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NGONE FALL: « Africa2020, c’est l’Afrique qui parle d’elle-même »

ENTRETIEN. Commissaire général de la Saison Africa2020, N’Goné Fall s’est confié au Point Afrique sur le contenu et le sens de cette manifestation.

Le Point Afrique : Puisque vous parlez de panafricanisme, Africa2020 n’est-elle pas aussi une manifestation de réveil ou de manifestation de la mémoire… ?

Ngoné Fall : Non ! Parce que cela voudrait dire que la mémoire est morte. Ce qui n’est pas le cas. Moi, j’ai grandi au Sénégal au temps du président Senghor et je me souviens qu’à l’école on apprenait l’histoire de toute l’Afrique. Ce qui fait qu’on se sentait véritablement africain. Pour nous, c’était une réalité. Donc, il s’agit juste de rappeler qu’il y avait un rêve d’unité, de panafricanisme, un destin collectif. 

Sur un autre plan, cette manifestation arrive un ou deux ans après la démarche de restitution des biens culturels, quel est le lien que vous faites entre ces deux événements ?

Il n’y a pas de lien entre les deux annonces. Pour la restitution des biens culturels, il s’agit d’une commande du président de la République Emmanuel Macron à deux experts qui sont Bénédicte Savoy et Felwine Sarr. La Saison Africa2020 s’intéresse à la création contemporaine. Là où il y a aussi une différence, c’est que les restitutions ne concernent que les pays francophones dans lesquels la France a agi.

Quel est le regard que vous posez sur la création contemporaine plurielle africaine ?

Je vois une continuité, mais aussi une explosion de propositions, de l’énergie et surtout de la pertinence, qu’elle soit artistique ou conceptuelle de la part des créateurs dans tous les domaines. C’est un domaine que je connais bien puisque je travaille dans ce secteur depuis 1993. Il y a de nouveaux acteurs, il y a des scènes émergentes, que ce soit l’Ouganda qui est une grande surprise en ce moment, le Malawi, le Kenya, la Tanzanie, je peux citer l’Éthiopie. L’Égypte, quant à elle, a toujours été un pôle formidable, l’Afrique du Sud également, le Nigeria, etc.

C’est parce que dans tous les pays que vous avez cités il y a une prise de conscience beaucoup plus forte qui s’exprime ? À quoi est-ce dû ?

J’essaie de comprendre parce qu’effectivement ce sont des pays, surtout ceux de l’Afrique de l’Est, où je n’allais pas spécialement jusqu’en 1992. Je me disais qu’il ne s’y passait pas grand-chose. Et quand j’ai commencé à m’intéresser à eux vers les années 2010, j’ai reçu une claque. Et je me suis alors dit que c’était justement le moment.

À quoi est-ce dû ? Je me dis que c’est justement grâce aux jeunes. Les jeunes d’Afrique de l’Est voyagent beaucoup plus que ce soit physiquement ou aussi virtuellement. Cela crée une sorte d’émulation dans la sous-région. Ils circulent plus sur le continent justement avec cette volonté de savoir ce qu’il se passe dans le pays voisin, ce qui n’était pas forcément le cas dans les années 1980-1990 où c’était plus instable. Aujourd’hui, ce qui impressionne avec ces jeunes, c’est leur capacité à se mettre en réseaux. L’étendue de la toile qu’il tisse à travers le continent est vraiment impressionnante. 

Avez-vous été frappée par cette différence en Afrique entre les francophones, les anglophones et les Sud-Africains par exemple ?

