crise du coronavirus.
Avec le soutien des autorités religieuses et coutumières, de la société et des médias, de fortes dynamiques de prise en charge communautaires de l épidémie ont été déployées à l’échelle des territoires.
L’État du Sénégal a mis en oeuvre des programmes hardies de solidarité en faveur de toutes les groupes impactés par l’épidémie. Qu il s’agisse de groupes sociaux vulnérables en milieu rural, peri-urbain et urbain, des employés et des entreprises de tous les secteurs industriels et de services dont les activités ont été ralenties ou suspendues.
Ces importants efforts de solidarité nationale déployés sous la houlette de l état ont été par ailleurs relayés à l’échelles des communautés à travers des reseaux de solidarité horizontale de grande portée sociale.
Cet élan magnifique devra été poursuivi et amplifié dans le cadre notamment de la campagne nationale de vaccination et de respect des gestes barrières dont les résultats sont certes probants, mais gagnent à être consolidés. Nos guides religieux et leaders communautaires y ont encore un grand rôle à jouer.
Si l’état s acharne en effet à garantir aux citoyens un service de santé de qualité en se soumettant à des efforts budgétaires exceptionnels, il doit être attendu de chacun et de tous un engagement individuel et collectif tout aussi déterminé dans la prise en charge de notre capital santé qui est la ressource première qui conditionne toute activité humaine.
Souveraineté sanitaire, sécurité sanitaire et conscience sanitaire sont en effet les trois défis que nous avons le devoir de relever ensemble dans la solidarité et la co-responsabilite.
Notre monde est à la croisée des chemins. Au moment où les nations se projettent sur les grandes recompositions en gestation, l’Afrique aurait tort de rester en marge des débats sur les réponses aux défis de notre époque au rang desquels les questions de santé publique vont occuper de l’avis de tous les experts une place de plus en plus importante parmi les grands sujets du siècle naissant.
Abdou FallAncien Président du Conseil d’administration de Apix.sa