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ENTRETIEN AVEC LE CINEASTE MOUSSA SENE ABSA«Il ya des séries qui font la promotion des contrevaleurs»

Il n’est plus à présenter dans le monde du septième art, où il règne en maître absolu. Auteur de plusieurs films dont «KenBugul », «Madame Brouette», «TerangaBlues», «Yoole» et autres. Ce qui fait deMoussa Séne Absa une référence incontestée dans ce milieu. Présent actuellement à Ouagadougou pour les besoins du Fespaco (NDLR, l’entretien s’est tenu durant le Fespaco), il revient sur sa carrière, analyse l’industrie du cinéma et parle de la tendance actuelle, à savoir les séries. Acœur ouvert, Moussa Séne Absa déroule pour le quotidien l’As le film de ses idées pour le cinéma.

L’AS : Sur quoi êtes-vous présentement?

Moussa Sène Absa : Mon actualité est que je viens de terminer un film sur l’affaire Sèye (le juge Babacar Seye assassiné le 15mai 1993). Il s’appelle : «Le Festin du vautour» que j’ai montré, il y a quelques semaines, en avant première à Dakar. Je suis en train de terminer deux autres documentaires sur lesquels je travaille de temps en temps. Je mène également des activités de formation, un peu à travers le continent et aux Etats Unis où je suis en train de terminer la préparation pour mon long métrage. Voilà où j’en suis actuellement. Je prépare un long métrage pour cette année.

Qu’est-ce qui explique, à votre avis, l’absence du Sénégal dans la catégorie deslongs métrages lors de cette édition du Fespaco ?

Je ne pense pas que cela soit un débat de long ou de court métrage. Je suis présentement à Ouagadoudou (NDLR, l’entretien s’est déroulé lors du FESPACO). Et il ya debons courts métrages. Je crois que les meilleurs courts métrages qui sont projetés aucours de ce FESPACO viennent du Sénégal, et tout le monde est d’accord là-dessus. Cela s’est réalisé grâce au soutien du FOPICA. C’est une occasion pour les jeunes d’avoir accès au monde professionnel à travers le cinéma. J’ai vu des films de grande qualité. Il n’y a pas de longs métrages parce qu’ils ne sont pas finis, ou ceux qui ont terminé, ont préféré choisir d’autres opportunités pour lancer leur film. Je comprends. Si vous avez un film que vous voulez montrer au Festival de Cannes, vous ne pouvez pas le montrer ailleurs. Il y a des réalisateurs qui préfèrent aller à Cannes plutôt qu’à Ouagadougou. Le vrai débat, ce n’est pas qu’il y aun long ou un court métrage. Il y a de très bons courts métrages et de vrais documentaires diffusés au cours de ce FESPACO 2019. Il y a eu la présence d’un grand nombre de comédiens et de comédiennes qui sont venus en bus. Ils ont fait une caravane et c’est beau à voir.

Quel est le problème, selon vous?

Il y a une structuration du FOPICA sur laquelle je n’arrête pas de tirer la sonnette d’alarme. C’est un acte généreux des autorités sur le cinéma sénégalais. Nous avons été les premiers à promouvoir, en Afrique noire, un fonds de cette envergure qui adonné des résultats. Et je me dis, au lieu de saupoudrer en donnant 20 millions ou 50 millions à des réalisateurs, qu’il faudrait prendre le risque. Mais cela doit être un risque bien calculé, en choisissant de très bonnes personnes, de très bons scénarios, de très bons réalisateurs, avec des garanties de bonnes fins. Le FOPICA est à deux milliards. Si on se disait chaque année, on prend un milliard et demi pour le cinéma; voir un réalisateur qui a un projet de film de 800 millions et l’appuyer à hauteur de 400 millions, il pourrait commencer son film. Il y a aussi les accords productions avec le Maroc, avec la Tunisie, le Canada, la France, etc. Les réalisateurs peuvent également aller chercher des fonds pour la post production dans ces pays-là. Mais, si quelqu’un a un projet de film de 800 millions et vous lui donnez 50 millions, il ne peut rien faire avec cette somme ; ou bien il fera un film au rabais parce qu’il n’a pas les moyens.

Comment se porte le cinéma africain en général ?

