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PR ABDOU NIANG, NEPHROLOGIE: «650 000 Sénégalais souffrent de l’insuffisance rénale chronique sans le savoir»

Professeur en néphrologie, enseignant à la Faculté de médecine et chef du service de néphrologie à l’hôpital Dalal Diam de Guédiawaye, Pr Abdou Niang revient sur ce tueur silencieux appelé insuffisance rénale et qui fait des ravages dans notre pays. Selon lui, il y’a 650 000 Sénégalais qui souffrent de la maladie rénale chronique et la grande majorité ne le sait pas.

L’AS : Qui est-ce que l’insuffisance rénale ?

Pr Abdou NIANG : C’est l’incapacité du rein à faire ses fonctions. Le rein a essentiellement deux fonctions : La fonction d’épuration et celle de régulation. Il régule tout le sang qui passe à l’intérieur de l’organisme, c’est pourquoi quand il travaille on ne le sent pas, mais quand il ne travaille pas, il y’a énormément de perturbation dans l’organisme. Maintenant, il y’a deux types d’insuffisance rénale. Il y’a ce que l’on appelle l’insuffisance rénale aiguë. Ce qui est aigu pour nous est comme un accident. C’est une panne temporaire, mais réversible par contre, il y’a une insuffisance rénale chronique. C’est une perte définitive et irréversible des fonctions du rein. C’est pour ce type de maladie qu’il faut mettre le patient en dialyse ou en transplantation.

Quelles sont les causes de l’insuffisance rénale ?

Le tabagisme, l’alcool et la sédentarité sont des facteurs favorisants. Si nous parvenons à changer nos habitudes de vie, on pourra améliorer la prévalence de la maladie dans la population. Il y’a aussi une population qui est particulièrement exposée dans notre pays. Ce sont ceux qui s’adonnent aux médicaments traditionnels. On se rend compte qu’au Sénégal, le premier recours des malades, c’est la médecine traditionnelle. Cela ne veut pas dire que tout est mauvais dans la médecine traditionnelle, mais on sait qu’il y’a beaucoup de gens qui sont des charlatans. Quand vous prenez un produit dont vous ne connaissez pas la toxicité, le premier organe exposé est le rein. Quelqu’un qui n’a rien peut se retrouver en insuffisance rénale, mais surtout celui qui est malade déjà lorsqu’il s’adonne à cette phytothérapie, il a un risque élevé de détruire ses reins. On peut éviter à beaucoup de gens de tomber malade rien qu’en réglementant la médecine traditionnelle, mais aussi en éduquant les populations.

Que faire pour prévenir cette maladie ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, cette maladie est tellement importante dans notre pays et dans le monde que l’on ne cesse de dire que le véritable combat, c’est la prévention. Il y’a plusieurs étapes dans la prévention. Il y’a la prévention primaire, c’est-à-dire ce que l’on fait pour la population et il y’a la prévention secondaire qui s’adresse à des gens qui sont déjà malades. La prévention primaire est essentiellement sur le mode de vie des populations. On se rend compte que parmi les facteurs favorisant ces maladies, on retrouve l’hypertension et le diabète. Il y’a 25% de la population qui sont hypertendus. Tous ces hypertendus ne sont pas bien traités ou ne sont pas, du tout, traités et c’est plus des ¾ des malades. Ils ont un risque élevé de détruire leurs reins. Les diabétiques de même. Il y’a un travail à faire. Dans ces maladies, on trouve la forte consommation de sel, de sucre et d’huile. On pense qu’en agissant sur ces facteurs, on peut réduire la prévalence de ces maladies.

Est-ce qu’il y’a des aliments à éviter ?

La première chose à éliminer, c’est la consommation de sel, mais c’est plus simple à dire qu’à faire. Savez-vous qu’en France, un Français consomme environ 10g de sel par jour alors que le Sénégalais consomme entre 20 à 30g de sel par jour, mais non content de cette forte consommation de sel, on ajoute des bouillons. Je me demande où est-ce que nous allons ? Cela veut dire que nous allons augmenter la prévalence de l’hypertension et d’autres maladies dans notre population. Et si nous ne faisons rien, dans les prochaines décennies, nous allons être complétement décimés par les maladies chroniques non transmissibles. Il y’a des choses à faire et des décisions politiques à prendre.

Quelles sont les difficultés que rencontrent les malades atteints d’insuffisance rénale?

