QUASIMENT UNE CONDAMNATION A TOUS LES COUPS: Délit de diffamation, un piège pour la presse?
lorsque le journaliste donne par exemple l’information sur l’arrestation d’une personne, même s’il se base sur un procès-verbal d’audition pour étayer les faits, si le concerné estime qu’il a été diffamé, il y a de fortes probabilités que l’auteur de l’article soit condamné pour diffamation. manifestement, c’est une épée de damoclès sur la tête du journaliste indigne d’une grande démocratie.
Au Sénégal, on se vante d’être une grande démocratie avec une presse libre. Pourtant, le législateur semble aller dans le sens de museler la presse. Aux termes des dispositions de l’article 258 du Code Pénal, « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Lorsqu’elle est faite par l’un des moyens visés par l’article 248, elle est punissable, même si elle s’exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne non expressément nommée mais dont l’indication est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés». Un des cas les plus patents en matière de diffamation ces six derniers mois, est celui du dossier de Kabirou Mbodji, Président Directeur Général (Pdg) de Wari qui a obtenu des juridictions Sénégalaises, deux condamnations pour diffamation contre le quotidien « Les Echos » et contre l’hebdomadaire « Jeune Afrique ». Pourtant, dans l’une des affaires, une partie civile, qui le poursuit pour viol, a déposé une plainte et le journaliste a juste repris ses propos tout en donnant bien entendu la version de Kabirou Mbodji à l’enquête. Mais au finish, ils ont tous été condamnés. Même si une rumeur indique que l’homme d’affaires tient certains juges en laisse, il est quand même constant qu’il gagne toujours au Sénégal. Pourtant dans les grandes démocratie où la presse est sacrée, il est impossible pour un homme public de gagner de procès contre des journalistes. Au pays de pays de l’Oncle Sam, trois conditions doivent être réunies. Il faut que la volonté de nuire soit manifeste, que le journaliste n’ait pas fait l’effort de recouper l’information et enfin que l’information aie eu une répercussion désastreuse sur la vie privée ou professionnelle du concerné. Il suffit un appel ou d’un sms pour que le journaliste soit relaxé. Or au Sénégal, la personne poursuivie par voie de citation directe pour diffamation ne dispose que de deux moyens de défense : démontrer la vérité du fait diffamatoire en utilisant la procédure relative à l’offre de preuves ou invoquer sa bonne foi en se basant sur un intérêt légitime à l’information du public.
Un PIÈGE POUR LA PRESSE
Ici même si l’information est vraie et attestée par un procès-verbal d’audition, si le concerné estime qu’il a été diffamé, il y a de fortes probabilités que l’auteur de l’article soit condamné pour diffamation. Quelle liberté pour un métier qui se veut défenseur des libertés ?
LES JOURNALISTES SONT TOUJOURS JUGÉS SUR LA BASE D’UNE LOI QUI DATE
De 1979 Pour Mamadou Oumar Ndiaye (MON), directeur de publication du quotidien « Le témoin », dès le début, le législateur a voulu que le journaliste ne puisse pas échapper à des poursuites pénales. Les journalistes sont toujours jugés sur la base d’une loi qui date de 1979, à l’époque du Président Senghor. On assistait aux balbutiements d’une presse libre, notamment avec l’apparition de journaux comme « Le politicien », un journal satirique, de Mame Less Dia mais aussi de « Promotion » du doyen Boubacar Diop. Ces journaux ont beaucoup dérangé par leurs révélations et leur façon de faire du journalisme. Il y avait une classe politico affairiste habituée à un parti unique pendant une vingtaine d’années. A l’époque, l’opposition avait dénoncé des lois d’inspiration Vichystes qui prévalaient en France pendant l’époque de guerre. Elles étaient répressives, conçues de telle sorte que le journaliste trainé devant les tribunaux ne puissent pas échapper à une condamnation.
Le JOURNALISTE A DIX JOURS POUR PRODUIRE LA PREUVE DE Ce QU’IL AVANCE
Du point de vue de la loi, il faut souligner, relève MON, qu’il y a deux dispositions restrictives en matière de diffamation. La première consiste à imposer au journaliste de produire des preuves de ce qu’il avance, dans un délai de dix jours, après réception de la citation directe. Même si le dossier fait l’objet de plusieurs renvois et que l’audience ne se tienne qu’au bout de six mois, par exemple, si le journaliste vient à la barre avec des preuves, elles ne sont pas acceptées. Même si c’était au 11 ième jour, ce serait ainsi. Pourtant, pour toute autre matière, soutient Mamadou Oumar Ndiaye, on peut produire les preuves le jour de l’audience. Pour ce qui concerne la deuxième mesure, en copiant les dispositions relatives au délit de presse du Code Français, estime MON, le législateur Sénégalais a supprimé la notion de bonne foi. Alors que dans toutes les législations de grandes démocraties, la bonne foi du journaliste est retenue, dès lors qu’il est prouvé qu’il n’était pas animé d’un mauvais sentiment personnel en donnant l’information.