Je n’aime pas le terme de «cinéma africain». Il ya des cinémas africains. Pourquoi vous ne dites pas le cinéma européen en parlant du cinéma français? Je revendique un cinéma sénégalais. Toutefois, il y a un cinéma burkinabé, malien, sud-africain, etc. Il ne faut pas prendre le cinéma africain pour un seul mode de cinéma. On dit le cinéma américain parce que c’est l’Etat américain. Les cinémas africains sont des cinémas qui sont en pleine restructuration dans beaucoup de pays. Il y a des expériences qui sont en train d’être tentées, surtout au Burkina, dans des pays comme la Tunisie ou l’Afrique du Sud. Ces pays sont en train d’aller au sommet. Le Kenya et la Tanzanie font un travail remarquable sur la promotion et l’installation de projets d’envergure. Le Nigéria est en train de mettre un pied dans le Netflix qui est quand même une plateforme extraordinaire de financement sur des centaines de milliards de dollars. Dans toute l’histoire du cinéma sénégalais, il n’y a eu que deux Ours d’argent : « Félicité » d’Alain Gomis et le mien, avec « Madame Brouette ». Le Fespaco a 50 ans cette année.

Est-cequ’il est arrivé au même niveau que les festivals de Cannes ou Berlin ?

Il y a une spécificité bien burkinabé pour ce festival. Un festival, c’est toute une organisation extrêmement complexe. Et puis Ouagadougou, c’est le seul festival au monde où il n’y a pas de directeur artistique. Un festival, c’est d’abord un directeur artistique qui met son nez dans les sélections. C’est lui qui choisit les films et part à la rencontre des réalisateurs. Il doit avoir du flair pour détecter un réalisateur ou voir là où il faut investir beaucoup d’énergie pour mettre le cinéma dans une nouvelle dynamique. Le FESPACO est victime d’une seule chose, c’est l’Etat qui organise et tout tourne autour de l’Etat burkinabé. Mais le FESPACO n’appartient plus à cet Etat. Il appartient à toute l’Afrique. Normalement, le FESPACO devrait lancer un appel d’offres international pour sélectionner un directeur artistique. L’Etat peut choisir le secrétaire général ou le directeur du festival, mais il faut absolument chercher un directeur artistique. C’est le poumon du festival, c’est lui qui irrigue les veines du festival.

Le cinéma nourrit-il son homme ?

Je ne me plains pas ! Alhamdoulillah!(Rires). Je ne couche pas dehors, je n’ai pas de dettes. Je ne suis pas milliardaire, mais je ne suis pas pauvre non plus. Je ne suis pas un homme qui se lève à 5 heures du matin pour chercher la dépense. Je mène ma vie tranquillement. Je m’occupe de ma famille, des amis, de mes voisins et de ma communauté. J’essaie de donner du temps aux jeunes qui veulent s’intéresser de ce métier.

Hormis le cinéma, vous êtes peintre et musicien ; donc un vrai artiste ?

L’art, c’est une passion qu’on fait parce qu’on ne pouvait faire autre chose que cela. Parce que si on fait autre chose, on n’est pas heureux. L’art doit permettre à l’individu et au public d’être heureux, de découvrir des facettes positives. Pour moi, c’est la même chose. Quand je peine, quand j’écris une chanson, c’est la même énergie, c’est la même fibre qui bouge. Je ne change pas de monde, en faisant la peinture. Le cinéma, c’est le septième art, c’est l’ensemble de tous ces arts-là.

On a besoin de savoir pourquoi Germaine Acogny danse-t-elle comme cela? Pourquoi Souleymane Faye chante comme cela ? Pourquoi feu Ousmane Sow faisait-il des sculptures de cette dimension? Le cinéma, c’est la mémoire de la cité, mais aussi l’histoire de notre société. Ce qui m’intéresse, c’est de tester les muses qui font le septième art. Il n’ya plus de salles de cinéma au Sénégal,

Comment voyez-vous le futur du cinéma sénégalais ?

