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PR MOUSSA DIAW : ‘’La consigne de Macky ne sera pas respectée à l’Apr à plus forte raison à BBY’’

Les menaces et autres mises en garde du président Macky Sall quant à la constitution de listes parallèles lors des locales à venir, semblent produire les effets inverses au vu de la vague de réactions de ses militants et lieutenants. Selon l’enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, la consigne de Macky Sall ne sera même pas respectée au sein de l’Apr, à plus forte raison à Benno bokk yaakaar ?

Quelle lecture faites-vous de la situation à l’Alliance pour la République où certains responsables font fi des menaces du président de la République et restent catégorique sur leurs candidatures aux locales ?

Oui le Président de la République avait brandi une menace, mais cette interdiction de présenter des listes parallèles ne sera pas respectée, compte tenu des enjeux. Parce qu’il y a des enjeux importants derrière. Ces élections municipales et départementales n’ont pas les mêmes enjeux que les Législatives, c’est différent. Cela se passe au niveau local avec des réalités locales. Les candidats ont des relations avec les citoyens, avec la commune. Ils ont des liens de présence et de participation à toutes les activités de la commune qui concernent les citoyens en période de joie et de détresse. Il y a des maires qui sont souvent présents et qui sont appréciés au sein de la commune. Ces maires n’accepteront jamais que des candidatures soient parachutées, par exemple qu’un ministre qui a le soutien du président de la République et qui bénéficie d’un certain nombre de privilèges, vient bousculer les rapports de force au niveau local. Ça, ils ne l’accepteront pas, même s’il y a une politesse dans les réactions. C’est le cas par exemple de Abdoulaye Wilane à Kaffrine. Par respect, il accepte que le président de la République donne des directives, mais on verra sa réaction par rapport à ses projets, ses relations sur le terrain au niveau local. Donc il peut réagir différemment par rapport aux enjeux. Ce qui nous fait dire que la consigne ne va pas être respectée au sein même de l’Alliance pour la République, à plus forte raison au niveau de la coalition où il y a des enjeux de parti. C’est le cas à Kaffrine où il n’est pas sûr que le Ps accepte que Wilane soit sacrifié pour introniser quelqu’un de l’Apr. C’est un rapport de force au niveau local et ça m’étonnerait que le Ps cède à ce niveau.

Mais est ce que le même problème se pose au sein du parti présidentiel ?

Oui, de l’autre côté, à l’intérieur même de l’Apr, on a le cas de Saint-Louis, entre le beau-frère du président de la République qui est le maire sortant, et Mary Teuw Niane qui déclare et réaffirme sa détermination à maintenir sa candidature. Cela veut dire qu’on va avoir des empoignades à l’intérieur même de l’Apr. Et comment le président va se déterminer par rapport à cela ? Comment va-t-il gérer cette situation. Macky Sall a complètement changé de discours. Puisqu’avant, lors des élections locales passées, il avait dit que ça ne le regardait pas, parce qu’il s’agissait de questions locales. Maintenant il s’implique davantage. Cela veut dire que s’il y a des échecs, c’est quelque part sa défaite. Parce qu’au niveau de son parti, il n’a pas su structurer l’Apr au point qu’il y a des départements où on peut trouver plusieurs leaders. C’est le cas aux Parcelles assainies où plusieurs leaders appartenant au même parti, qui sont en train de rivaliser et il va y avoir une guerre interne, même si de manière superficielle, on affiche une certaine entente précaire. Mais quand les vrais enjeux vont se poser, il va y avoir des rivalités, parce que certains pensent qu’ils s’inscrivent dans la durée et qu’ils ne vont pas seulement en 2024, mais ils pensent à l’après 2024. Pour eux, c’est important de se positionner maintenant, parce qu’il y a des enjeux. Il va y avoir des rivalités au niveau local et cela, le président n’y a pas tenu compte.

Cette situation, ne risque-t-il pas de faire désordre et de perdre l’Apr ?

