INTERVIEW CROISEE AVEC LE GROUPE XALAM 2: «La musique sénégalaise s’est griotisée»
Quelle est l’actualité musicale du groupe Xalam 2 ?
Tapha Cissé : On a commencé à jouer depuis le 14 décembre 2018. On a joué à Dakar, Thiès, Saint Louis, Saly etc… Pour les fêtes de fin d’année, on se reposera. En début d’année, on renouera avec la tradition de Xalam. On fera des clubs de Jazz. Le 5 janvier 2019, on se produit à Dakar, le 12 à Saint-Louis et on boucle la boucle le 22 janvier. Aussi, nous avons de grands projets, mais on préfère les taire pour le moment. On se calme (rires).
Pourquoi le groupe Xalam 2 joue rarement au Sénégal ?
Baye Babou : On ne fait pas une musique de danse. On fait des séquences d’ici et d’ailleurs. On ne peut pas rester au Sénégal et faire les mêmes endroits. A Dakar, on fait vite le tour des salles. Malheureusement, Dakar n’est pas une ville où il y a des débouchés pour les musiciens professionnels. Les artistes professionnels n’ont pas de d’issues pour s’y exprimer à cause de l’absence de salles de spectacle dignes de ce nom. C’est l’informel qui domine au Sénégal. On peut y jouer sans contrat. Il n’y a pratiquement que les boites de nuit. Or, ces endroits sont faits pour danser avec des entrées à 3000 francs ou à 5000 francs CFA.
La plupart des artistes qui se produisent à Dakar le font juste pour subvenir à leurs besoins immédiats. Mais, il est impossible de concocter des projets à moyen et long terme. Les seuls grands projets ici, c’est se produire à Sorano ou au Grand Théâtre. De par notre travail et notre expérience, nous ne sommes plus dans cette dynamique. C’est pourquoi, on préfère venir se regrouper à Dakar pendant trois ou quatre mois, faire une série de concerts après repartir en Europe ou en Amérique pour faire les vrais shows sur les grandes scènes mondiales.
Vous préférez l’étranger alors…
Henry Guillabert : Ce n’est pas une question de choix ou de standing, mais c’est la réalité qui l’impose. S’il y avait de grandes scènes, de grandes productions, de bons contrats comme en Europe, on n’allait jamais sortir du pays. Les Européens et les Américains restent chez eux et se produisent là-bas parce que toutes les conditions y sont réunies pour vivre de son art. Nous sommes obligés d’aller à l’étranger chez les professionnels du spectacle. C’est la triste vérité.
Pourquoi Xalam 2 n’a pas sorti d’albums depuis 2015 ?
Koundoul : Xalam 2 n’est pas un groupe à produire des albums à flots. La musique que l’on joue ne nous permet pas de sortir chaque année ou chaque deux ans un album. On dirait que c’est une mode au Sénégal. Tout le monde sort des albums en fin d’année. Nous ne sommes pas dans cette dynamique. Une musique qui a été bien faite, il faut la consommer sur une longue période avant de penser sortir un autre album. Certains jeunes artistes veulent sortir chaque année un album parce qu’ils craignent de disparaître. Ils font juste un single ou deux, puis un album, mais ils savent très bien que leurs albums ne traverseront pas les frontières. Heureusement, le Xalam 2 a très tôt compris cela depuis longtemps. On savait que notre musique a besoin d’un bon arrangement musical pour pouvoir s’éterniser et conquérir la scène internationale. Les grands artistes de renom mondial peuvent rester des années sans sortir un album. Johnny Halliday est resté huit ans sans sortir un opus avant sa mort. Le travail sérieux nécessite une vraie production et exige beaucoup de temps. On peut rester dix ans sans mettre sur le marché un album.
Jusqu’à présent, notre premier album «Gorée» sorti en 1982 est vendu sur internet jusqu’en Australie. Les grands musiciens en 50 ans de carrière font dix à quinze albums maximum, alors qu’au Sénégal on voit des artistes en dix ans de carrière sortir cinq albums. C’est incroyable (rires). Une bonne production coûte chère. C’est pour toutes ces raisons, qu’on sort rarement un album. La preuve, nos albums datent de plus de 30 ans, mais ils sont toujours consommés.
Comment voyez-vous l’industrie musicale au Sénégal?
