NECROLOGIE : Lettre posthume à Mamoune Mbacke
HOMMAGE : Ta mort brutale sur l’une des dangereuses routes de notre pays, à l’entrée de la ville de Khombole, non loin de celle de nos ancêtres communs, Gawane, où tu avais fais ériger une mosquée que tu devais faire inaugurer par nos leaders confreriques est sans doute l’unique raison qui pouvait te projeter ainsi au devant de l’actualité.
Tout chez toi était discrétion voire timidité mais en culte d’un
professionnalisme et d’une foi vécus, rares de nos jours.
En tenue africaine, tu dégageais une prestance à nulle autre pareille dans
notre société. En costume occidental voire en jeans, rien ne pouvait te
distinguer du plus parfait dandy sur Via Venetto à Rome ou sur les Champs Elysées.
Tu
incarnais le parfait syncrétisme socioreligieux, réussissant l’impossible rêve
du Samba Diallo de Cheikh Hamidou Kane, qui n’a pas su faire le lien entre sa
quête de modernité et son maintien dans la tradition…
En tout, tu étais un être exceptionnel. Tu étais de la fine fleur de l’élite
maraboutique, la plus ancrée dans les grandes vertus, racines plongées dans une
ardente pratique islamique nourrie à la sève du message essentiel du fondateur
du mouridisme, Ahmadou Bamba, et celui de son inspirateur, le prophète Mahomet
(psl).
Il en est ainsi de tous ceux qui ont bien digéré notre vision de l’Islam,
proche de la terre, et d’abord communautaire.
Depuis
cet accident qui t’a ravi à notre affection les témoignages de tes
coreligionnaires et voisins, de toutes fois, vivant entre Usine Niari Tally,
Keur Massar, Darou Salam et Touba sont unanimes: une perte incommensurable !
Musulman, guide, tu as vécu ta vie dans un effacement qui en dit long sur ta
personne.
Ce n’est pas étonnant: tu alliais classe et élégance et même, peut-on dire, tu étais
un bel homme.
Un homme de savoir aussi. En plus d’une érudition islamique, peu de sénégalais,
parce qu’habitués à ne concevoir le marabout qu’en termes parasitaires, souvent
erronés, réalisent combien tu étais aussi un être accompli au plan
professionnel. Tes collègues de l’ONU où tu as fait toute ta carrière se
souviennent d’un sujet brillant, compétent, sérieux et dur à la tâche, fermé à
toutes les faveurs pourtant aisément dues à ton rang. C’est que tu es arrivé à
ton niveau parce que ton père, mon oncle, avant-gardiste dans la foi mouride, a
su, tôt, inculquer à ses enfants les avantages des études duales, entre
modernisme et fondamentalisme.
Je te revois encore au début de l’année 1980 en France où venu en stage je t’avais
retrouvé en train de boucler de brillantes études supérieures, universitaires.
Tu étais intellectuellement du niveau de ceux pouvant légitiment aspirer à
diriger l’une des nations africaines postindependances, comme le Sénégal.
J’en ai eu la conviction à chaque fois que nous nous sommes retrouvés à
discuter de la marche du continent en commençant par celle de notre pays.
Les dimanches, en cet hiver d’une année 1980 annonciatrice des grands
bouleversements de la fin du 20eme siècle, sur la Rue des Pyrénées, à Paris, au
domicile de ton frère aîné, Sidy, banquier dans la capitale française, grâce à
l’accueil unique de sa belle et généreuse épouse, Bineta, nous nous retrouvions
autour d’un bol de riz à la stlouisienne. C’est en ces milieux au contact d’une
élite aussi fine que solide que j’ai fourbi mes armes de débatteur.
Tu aurais pu être au front dans le combat national mais tu as agi en
back-office, vraie fourmi à l’œuvre, bâtissant pour ses parents, sa communauté,
le système international. Si bien qu’il n’est pas exagéré de dire que ta
disparition représente l’une de ces pertes ainsi remarquablement diagnostiquée
par une de nos cousines Diop, qui se reconnaîtra:
“Notre pays ne sait jamais profiter du talent des meilleurs de ses fils jusqu’à
ce qu’ils quittent ce bas monde”.
Quel gâchis, en effet.
Je te souhaite le meilleur des paradis, homme de valeur. Ta vie n’a pas été
inutile !
Le Sénégal doit apprendre à célébrer des êtres comme toi loin des rampes de la
pipolisation mais qui sont de loin ses authentiques héros non-célèbrés !
Adama Gaye, Le Caire, 12 février 2020