«ON DONNE À UN JUGE LA POSSIBILITÉ De COULER N’IMPORTE QUEL ORGANE DE PRSSE»
Il s’y ajoute, note MON , que les dommages et intérêts ne sont pas plafonnés. Un juge peut condamner un journaliste à payer 500 millions de dommages et intérêts. C’était le cas dans le procès concernant le journal Sud Quotidien et le Groupe Mimran dans l’affaire du sucre d’aspect blanchâtre importé frauduleusement. Si la Css avait exécuté la décision, cela signifiait la mort de l’entreprise Sud dont le rôle dans la consolidation de la démocratie est un secret de polichinelle. Le Témoin avait aussi été condamné par les Industries chimiques du Sénégal (Ics) de feu Pierre Babacar Kama à payer 55 Millions de Fcfa de dommages et intérêts. Là encore, si la décision avait été exécutée, le journal aurait disparu, constate MON. « On donne à un juge la possibilité de couler n’importe quel organe de presse. Je me suis battu pour qu’on fixe une limite aux dommages et intérêts, mais j’ai été minorisé. Nous avions beaucoup de procès et on pourrait penser que «Le Témoin » prêchait pour sa paroisse, mais ce n’était pas le cas. Pour peu qu’un juge a une dent contre un journaliste, il peut le faire condamner. Le journaliste est à la merci du plaignant, c’est la loi qui est faite ainsi. Les magistrats ne font que l’appliquer. Heureusement que certains font une application bienveillante de cette loi», se réjouit-il.
«JE PREFERE ALLER EN PRISON PLUTOT QUE MON OUTIL DE TRAVAIL SOIT FERME»
Quid du nouveau Code de la presse ? MON n’est pas non plus satisfait de ce côté. Les concepteurs du nouveau code ont demandé que l’on substitue la peine privative de liberté à des peines pécuniaires plus sévères. « Je préfère aller en prison plutôt que mon outil de travail soit fermé mais là aussi j’ai été minorisé. A quoi cela sert de corser les sanctions pécuniaires ? On aurait pu maintenir la loi telle qu’elle était et plafonner les dommages et intérêts», suggère le Directeur de publication du quotidien Le Témoin. Il concède cependant que ces 20 dernières années, aucun journaliste n’est allé en prison dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Il y a eu le cas de Madiambal Diagne qui a séjourné en prison mais c’était sur la base de l’article 80 du Code pénal, qui parle d’offense au chef de l’Etat. Ce n’était pas un délit de presse. En France où la presse est plus riche, remarque le journaliste, les condamnations ne dépassent pas 5 Millions de Fcfa de dommages et intérêts ; sauf pour ce qui est des paparazzis et la presse people qui mettent de l’argent de côté pour les condamnations. Un article paru dans Le Monde disait que l’administration de la preuve relève d’un cérémonial Chinois parce que la personne qui s’estime diffamée, regarde tout, même les virgules. Si l’on condamne un journal à payer 500 Millions de Fcfa, c’est l’obliger à mettre la clé sous le paillasson, estime-t-il.
ME NDÉNÉ NDIAYE : «TRES SOUVENT, LE TRIBUNAL ESTIME QUE LE DELAI DE L’OFFRE DE LA PREUVE EST DEPASSE»
Pour Me Ndéné Ndiaye, avocat à la cour, même si les faits sont considérés comme avérés par le journaliste, c’est au niveau du mode d’administration de la preuve et de la valeur de la preuve administrée par le journaliste que tout se joue. Ce n’est pas pour rien que l’on fait obligation au journaliste de faire l’offre de preuve. Cela veut dire que si sa bonne foi est prouvée, il peut être relaxé. Cependant, très souvent, le Tribunal estime que le délai dans lequel l’offre de preuve est produite, est dépassé. Dans toute infraction, trois éléments doivent être réunis, note l’avocat. L’élément matériel (le fait avéré), l’élément moral (la personne a posé un acte avec l’intention de nuire à la réputation de la personne pour la diffamation), l’élément légal ( ce que prévoit la loi). Mais force est de constater selon l’avocat, en matière de diffamation que les juges ont des a priori et condamnent les journalistes plus souvent.
( Hadja Diaw GAYE )