PEINE DE MORT AU SÉNÉGAL: Une divergence de morales
Le meurtre de Binta Camara a mis le pays entier dans l’émoi et la consternation. Depuis l’annonce de ce crime odieux, la question autour du rétablissement de la peine de mort agite les débats dans les places publiques et les chaumières. Si les membres de la société civile trouvent inopportune et inefficace cette mesure pour lutter contre la criminalité au Sénégal, une partie de l’opinion et des voix autorisées du champ religieux estiment que la peine capitale est la seule solution pour endiguer ce fléau. Et se pose un vrai débat entre défenseurs de la laïcité et chefs religieux.
Les Sénégalais n’arrivent toujours pas à digérer le meurtre odieux et crapuleux perpétré contre la jeune Binta Camara à Tambacounda. La clameur publique est d’autant plus grande que le présumé meurtrier est presque «un fils adoptif» et proche du père de la victime. Il ressort des premiers éléments de l’enquête que Pape Alioune Fall (présumé auteur du crime) faisait partie même des personnes qui accueillaient les gens le jour du décès. Un cas pathologique qui a intrigué bon nombres de Sénégalais. C’est pourquoi, le débat sur la peine de mort a été remis au goût du jour, depuis quelques jours. Pour le célèbre islamologue Oustaz Alioune Sall, il n’y a que la peine capitale qui peut faire reculer ces genres d’atrocités. «Dieu a dit dans le Coran ‘’Nafsi bi Nafsi ‘’, ‘’Ayni bi Ayni’’ (une vie pour une vie, un œil pour un œil ‘’», explique le precheur de Sud Fm. La conviction chevillée au corps, il souligne que si celui qui a tué Binta Camara était sûr, avant de commettre son acte odieux, qu’il risquait la peine de mort, il aurait réfléchi par deux fois avant d’assassiner Bineta Camara. Critiquant ouvertement les défenseurs des droits de l’homme, il estime que ces derniers ont tout faux en considérant que la peine de mort est une régression pour l’humanité et que l’être humain ne doit plus être tué pour les crimes qu’il a commis foulant ainsi au pied les mécanismes que Dieu a établis pour lutter contre les criminels. Aussi, tire-t-il à boulets rouges sur les abolitionnistes avant de rappeler que les cas de meurtre n’étaient pas aussi fréquents avant l’abrogation de la peine de mort. «Tant qu’on ne fait pas ce que Dieu a dit, les crimes vont se succéder les uns plus ignobles que les autres», martèle Oustaz Alioune Sall. Abondant dans le même sens, les responsables de l’Ong Jamra rappellent que le Tout-Puissant a réaffirmé la sacralité de la vie humaine tout en restant intraitable contre ceux qui n’ont aucun respect celle-ci. Des avis qui tranchent nettement avec la position des défenseurs des droits de l’homme. Pour Alioune Tine, la peine de mort est inhumaine. C’est pourquoi, il propose d’infliger des peines sévères à l’encontre des coupables de viols et de meurtres. Le président d’Organisation Jonction, Ababacar Diop, émet sur la même longueur d’onde et soutient que le durcissement des peines ne débouchera pas sur l’éradication de la criminalité. «Il faut un traitement à plusieurs niveaux. Ce n’est pas parce qu’une personne a tué qu’il faut la tuer aussi. A mon avis, ce n’est pas un traitement humain et laissons ce pouvoir à Dieu», affirme M. Diop qui juge contreproductif le rétablissement de la peine de mort. Farouche défenseur de cette thèse, le représentant d’Amnesty International au Sénégal, Seydi Gassama, assimile la peine de mort à un acte de vengeance et non de justice. PEINE DE Mort : étAt DES LIEux DANS LE MoNDE Par ailleurs, si l’on juge globalement la peine de mort dans le monde, on peut dire que son efficacité et ses implications sont controversées. En France, la peine de mort a été abolie en 1981, et son interdiction constitutionnelle existe depuis 2007. «Nul ne peut être condamné à mort», d’après l’article 66.1. Depuis lors, on constate une diminution forte du nombre d’homicides relative à la proportion d’habitants. Mais aussi une diminution absolue. Mais est-ce vraiment l’abolition de la peine de mort qui explique cette diminution ? Une note confidentielle de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) du 15 juillet 2010 publiée par «Le Figaro» dévoile une forte diminution des homicides depuis 10 ans. Le facteur de dissuasion de la peine de mort n’y est pourtant, en aucun moment, pris en compte. Cela s’explique par le contrôle important des armes en France, contrairement aux États-Unis, et par l’amélioration technique et scientifique de la police qui permet de résoudre près de 90% des affaires, ce qui serait déjà dissuasif en soi. Un rapport d’Amnesty cite aussi l’exemple du Canada où les chiffres montrent que l’abolition de la peine de mort n’est pas accompagnée d’une hausse des homicides. En revanche, dans les pays comme l’Arabie Saoudite qui appliquent la peine mort, on constate que le taux de criminalité est faible par rapport aux autres pays. Rappelons aussi que les méthodes utilisées varient selon les pays. Il y a la décapitation (Arabie Saoudite), l’électrocution (Etats-Unis), la pendaison (Afghanistan, Bangladesh), l’injection létale (ÉtatsUnis, Chine) ou la fusillade (Somalie, Corée du Nord). Signalons aussi que 98 Etats dans le monde ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. Trois pays que sont la Bolivie, la Guinée-Bissau et la Lituanie ont ratifié un traité de l’Onu pour l’abolition de la peine capitale. Toutefois, certains pays ne l’ont pas abolie, mais ne la pratique plus. Au total, 140 pays, soit plus des deux-tiers, ont aboli la peine capitale en droit ou en pratique dans le monde. Au Sénégal la peine de mort a été abolie depuis le 28 décembre 2004. Mais des parlementaires comme le Grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop, sont favorables à son rétablissement, même si pour le moment l’Etat est intransigeant sur la question.
PEINE DE MORT AU SENEGAL: Le gouvernement reste inflexible
( M.M.NDIAYE et Toutinfo.net )
De nombreuses voix se sont élevées, après la mort de Binta Camara, pour demander le rétablissement de la peine de mort. En dehors des techniciens et des dirigeants, une partie de la population s’est prononcée sur la question en plaidant pour le retour de la peine capitale. N’empêche, les autorités gouvernementales restent intransigeantes sur la question. A ce sujet, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Justice chargé de la promotion des droits humains et de la bonne gouvernance se veut clair. «La peine de mort est un traitement dégradant. Au Sénégal, nous ne pourrons pas l’appliquer en ce moment», soutient Mamadou Saliou Sow. Selon ce dernier, l’Etat dispose d’autres moyens pour sanctionner les coupables. «Car le Sénégal est un Etat de droit», souligne-t-il.
( Mamadou Mbakhé NDIAYE et Toutinfo.net )