TRIBUNE : 18 auto ponts pour 137 milliards !
Oui, nous sommes au courant que l’Etat du
Sénégal s’est engagé, suite à une offre spontanée, à la construction de 13 sur 18
(les 5 de plus étant destinés à l’intérieur du pays) autoponts pour un coût
annoncé de 137 milliards 306 millions 760 mille 630 FCFA. Un léger calcul nous
donnerait en moyenne un cout de 7.6 milliards pour chaque autopont alors que
les autoponts sur les carrefours de Thiaroye et Keur Massar n’ont couté que 3
milliards avec comme composantes un pont de 2×2 voies de 7.20m de large et 230m
de longueur en dalle de béton constitué de 5 travées de 18m de large, des
bandes d’arrêt d’urgence de 0.5m de large avec un giratoire en dessous du pont
avec des trottoirs de 2m de large. La seule différence ce sont les 11km de
bretelles de raccordement qui sont en 1×1 voie de 3.5m de large qui ne
pourraient pas résorber le gap de plus de 4 milliards par autopont. Nos
autorités ont-ils la maitrise sur ces projets ou bien les pots de vin sont
passés par là ?
Le mal dans tout ça en est que nos autorités, dans la course aux grandes
réalisations, ne prennent pas souvent le temps d’avoir toutes les informations
sur ledit projet avant sa validation, ce qui entraine forcément des
surfacturations avec des avenants à ne plus en finir.
En tout cas l’objectif reste pertinent car la réalisation de tels ouvrages
permettrait d’améliorer la fluidité et le volume de trafic, de décongestionner
la VDN, de réduire le coût induit par les problèmes de mobilité urbaine estimé
à environ 100 milliards de nos francs chaque année.
Cependant il est nécessaire de revenir sur la démarche car nous savons
également que les offres spontanées sont de loin les marchés les plus transparents
du moment où il n’y aurait pas appel d’offre donc pas de possibilité pour nos
majors du BTP d’espérer.
Eh oui ! Le cadre législatif sénégalais ouvre la possibilité aux opérateurs
privés de soumettre une offre spontanée à un partenaire public, sans que
celui-ci ait préalablement un projet similaire à développer en PPP. Les offres
spontanées sont encadrées par l’article 81 du Code des Marchés Publics, mais
aussi, par l’article 1 de la loi N°2014-09 sur les contrats de partenariats. Ce
texte les désigne comme une proposition à l’initiative d’un opérateur privé
relative à l’exécution de contrat de partenariat qui n’est soumise en réponse à
un appel à concurrence publié par l’autorité contractante et le montant du
projet doit être obligatoirement supérieur à 50 milliards.
La courbe monte en vitesse, 60 milliards en 2015, 95 milliards en 2017, 129
milliards en 2018 et nous voilà à 137 milliards pour une société étrangère du
nom de MATIERE SA ; et pourtant les alertes de la Banque Mondiale n’ont pas pu
stopper le gouvernement du Sénégal. C’est du genre cerise sur le gâteau
empoisonné mais qui arrangerait notre gouvernement qui a des difficultés de
trésorerie et qui s’inquiète si peu de l’endettement et du comment tout ceci
impacterait sur les populations.
Les offres spontanées donnent la possibilité tout de même de créer la
concurrence afin d’avoir une gamme de choix différents, ce que certainement les
décideurs n’ont pas fait car nos majors du BTP sont toujours absents dans de
tels projets d’infrastructures de grande envergure. D’ailleurs, que fait l’Etat
pour nos majors à part les regarder subir la puissance des multinationales
étrangères ? Et pourtant l’Etat aurait pu les accompagner avec des garanties
qui leurs permettraient de lever des fonds dans les marchés financiers pour
pouvoir concurrencer ces multinationales, parce que préfinancer des projets de
plus 50 milliards n’est pas une affaire facile pour des sociétés qui peinent à
faire des chiffres d’affaire honorable.
Je me rappelle du discours d’un Monsieur en 2012 sur lequel j’avais noté ces
mots: « je ne suis pas là pour construire des routes et des ponts » mais le
voilà entrain de construire des autoponts et le malheur est qu’il le fait au
profit des multinationales étrangères.
Pape Abdourakhmane Dabo
Ingénieur des Travaux Publics
Consultant en infrastructures publiques.