Oui bien sûr. Ces effets sont attendus. Des fissures peuvent apparaitre au sein de la coalition Benno bokk yaakaar. A l’intérieur même du parti, il peut y avoir des dissentions internes. Au moment de faire les choix, ce sera difficile de convaincre certains leaders de se désister au profit d’autres, d’autant plus que les uns et les autres ont des ambitions et ils ne se laisseront pas faire. Cela va posera des problèmes au niveau de sa coalition et de son parti.

En 2014, les fortes rivalités entre responsables locaux apéristes avaient favorisé par exemple le socialiste Bamba Fall à la Médina. Ne risque-t-on pas de vivre le même scénario ?

Cette pluralité de candidatures a effectivement favorisé Bamba Fall. On risque d’assister à cette même situation. On risque de l’avoir à Saint-Louis, aux Parcelles Assainies, tout comme dans d’autres localités du pays. C’est ça justement le risque, si le président continue de s’impliquer dans le jeu local. Cela peut avoir des effets néfastes pour sa coalition. Je pense qu’il est bien conscient de cela. Il doit peut-être adopter une attitude mesurée pour pouvoir trouver des consensus. Il sera très difficile de le faire en ce moment, compte tenu des enjeux importants qui se déroulent au niveau local.

Est-ce que le Président Macky Sall, en perspective de ces élections, peut aujourd’hui calmer le jeu ?

Oui ! De toute façon, il a encore les cartes en main. C’est lui le chef du parti, responsable de la coalition, président de la République. Il dispose encore de ressources lui permettant de jouer l’équilibriste. Mais ce sera très difficile, ce sera un teste grandeur nature et c’est aux responsables politiques de se déterminer. Il peut arriver à convaincre certains, mais d’autres résisteront. Que va-t-il faire par rapport à certaines résistances, notamment à Grand Yoff comme son beau-frère qui décide de maintenir sa candidature, quelle que soit la situation, même à l’encore de la décision de son parti. Cela veut dire qu’il y aura des listes parallèles et d’autres coalitions et ça, c’est bien sûr au détriment de son parti. Des dissentions pourront apparaitre à court terme.

Comment appréhendez-vous la situation au niveau de Thiès ?

Thiès aussi est un enjeu important. Ce n’est pas sûr que Idrissa Seck gagne confortablement là-bas. Ce n’est pas donné, parce que beaucoup de gens sont mécontents du fait qu’il ait d’abord cédé la mairie à quelqu’un d’autre extérieur à son parti. Ensuite Idrissa Seck a fait beaucoup d’erreurs de gestion dans sa gouvernance. Et Thiès constitue un enjeu important. Non seulement Rewmi est là, mais il y a des leaders de l’Apr qui se positionnent déjà. Il y a le Pastef aussi qui viendra bousculer les rapports de force. Cela veut dire que la bataille va être très rangée entre les différents leaders et on verra comment les citoyens vont déterminer le jeu politique en fonction de leurs intérêts. Cela justement, est très important, puisque la carte sera entre les mains des citoyens, c’est à eux de se déterminer, en fonction des projets pour lesquels ils s’identifient et qui constituent pour eux, une avancée pour améliorer leurs conditions de vie.

Et Benno bokk yaakaar dans tout cela. Ne met-elle pas en jeu son unité et sa cohésion en perspective de ces joutes ?

C’est encore un second test. Les risques de fissures sont bien là présents. Cela dépend de la capacité du président de la République à jouer l’équilibriste, à récompenser les uns et les autres, à faire des promesses de postes juteux. Comme le jeu politique fonctionne de cette façon, il a une marge de manœuvre, d’autant qu’il a la possibilité de jouer sur les ressources et sur la capacité de nommer des personnalités politiques et à des fonctions. C’est ça son atout, comme on sait qu’ici, les convictions sont très fébriles et que le jeu se fait à travers des postes de récompense. C’est pourquoi il peut y avoir une fragilité dans les positions que l’on affiche comme ça et qu’on soumet. Les gens font des pressions pour avoir une contrepartie consistante. C’est ça aussi le jeu politique en Afrique. 

L’info