Il faut se battre pour qu’il y ait des salles. Il n’y a aucune raison qu’une ville comme Dakar n’ait pas assez de salles de cinéma. Pourquoi à Ziguinchor ou à Tambacounda il n’y a pas assez de salles de cinéma ? Les gens ne rendent pas compte des pans entiers de notre culture, et je pèse bien mes mots : ce sont des pans entiers qui se sont affaissés, complètement affaissés. Le cinéma te forge une personnalité. Je suis devenu allergique à l’injustice à cause du cinéma ; c’est cet art qui m’a sauvé la vie. Les salles de cinéma devraient être une pour rentabiliser nos productions. Il faut renouer avec ces longues queues qu’on voyait devant les salles de cinéma et qui existent toujours à Paris, à Londres ou à New York. Le cinéma est la mémoire de notre cité. Un peuple sans mémoire est un peuple qui est voué à la disparition.

Quel regard portez-vous sur cette nouvelle tendance des séries au Sénégal?

Je ne les regarde pas pour vous dire franchement. Mais chez moi, mes enfants les regardent. On aime toujours voir son image à l’écran, voir qu’on parle sa langue ; cela fouette un peu sa fibre, son appartenance. Franchement, je vous dis, je ne regarde pas ces séries. Mais une seule m’avait marqué, c’est Tundu Wundu. J’étais séduit par cette série. Elle était très bien faite ; pour moi, c’est la meilleure série réalisée durant ces dix dernières années. Ces nouvelles séries ne reflètent pas la réalité sénégalaise ; on voit qu’elles sont tournées dans de belles maisons, les acteurs roulent dans de grosses bolides et les femmes sont toujours «khésalisées». Dans ces séries, nous ne sommes pas nous-mêmes et on nous montre comme des Ovnis.

Votre dernière production était une série. Est-ce que la production de film n’est pas en train de mourir?

Ce qui m’intéresse dans une série, c’est parfois de savoir si l’histoire racontée intéresse le peuple. L’histoire de ma série «C’est la vie» est une histoire qui intéresse le peuple parce qu’il parle d’un centre de santé avec les problèmes liés à ces structures. C’est un sujet très important. On voit le comportement du corps médical par rapport aux malades et le sous-équipement des centres hospitaliers. J’ai trouvé cela intéressant. Quand je réalisais la série «Gorgorlu», c’était de petits courts métrages de cinq minutes. Les sketchs n’étaient pas conçus pour devenir une série. Et beaucoup de jeunes cinéastes ont commencé à s’intéresser au cinéma et ils ont été formés sur ce plateau de«Gorgorlu». Cette série «Gorgorlu» est l’an-tithèse de toutes les séries qu’on voit aujourd’hui.

Quel est votre regard sur la politique culturelle du Sénégal de Senghor àMacky Sall ?

Il n’y a pas de politique culturelle. Il ya desactions à caractère culturel qui ponctuentdes moments. Je prends le cas de la Biennale de Dakar, quel est son impact sur le Sénégal? Il y a une réflexion à faire pour avoir un agenda culturel. Nous avons un beau pays avec des diversités culturelles extraordinaires. Chaque ethnie possède une ressource culturelle magnifique. Nous avons un parc hôtelier très beau. On a une richesse culturelle incroyable. Malheureusement on ne sait pas comment l’utiliser. Sur l’agenda culturel mondial on ne retrouve aucun évènement majeur du Sénégal, sinon la Biennale qui se tient tous les deux ans. Pour tanton a de grands danseurs, de grands cinéastes, des peintres de renommée internationale, de grands écrivains, des musiciens très talentueux, mais on manque de vision. Beaucoup de personnes qui gravitent autour de la culture ne connaissent pas la culture. Ils pensent que la culture se réduit au folklore, alors que le folklore ne représente que moins d’un pour cent de la culture. Le Grand théâtre est un grand gâchis, en termes d’investissement culturel. On ne peut pas avoir une création de cette envergure avec tout le matériel qui va avec, et ne pas organiser de grands évènements culturels de type mondial ; même pas un évènement. Macky Sall a fait de belles choses pour la culture. Il faut le reconnaître et cela ne signifie pas que je suis avec lui. Je ne fais pas de la politique ; ce qui m’intéresse, c’est mon peuple. Je crois que la seule personne qui n’a rien fait pour la culture, c’est Abdou Diouf.

( Entretien réalisé par Maïmouna SANE )