Tapha Cissé : Il n’existe pas une industrie musicale au Sénégal. Les jeunes sont en train de tourner en rond. Et c’est malheureux pour eux qui ont choisi ce métier. En plus l’Etat, n’aide pas les artistes. On a des autorités incultes en matière de culture. En France ou en Angleterre, l’art rapporte plus que l’industrie de l’automobile. Peter Gabriel, Elton John, les Beatles… sont anoblis par la Reine. En Occident, les artistes sont plus importants que les ministres. Car, ils vendent plus le pays à travers le monde et ils font des rentrées financières énormes. Malheureusement, ici, tous les gouvernements qui se sont succédés, hormis celui du président Poète Senghor, n’ont rien fait pour la culture dans son ensemble. Senghor avait très tôt compris la puissance de la culture pour un pays. En 1966, il a organisé le premier Festival mondial des arts nègres. Dans tous ses déplacements, il était accompagné d’artistes. Il a fait connaitre le Sénégal partout dans le monde à travers la culture. L’actuel régime ainsi que les précédents n’ont rien fait pour la culture. Ils sont juste intéressés par leur réélection. Ils préfèrent mettre des centaines de millions dans des choses qui ne rapportent rien. Par exemple, on n’a pas un conservatoire de musique digne de ce nom. Un pays ne peut pas se développer si la culture est à la traine. Les deux richesses les plus vendues par les grandes puissances sont la culture et l’agriculture.
Qui est que cela vous fait de jouer toujours ensemble, après plus de 40 ans de carrière?
Baye Babou : C’est notre thérapie. Au début, c’était une passion pas un métier. C’est au fil du temps que cette passion est devenue un métier. Il n’ y a que l’artiste qui peut percevoir des droits d’auteurs à l’âge de 7 ans s’il est un prodige. Aussi, il n’y a pas de retraite pour de vieux artistes talentueux.
Acceptez-vous le statut «d’institution» qu’on vous colle?
Henry Guillabert : Bien-sûr ! On est le premier groupe à quitter le Sénégal pour aller jouer au Festival de Berlin en 1979. On est une institution parce que Xalam 2 a inspiré plusieurs groupes musicaux et beaucoup de musiciens sont passés chez nous. On peut dire que Xalam est le pionnier de la musique sénégalaise. Souleymane Faye est l’exemple parfait d’un produit du Xalam. Avant lui, il y’avait Seydina Insa Wade, Moussa Diongue, Meissa Ngom qui sont d’excellents chanteurs capables de jouer du jazz et tout autre genre de musique. Xalam a été à l’origine de la naissance des groupes tels que Sénémali, Batakhal, Missal, Waflash etc.
Le Xalam joue une musique élaborée qui inspire toujours les jeunes qui ont voulu embrasser le métier. Et tous les musiciens qui sont passés par le Xalam jouent avec les plus grands artistes dans le monde. On assume le fait que Xalam est considéré comme une institution, du fait qu’on a toujours été avant-gardiste. On a très tôt compris qu’il fallait avant tout connaitre ce qu’est la musique pour pouvoir vivre de cela et s’ouvrir à d’autres sonorités. Ce que nous pensions faire, il y’a 40 ans de cela est toujours d’actualité. Nos morceaux joués, il y’a 40 ans sont écoutés par des artistes de renommée internationale tels que Manu Dibango, Dizzy Gillespie qui nous faisaient pourtant rêver. Toutes ces légendes ont joué avec nous. Dizzy Gillespie était déjà le maître de Miles Davis, lorsqu’il nous a vu jouer, il a sorti sa trompette et à partager la scène avec nous.
Xalam a plus joué à l’international et fait partie des précurseurs de la world music. Pourquoi vous n’avez jamais eu de disques d’or ?
Koundoul : Il y’a des groupes plus grands que nous qui vendent autant d’albums, mais qui n’ont jamais eu de disque d’or. Notre musique n’est pas une musique commerciale. Ce sont les maisons de disques qui ont créé cela et c’est devenu une récompense mondiale. C’est une chance de le remporter, le Touré Kunda en a remporté trois, Youssou Ndour, Coumba Gawlo Seck ont aussi reçu un disque d’or, mais pas avec le mbalax. Le mbalax ne peut pas amener de disque d’or. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que pour décrocher un disque d’or, il faut vendre le plus d’albums sur la durée où on fait le concours de disque d’or. Celui qui vend le plus pendant cette période, le remporte. Les grandes maisons de disques pour vendre ou pour propulser leurs artistes rachètent leurs albums à bas prix, après les avoir les produits. Ils le font juste pour dire que tel artiste a vendu des milliers d’albums pour pouvoir l’imposer sur la scène musicale. Mais, il y’a des artistes méritants qui ont obtenu cette récompense sans passer par des lobbies. C’est le cas de Youssou Ndour. On savait que sa production « 7 seconds » était très bien faite et elle réunissait tous les critères pour remporter un disque d’or.
Quel regard portez-vous sur la musique sénégalaise ?