Il faut savoir que quelqu’un qui est en insuffisance rénale, son plus grand danger, c’est qu’il ne le sait pas. Cette maladie est appelée, «le tueur silencieux ». Cela veut dire que vous pouvez avoir cette maladie et être «normal». Le problème le plus grave est que le rein est fait de telle sorte que vous pouvez détruire 75% de votre rein et vous ne sentirez rien du tout. Cela veut dire que si vous attendez des symptômes pour aller se consulter, vous ne le ferez pas. La maladie rénale au début, il n’y a aucun symptôme. C’est quand vous allez détruire 80 à 90% de vos reins, que les premiers signes commencent à se manifester. La personne se fatigue parce qu’il n’a pas assez de sang. Elle a des nausées, elle vomit, elle ne dort pas bien. Elle est nerveuse, mais là quand on va faire des analyses, on va lui dire où est-ce que tu étais ? Comment on va dépister cette maladie ? En faisant des analyses qui s’adressent à l’ensemble de la population. Le plus simple est l’examen urinaire. On prend les urines de la personne et on y met une bandelette d’urine, cette bandelette qui dose l’albumine coûte moins de 100f et quand on le trempe dans les urines de l’individu, on est capable de voir s’il y’a une substance appelée protéine et qui ne doit pas se retrouver dans les urines. Si ce n’est pas fait, les filtres qui sont à l’intérieur du rein sont détruits. Progressivement quand la moitié des filtres seront détruits, on commence à avoir cette substance appelée créatine qui monte dans le sang, mais cela est déjà tard.

La prise en charge de la maladie est très coûteuse, d’après vous ?

C’est vrai que cette prise en charge est chère. Mais, ce n’est pas seulement au Sénégal. Aujourd’hui, la dialyse a commencé seulement en 1960. C’est-à-dire que la première machine de dialyse est arrivée à Paris en 1960. Ce traitement est très jeune dans la médecine. Avant qu’on ne l’invente tous les malades qui avaient l’insuffisance rénale chronique mouraient. Parce que cette maladie, quand vous arrivez au stade terminal, dans les trois mois maximum la personne meurt. Quand la machine est arrivée dans le monde, il n’y avait que les pays développés qui en disposaient. Au Sénégal, la première machine est arrivée en 1989. Quand vous branchez un malade jusqu’à le débrancher, les substances que vous y mettez, appelées kit sont chères suivant les pays. Cela peut aller de 15000FCFA à 100000FCFA, selon les pays parce que la qualité des produits que l’on va mettre dedans est variable en fonction des coûts. Parce que le rein artificiel utilisé en France et celui utilisé au Sénégal, ce n’est pas le même prix. Pour vous donner une idée, une séance de dialyse coûte 200000FCFA en France au moment où je vous parle. Il y’a 70 milles malades qui coûtent à la population française 2 500 milliards de FCFA. C’est plus de la moitié du budget du Sénégal. Au Sénégal, nous avons moins de 1000 malades traités et qui coûte à l’Etat du Sénégal, presque 8 milliards. Donc le problème n’est pas spécifique au Sénégal, mais c’est effectivement une maladie chère. Chaque malade de dialyse branché en 4 h de temps consomme 150 litres d’eau. Le coût de la dialyse à un soubassement, la dialyse est un luxe. Ce que nous devons faire, c’est la prévention. Il y’a 650 000 Sénégalais qui souffrent de la maladie chronique rénale et la grande majorité ne le sait pas. C’est pourquoi, nous devons travailler à sensibiliser les populations, mais aussi à les éduquer pour que l’on puisse prévenir la maladie. Parce que sans la prévention, nous ne pourrons jamais gagner ce combat.

Y’a-t-il suffisamment de néphrologue au Sénégal ?

Nous sommes peu. La formation de néphrologie dure 4 ans. En 2005, nous étions que 3 néphrologues. Mais, aujourd’hui, il y’a 30 néphrologues qui exercent au Sénégal et certains sont en cours de formation. C’est très peu par rapport au besoin de la population. Si vous prenez l’Afrique de l’Ouest, c’est le Sénégal qui compte le plus de néphrologues. Dans les autres pays, vous allez trouver moins de 5 néphrologues ou pas du tout de néphrologue.

Qu’en est-il de la prise en charge dans les régions ?

D’ici 2019, toutes les régions vont avoir un centre de dialyse dans un pays où jusqu’en 2010, les centres se trouvaient à Dakar. Mais, cela ne suffit pas parce que ce besoin est tellement important que très rapidement cela doit dépasser la région, l’hôpital et se situer au niveau des départements. Beaucoup de ces centres qui sont dans les régions, n’ont pas une fonctionnalité optimale à cause d’un déficit en ressources humaines et ce sont des problèmes qu’il va falloir régler.

 

Mame Diarra DIENG