En effet. Je vais sur le continent depuis les années 1992. À l’époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux, de mobile, d’Internet ni même d’e-mails. Il fallait y aller pour savoir. C’est vrai que les pays anglophones sont beaucoup plus dynamiques sur le plan économique et culturel. Les lusophones étaient un peu à la marge parce que beaucoup pris dans des guerres civiles et dans une certaine instabilité politique. Aujourd’hui, dans les pays comme l’Angola et le Mozambique, je suis ravie de découvrir toujours plus d’artistes, d’entrepreneurs, de sociologues, de philosophes. L’Afrique du Sud, différente à cause de son histoire, était repliée sur elle-même. Maintenant, des jeunes Sud-Africains bougent. Ils vont découvrir les autres pays du continent y compris les pays francophones en Afrique centrale ou Afrique de l’Ouest. Et ils s’intéressent de plus en plus à l’histoire de l’Afrique qu’ils ne connaissent pas parce qu’ils ne l’apprennent toujours pas à l’école.

On ne peut pas parler d’Africa2020 sans penser aux DOM-TOM, c’est-à-dire à ce qui relie de manière particulière le continent africain, les Africains et ceux qui vivent dans les départements d’outre-mer. Est-ce qu’il y a quelque chose de prévu de particulier avec ces territoires ?

La saison se déroule partout en France métropolitaine, mais aussi dans les DOM-TOM, avec des propositions de projets, de La Réunion, de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe… Donc, il y aura des projets construits de la même manière qu’en métropole avec des professionnels africains.

Qu’est-ce qu’Africa2020 va apporter de plus aux politiques culturelles dans les pays africains et dans le rapport de la France à l’Afrique ?

Africa 2020 va permettre de dire qu’on a des professionnels en Afrique et que, dans certains pays, il y a des politiques culturelles pertinentes même si dans d’autres, elles le sont moins, et pour certains, inexistantes. En fait, quel que soit le contexte, la société civile s’est prise en main et c’est justement grâce à ces catégories socio-professionnelles que les écosystèmes sont en train de bouger. L’objectif est aussi de démontrer à nos dirigeants africains et aussi à la France que, quel que soient le discours du politique ou son immobilisme, son décalage par rapport à la réalité, les populations avancent.

Ne vit-on pas en Afrique dans une certaine schizophrénie culturelle qui consiste à dire que « le culturel est super important » et en même temps à ne rien faire pour le développer ?

Si, je suis d’accord avec vous, et je ne parle plus de culture avec les politiques africains.

Africa2020 est une manifestation organisée par la France avec les pays africains. Qu’est-ce qui, à l’arrivée, fera le succès de la manifestation dans la découverte que les Français vont avoir de l’Afrique à travers l’art de vivre ?

C’est ce qu’on appelle la « Téranga » en wolof, langue parlée au Sénégal. Je l’ai retrouvée partout où je suis allée. Nous allons donc la mettre en avant.

Il y a une importance de plus en plus forte du numérique. Comment la France et l’Afrique peuvent-elles rattraper les années perdues de connaissances l’une de l’autre, de plongée dans la mémoire et de création de marchés ?

Cela va prendre du temps et il faudra plus qu’une saison. Il faudra d’abord accepter qu’on ne sait pas tout ou qu’on a mal appris. Il faudra ensuite accepter réapprendre à travers Africa2020. Il faut en effet savoir que quand on invite un professionnel à réfléchir avec nous sur des projets, on est dans l’idée d’impacter les gens et de sortir de tous les clichés de part et d’autre. On verra à partir de 2021 et plus tard si on peut faire un bilan pour savoir à quoi a servi cette saison.

Une manifestation comme celle-ci est suffisamment importante pour courir des risques, c’est-à-dire qu’il y a des pièges. Quels sont les pièges qu’Africa2020 doit éviter pour atteindre tous ses objectifs ?

Il faut éviter le piège de la complaisance et s’assurer que tous les projets qui sont proposés respectent la feuille de route : panafricain, pluridisciplinaire, de création contemporaine co-construit avec un professionnel africain. C’est l’Afrique qui parle d’elle-même. Nous avons été invités en France pour parler de nous. Et cela, personne ne doit le faire à notre place. Quel que soit le public et quel que soit l’opérateur. Avant toute chose, je garde en tête de bien toucher les jeunes. 

Toutinfo.net(avec Le Monde Afrique)