Tapha Cissé : Comme appréciation on dira : « Peut mieux faire ». On ne critiquera jamais les artistes sénégalais, mais on n’ose pas dire que la musique sénégalaise ne décollera jamais tant que nous n’aurions pas de vrais critiques de musiques, des journalistes, des animateurs qui sont formés pour parler de musique. Les musiciens ont besoin des médias pour passer leurs produits, il incombe aux animateurs de faire une censure sur les choses mal faites et pousser ainsi certains artistes à mieux travailler. N’importe quoi, n’importe qui passent dans les médias et tout le monde est content. Les responsables étatiques ont eux aussi une part de responsabilité dans cela. Comment peut-on laisser ces acteurs culturels sans encadrement au préalable ? La musique sénégalaise a été «griottisée», au temps il y’avait la musique traditionnelle et la musique moderne. Tous les grands chanteurs qui faisaient la musique moderne n’étaient pas des griots on peut citer Labah Socé, Touré Kunda, entre autres. Ces gens sont partis apprendre la musique avant de commencer à chanter. Petit à petit les musiciens sont devenus des griots. Les musiciens qui créent les mélodies se sont mis derrière et les sabars sont mis devant. Du coup ce qu’on appelle une musique sénégalaise c’est cette musique « griottisée ». Les vrais musiciens qui ont appris la musique et qui font une musique réfléchie sont mis de côtés, ceux qui sont devant sont ceux qui chantent les louanges de tels ou tels. Ils sont mis au devant des médias et se sont eux qui s’en sortent. Les autres musiciens qui font une musique bien élaborée peinent à trouver le bout du tunnel. On a rien contre les griots, ce sont nos amis, mais c’est juste un constat que l’on fait. Les Laye Mboup, Ndiouga Dieng sont des griots, ils avaient la chance d’avoir une culture musicale bien bâtie et la preuve ils sont allés loin. De nos jours, même si on a un talent pour se faire connaitre il faut le mbalax ou chanter les louanges de quelqu’un, sinon on ne passe pas.
Pensez-vous à la relève ?
Baye Babou : On est encore présent et on sera là tant que Dieu nous prête longue vie. La relève on peut le dire si d’autres jeunes développent l’esprit Xalam et produisent une musique élaborée. Ce qui nous importe c’est de marquer nos empreintes. Relever, c’est remplacer et nous souhaitons faire la place aux autres lorsqu’on sentira qu’on ne peut plus. Pour le moment on joue et on continuera de jouer.
Quels sont vos souvenirs inoubliables ?
Henry Guillabert : On commence par les plus beaux, on en a plusieurs. On a partagé la scène avec des légendes qu’on adulait. Chacun d’entre nous, à son plus beau souvenir différent de celui de l’autre. Le pire souvenir c’est de jouer, il y’a quelques années à Sorano un concert où il y’avait une dizaine de personnes. C’était Feu Ndiaga Mbaye qui avait fait la première partie et il y’avait du monde et quand il a fini la salle s’est levée lorsqu’on a annoncé que c’est Xalam qui joue après. Cela nous a fait mal et ce jour on a joué un de nos plus beaux concerts. En mai 2015 aussi, ironie du sort dans cette même salle on fait un concert plein à craquer, beaucoup de gens étaient restés dehors. Il y’avait du beau monde dans la salle de vrais connaisseurs. C’était lors du lancement de notre album Waxati.
Que pensez-vous de la situation actuelle du Sénégal
Koundoul : On suit de très près l’actualité du pays. On est dans une situation catastrophique et dangereuse. On est dans un pays avec une croissance de 7% et les Sénégalais vivent dans la dèche totale. Ceux qui détiennent l’économie nationale ne sont pas des Sénégalais même le petit commerce est géré par les étrangers. L’école publique était mieux avant, maintenant c’est nulle. Air Sénégal, c’est un Européen qui est à a tête, mais il y’a des Sénégalais capables de gérer la structure si on les avait mis devant. C’est dangereux, un pays où l’économie est détenue par les autres. Le plus catastrophique dans cela, c’est que nos dirigeants actuels ne sont pas prêts à changer la donne. Il y’a une espèce de crétinisation de la population. On est dirigé par des nullards. On dit on en assez de l’éternel recommencement. Si ceux qui sont là sont incompétents qu’ils laissent la place à ceux qui savent bien gérer notre pays être aux commandes. Il n’y’a pas plus de morale dans ce pays, la transhumance est approuvée. La plupart des gens qui veulent réellement travailler sont obligés de rester dans l’ombre et vivre tranquillement leurs vies laissant ainsi le champ libre aux incapables qui sont à la tête du pouvoir. Cela est valable partout en Afrique. Ceux qui sont là ne peuvent pas régler la situation. Les dirigeants africains n’aiment pas leurs peuples. Ce qui les intéresse, c’est juste d’être réélus alors que la population nourrit de grandes ambitions de développement. La corruption est partout. Dans un pays, il faut que la majorité de la population soit satisfaite.( Entretien réalisé par Maimouna SANE )