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DECRYPTAGE SUR LE DISCOURS A LA NATION DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE M. MACKY SALL.

Le Chef de l’Etat M. Macky SALL, sacrifiant à un rituel républicain, s’est adressé à la Nation à l’occasion du traditionnel discours annuel de présentation de vœux au peuple sénégalais.

Pendant plus d’un tour d’horloge, le Président de la République, s’est livré à un grand oral aux allures de bilan de ses sept années de règne et de propagande électoraliste en vue de la Présidentielle du 24 Février 2019.

Sur le plan formel, nombre d’observateurs avertis, dont le point de vue, est largement partagé, relèvent un discours d’un orateur disert, qui, cherchant à convaincre son auditoire, fait dans une grandiloquence qui ne dit pas son nom. Un speech enrobé de chiffres qui ressemble plus à une embellie de la réalité qu’à la réalité elle-même.

Dans le fond, le Chef de l’Etat, comme dans une narration, a fait étalage de ses réalisations, évoquant tour à tour la phase I du PSE, la situation économique, l’agriculture, l’énergie, l’hydraulique, l’éducation, l’emploi des jeunes et le processus de paix en Casamance entre autres. Toutefois, des aspects non moins importants, ont été laissés en rade dans le discours.

Je ferai l’économie du décryptage du discours sur les points susnommés, pour ne s’appesantir que sur des secteurs délibérément passés sous silence par le Chef de l’Etat et dont le mobile de cette omerta a fini d’émouvoir les moins loquaces.

Il s’agit notamment de la question sécuritaire et de la justice. Bizarrerie ou stratagème ? Chacun peut y aller de son propre commentaire.

Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout le monde s’accorde au moins sur les faits de l’heure, qui demeurent constants.

Au moment où le President faisait face au peuple, des milliers de sénégalais sont privés du service public de la justice, du fait d’un énième plan d’action du Syndicat des Travailleurs de la Justice (SYTJUST), face à un mépris et une intransigeance d’un Ministre complice et hostile à toute idée de réforme au bénéfice de ces derniers.

Des travailleurs dont le seul tort, consistent à demander à l’Etat le respect des engagements pris pour de meilleures conditions de travail et de vie. Des hommes et des femmes sur qui reposent indubitablement le lourd fardeau de la justice mais qui sont traités avec aversion et désinvolture par ceux-là qui sont censés leur apporter assistance, réconfort et plus de justice sociale. Des citoyens à part entière, évoluant dans le secteur de la justice symbolisée par le glaive et la balance. Attributs judiciaires qui, dans un état de droit qui se respecte, ne sauraient s’accommoder à l’iniquité, aux disparités et au favoritisme, dont sont victimes au quotidien les travailleurs de Dame justice qui demeure de nos jours un géant aux pieds d’argile. Un pouvoir géré par une bande d’amis, voguant au gré des humeurs de celle-ci pour satisfaire les désidératas du prince.

Occulter un tel secteur, serait synonyme d’un aveu d’échec face aux multiples maux qui gangrènent cette justice controversée, à l’image écornée, au passif d’une gestion calibrée à géométrie variable, aux grèves cycliques, affectant la continuité et la qualité du service public.

L’histoire retiendra que c’est durant le magistère du Président Macky SALL, qu’on aura connu le fait inédit d’un magistrat démissionnaire, d’une Union des Magistrats du Sénégal (UMS) en désaccord sur beaucoup de questions (Indépendance de la justice et le traitement du dossier Khalifa SALL…) avec un Ministre de la justice qui refuse de voir la réalité en face. On se rappelle également dans un passé récent, de la marche des travailleurs de la justice au cours de laquelle, l’image de Greffiers enfilant leur toge en battant le macadam, a tristement fait le tour du monde. La liste de ce tableau sombre de la justice sous l’ère Macky, est loin d’être exhaustive, avec en toile de fond, une institution judicaire qui rechigne à se conformer aux décisions de la justice communautaire et internationale. Un pouvoir qui demeure toujours sous l’emprise de l’Exécutif à travers un Conseil Supérieur de la Magistrature (CMS) présidé par le Chef de l’Etat et refuse de rompre le cordon ombilical liant les magistrats du parquet au ministère de la justice par le principe hiérarchique.

Par ailleurs, il y a lieu de se désoler aussi du fait que le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, soit appliqué avec l’évocation parfois outrancière de l’exception c’est-à-dire la nécessité du service.

Enfin, on ne saurait faire abstraction des assauts des influences politiques, maraboutiques, confessionnelles… dans le fonctionnement de la justice. Qui connait des travers en ce sens que la machine tourne plutôt à la renverse. En clair, les juridictions à la base (TI &TGI) connaissent de l’essentiel du contentieux. Mais en terme de ressources budgétaires et de moyens matériels, elles sont moins loties que les juridictions du sommet de la pyramide judiciaire (CA, CS, CC ; Conseil C) ou celles ayant une certaine spécificité (CREI, CA, TC).

Autant de chantiers qui méritaient que le Chef de l’Etat s’y épanche davantage, ne serait-ce que pour redorer le blason de la justice, visiblement éprouvée durant son septennat, et ce, parfois pour des calculs bassement politiciens ou pour satisfaire une certaine élite politico-judiciaire au détriment de celle récalcitrante, de la grande masse « ouvrière » ou simplement du justiciable lambda …

Quid de la question de la sécurité ? Il ya lieu de le rappeler pour s’en offusquer que cette problématique avait tout le mérite d’être échafaudée dans le discours. Mais c’est aussi le silence radio sur ce point. Comme si tout semble tourner en rond. Alors que le quotidien des sénégalais, reflète des scènes dignes des ghettos de Chicago ou des favelas de Rio.

La preuve, seulement quelques heures après son grand oral, un jeune s’est fait tuer dans une agression au quartier Liberté 6. Des citoyens de l’intérieur du pays, ont fait les frais d’une bande de malfrats qui écumait la zone. Des faits divers de ce genre, sont en passe de devenir monnaie courante. Les gouvernants minimisent l’ampleur des dégâts pour en faire même un épiphénomène.

Hélas, tout porte à croire que la question de la sécurité des personnes et de leurs biens, n’est pas une priorité au point d’en faire fi dans un discours fleuve de plus de soixante minutes. Ou du moins, le citoyen n’est pas mis au centre de celle-ci. On préfère peut être l’acquisition de matériels antiémeutes pour parer à d’éventuels débordements lors de la prochaine présidentielle plutôt qu’à nous assurer un minimum de quiétude pour pouvoir vaquer librement à nos occupations…

En définitive, il n’est point exagéré de penser que le discours du Président, semble être biaisé par ces regrettables omissions.

Sous le bénéfice de toutes ces observations, j’invite le Chef de l’Etat, j’en appelle même à son sens élevé des responsabilités à reconsidérer sa position relativement à ces deux secteurs clés de la vie d’une nation. Pour la simple et bonne raison, qu’un pays, sans justice, serait assimilable à un navire en haute mer, avec à bord des milliers de passagers, sans le moindre gilet de sauvetage. Négliger la sécurité dans ce bateau « Sunugal », pourrait nous exposer à un « Titanic » des temps modernes.

Par : Me Malick NDOUR, Greffier au Tribunal d’Instance Hors Classe de Dakar .